Mathilde a retrouvé un semblant de vie normale aux côtés des petits et de Thaddeus, la fleur a trouvé les gestes quotidiens rassurants. Elle répète les mêmes, inlassablement, revenant à son état d'après Chute. Elle n'est guère bavarde, pas très souriante et pourtant elle n'a jamais été aussi douce avec les enfants. Avec Thaddeus pourtant c'est assez compliqué, elle n'a pas oublié qu'il l'apaise, qu'il lui fait oublier son chagrin. Et c'est ça qui l'embête, elle ne veut pas trahir son pauvre mari décédé et encore moins son petit, son tout petit. Elle ne se sépare plus d'un collier où elle a glissé un peu de sable du désert pour ne jamais oublier. Et en oubliant son chagrin, elle a peur de l'oublier lui. Alors elle a pris quelques distances, en faisant le moins possible.

Mais voilà, Mathilde ne dort plus, Mathilde observe le plafond immaculé à la lueur de la lune. Elle ne supporte plus d'être dans le noir alors elle ne ferme plus les volets. La belle de nuit tend ses pétales à la lumière de la lune. Elle se nourrit de sa clarté et de sa pureté.

Mathilde aurait pu continuer ainsi, mais combien de temps avant de devenir lentement folle à cause du manque de sommeil ? Seulement cette nuit la lune n'est pas, la lune ne se montre pas. L'astre se repose derrière ces gros nuages et doucement l'orage s'annonce alors que le noir s'installe calmement.

Au premier grondement Mathilde craque et les larmes glissent sans bruit sur ses jours alors que les images de ce jour maudit s'affichent sur sa rétine, comme lorsque ses yeux se ferment. Au deuxième elle s'assoie, affolée, terrifiée. Et lorsqu'enfin l'orage éclate Mathilde est déjà debout, sa chemise de nuit vole derrière elle alors qu'elle se rue dans le couloir tout aussi sombre. Elle ne court pas mais c'est tout comme. Ses pieds nus sur le sol froid, elle quitte ses draps gelés pour se diriger vers la chambre de son ami. Instinctivement et dans le noir elle se retrouve devant la chambre de Thadd, le souffle court et les cheveux en tout sens. La folie l'aurait rattrapée ?

Elle ne toque pas, n'hésite qu'une seule petite seconde et prie pour qu'il soit là, pour qu'il dorme. Elle referme la porte de la chambre sans bruit, retient un hoquet et tente de respirer calmement pour ne pas faire trop de bruit. Et la rose se glisse sous les draps du lit de Thaddeus, elle a aperçut une bosse mais elle n'est pas certaine qu'il soit bien là. Elle se couche en tremblant et supplie dieu de ne pas le réveiller.

Les nuits sont fades, si ce n'est détestables. Elles hantent des rêves en les chassant au loin. Thaddeus n'est pas expert, mais il croit dur comme faire que les cauchemars sont préférables à la fatigue. Ils sont douloureux, certes, mais ils prennent le temps de rôder avant d'immiscer les limbes dans les esprits attristés. Alors chaque nuit, lorsque l'homme ferme les yeux, il ne cherche pas à se défendre. Il espère que pour le lendemain, le peu de repos offert par les souvenirs odieux lui sera suffisant. Il espère mais ne croit pas.  Il avait cru pouvoir retrouver la Terre et cela ne l'avait pas réussi. Ses êtres chers attristés, parfois blessés.

Et sa douce Mathilde dont il aimerait rêver. Voir un sourire s'envoler pour se déposer sur des images gravées. Un souffle combattre la fumer qui s'échappe de cette tasse rose à chats qui n'a de place qu'entre ses mains. Déposer des baisers sur ce front, même s'ils ne sont pas vrais, fantasmés. Hélas, cela lui est impossible. Les monstres préfèrent dévorer ces brides de bonheur. Et ses petits aussi. Petits bien pâles alors que le soleil frappe le sable. Il aimerait que dans leur lit repose un corps, mais leur souvenir son présent dans son esprit. Même s'ils devenaient fantômes, il ne pourrait leur en vouloir de le priver de repos, car éternel est le leur.

La chambre est sombre. Il ne laisse plus les volets ouverts, cette impression qui le ronge d'être observé. La peur de se réveiller un matin, une atrocité à la fenêtre. Il n'allume plus la lampe de son bureau, ne reste plus derrière, une tasse entre ses doigts. Ce serait un suicide, se dit-il, il tuerait son propre sourire matinal ainsi que celui qui suit. Il préfère s'allonger, d'abord droit, puis se rouler en boule, lui ce grand géant. Il va même jusqu'à mettre sa tête sous son oreiller, comme si les cris pouvaient s'en aller. C'est ainsi que cette nuit, il n'entend pas les pétales ouvrir la porte et se glisser contre lui. Le contact le surprend, le crispe presque.

Il n'ose pas bouger, de peur d'être déjà enfermé dans cette tourmente nocturne. Mais il le doit, il finira bien par le faire, de toutes façons. Ainsi soit-il. Il roule de l'autre côté, prêt à faire face à son cauchemar. Le noir n'aide pas, se dit-il, mais il ne doute pas que bientôt, il apercevra le visage de la belle plus blanc que la neige. Le réveil suivra la fausse surprise. Mais rien ne se passe. Pas d'horreur pour l'instant. Un soupire. Chaque jour, la nuit semble plus réelle. Ce soir, il a l'impression de pouvoir sentir le parfum de Mathilde, de pouvoir presque la toucher, glisser ses doigts entre les mèches de ses cheveux. Et ce cauchemar ne semble pas si méchant. Un brin d'espoir, il ose espérer un contact avant une monstruosité n’apparaisse.

Son bras vient se déposer autour de la taille de la silhouette à ses côtés. Son visage ne bouge pas, toujours caché par ce terrible oreiller qu'il pense sans cesse à changer. Il aimerait bien se rapprocher, mais ne sait pas si c'est une bonne idée. A tout moment, il peut se réveiller, hurler. Réveiller les enfants, sauf si le coussin l'étouffe assez. Allumer la lumière et faire les cent pas. Puis cent encore après. Et réessayer, le cœur tambourinant, de trouver un instant de calme dans le sommeil. Il murmure pour lui-même, pour que les monstres soient cléments, qu'il lui laisse ne serait-ce qu'un instant.

Laissez moi compter jusque trente
avant de m'enlever ce bonheur.

Et le voici qui décompte, comme lors de ces parties de cache-cache. Le voici qui serre le corps à côté de lui, ce corps qu'il pense disparaître bientôt, pour ne laisser qu'un amer sentiment de peine derrière lui. Comme la Terre, dont l'absence l'anéantie.

La belle de nuit l'entend bouger près d'elle, la fleur se tend alors que Thaddeus pose sa main contre elle. Elle a beau lui tourner le dos, elle sent sa chaleur lui parvenir, réchauffer son cœur gelé. Au moins elle ne tremble plus, elle se sent en sécurité ici. Mathilde n'était jamais entrée dans sa chambre ainsi. Son odeur y est omniprésente, ça la rassure Mathilde, à la manière d'un enfant qui ne pleure plus quand ils sent la présence tranquille de ses parents. Mais Thaddeus n'est pas son père, au non loin de là. Il a été son ami précieux, son ange gardien et elle ne l'a pas très bien traité ces jours-ci elle s'en rend compte. Et ça s'ajoute à sa liste de regrets qui commence à être bien longue ...

Mathilde a eu peur de l'avoir réveillé et elle pense avoir échoué alors qu'elle l'entend marmonner. Sa voix est étouffée et maintenant qu'elle y pense, elle n'entend pas sa respiration. Elle n'a pas compris ce qu'il a dit et il ne se passe rien de plus. Alors pour elle c'est simple, le grand monsieur est en train de rêver. Mathilde se détend alors et tout doucement, elle recule contre lui, son dos touche presque Thadd qu'elle pense endormi. Au point où elle en est, elle n'a plus peur de le réveiller finalement. Elle sait qu'il ne la chassera pas. Mais un doute grandit en elle, elle imagine Thaddeus lui laisser son lit, grand gentleman qu'il est. Elle l'imagine se lever et sortir doucement en lui souhaitant une bonne nuit. Alors Mathilde se met de nouveau à avoir peur, ses muscles se tendent de nouveau et sa respiration se fait erratique. Dans un dernier geste affolé, elle attrape le bras de l'homme qui se trouve sur sa taille elle le fait remonter vers son buste. Ainsi elle peut garder sa main entre les siennes, tout contre son cœur. Et elle se recroqueville autour comme si c'était sa dernière chance, elle s'y accroche comme si c'était sa vie qui en dépendait.

« Ne pars pas. Ne pars pas. »

Ses larmes n'ont pas refait surface mais dans sa voix on entend la peur, la terreur de se retrouver seule. Même chuchotés, ses mots crèvent la quiétude qu'elle avait ressenti quelques secondes auparavant.

Ce n'est pas
Et voici qu'à un
un rêve.
il se rend compte.

Les trente secondes sont écoulées. Ces secondes qui alourdissaient l'air. La forme ne devient pas monstrueuse. Elle se crispe, attrape son bras et le garde auprès d'elle. C'est bien trop réel. Tout est trop précis. Ce n'est pas ainsi que fonctionnent ses cauchemars. Alors il se demande si ses yeux ne sont pas ouverts. De son bras libre il prend appuie et se relève, faisant glisser l'oreiller à côté de son visage. Il n'est pas assis, mais à peine surélevé. Et sa main kidnappé ne cherche pas à s'échapper.

Il y a quelqu'un à ses côtés, quelqu'un qui n'est pas enfant. Qui le retient. Quelqu'un dont il ne désire pas s'échapper à la prise. Alors il sait, car il n'y a qu'une personne dans ce monde dont il accepterait inconsciemment la présence ainsi. Et il sait aussi ce qu'il doit faire. Allumer la lumière, s'excuser, et sortir pour ne pas revenir. Dormir sur un canapé, ou plutôt errer. Il n'en fait rien. Il ne bouge pas, essaie de discerner les traits de ce visage qui semble lui tourner le dos. Il se penche en avant, cherche à murmurer au creux d'une oreille, comme pour se rassurer.

Mathilde ? Est-ce bien toi ?

Cela sonne trop fort dans cette pièce, cela résonne comme un mauvais choix. Et si elle ne répond pas ? Et si ce n'était pas elle ? S'il sombrait vraiment dans ces affres nocturnes ? Il a l'espoir, Thaddeus, homme voulant croire aux meilleures choses du monde. Et malgré cela, au font de lui, il se doute que non. Ce n'est pas Mathilde. Ce n'est sûrement personne. Juste son esprit qui lui joie des tours. Son front se dépose à ce qui semble être le creux d'une épaule. Il inspire. N'ose plus réfléchir.

Mathilde a peur de lui répondre, maintenant qu'elle sait qu'il ne dort pas mais qu'il est au contraire bien réveillé. Il lui demande si c'est elle et pas un chenapan qui s'est glissé dans son lit. La situation aurait pu la faire sourire mais son esprit est tourné vers la peur de se retrouver seule. Alors elle ne dit rien, pas même quand elle le sent se rapprocher et poser son front contre elle. Mathilde n'ose même plus respirer. Est-ce un geste pour lui signifier qu'il ne partira pas ? Ou bien au contraire est-ce un bonne nuit ? Elle ne sait pas mais elle a peur la petite Mathilde alors elle s'accroche un peu plus à cette grande main. Elle s’accroche de toutes ses forces pour finalement la lâcher ... Elle se tourne sans ménager le pauvre Thaddeus qui était contre elle, elle se sépare de lui pour mieux plonger au creux de ses bras. Elle passe un bras sous le cou de son ami, l'autre suit le chemin contraire pour finalement se rejoindre derrière sa tête. Quand à elle, Mathilde vient déposer son front sous son menton, se blottissant du mieux qu'elle peut contre lui. Si on lui avait dit qu'un jour elle serait si proche avec Thaddeus ... Elle n'y aurait pas cru.

« Qui veux-tu que ce soit ? »

Elle ne perd jamais de sa superbe, même si elle est obligée de souvent déglutir à cause de la boule au fond de sa gorge. Oh qu'elle a peur de se faire rejeter. Après tout elle l'aurait bien cherché, elle a fait la même chose pendant ces longues semaines après l'horreur du désert. Mais elle ne trouve pas la force de s'excuser, elle ne trouve pas les mots pour lui dire ô combien elle ne voulait pas le blesser.

Elle se rend compte qu'elle a arrêté de penser à elle, qu'elle ne tremble plus de devoir rester seule mais de le voir partir. Quelque chose aurait-il changé au creux des draps, au creux de son cœur ?

Oh c'est bien elle qui s'est glissée dans ses draps, lovée contre lui, répond de sa voix. Il reconnait bien son odeur et sa candeur cachée derrière des paroles qui se veulent plus distantes. Il ne se laisse pas avoir, ne se laisse pas tromper, car il sait bien que Mathilde n'est pas femme à se forcer. Si elle se trouve ici, c'est parce qu'elle le désire, alors qu'elle n'a cessé de le fuir ces derniers temps. Il n'avait rien dit, l'avait laissé faire. Lui-même avait été plus distant, même avec les enfants. Il avait fait de nombreux voyages, entre hôpitaux et demeures de proches. Finalement, cette distance était normale. Elle n'avait rien de surprenant.

Ce qui l'était, c'était sa présence et ses actions. Il n'osait pourtant pas en dire mots. Il la laissait faire, comme si cette chambre était sienne. Car Thaddeus rampe à ses pieds depuis des années, sans même s'en rendre compte. Il s'écarte lorsqu'elle le désire, se rapproche lorsqu'elle demande. Il ne la fuit pas, mais ne la chasse pas non plus. Il accepte d'elle ce qu'elle lui offre, accepte ses sourires et ses tendresses lorsqu'elle est femme clémente. Si elle désire être à ses côtés, il ne peut pas s'en aller. Si elle ne désire qu'un lit, il peut le lui céder. Il ne sait pas quoi penser.
   
Y a-t-il un problème dans ta chambre ?

Il demande, d'une voix fatiguée. Ce n'est pas le lit qu'elle enlace. Ce n'est pas son oreiller qu'il protège de ses bras nus. Au fond, peu importe la raison, sauf si elle est d'ordre technique, il se doute ne pas pouvoir sortir de cette étreinte, même par le sommeil. Il plonge son visage dans les cheveux qui se présentent à lui, inspire cette odeur qu'il aime temps, qu'il lui donne l'impression d'être à la maison. La serre un peu plus contre lui, sans penser à une quelconque gêne qui pourrait être rencontrer. La fatigue lui retire peut-être son bon sens, car jamais en tant mal normal il ne l'aurait laisser ainsi aller contre lui à moitié dénudé. Un baiser sur le crâne, il dépose.

Ses démons ont l'air de la laisser tranquille ici. Mathilde s'est trouvé un havre de paix, une paix relative mais c'est toujours mieux que rien. Dans les bras de Thaddeus il y fait bon, il y fait chaud. Et c'est peau contre peau que la fleur se dépose. De toute manière elle est beaucoup trop fatiguée pour s'apercevoir que c'est très intime tout ça. Alors quand il dépose un baiser sur le haut de sa tête elle vient rendre la pareille sur son torse, y déposant les lèvres une seconde.

« Un problème ? Je- non, c'est juste- »

Juste quoi au fait ? Juste que son deuil est compliqué ? Que son deuil la ronge alors qu'elle essaie de le faire seule ?

« Je n'arrive plus à dormir là-bas et je suis si fatiguée. »

Elle se livre un peu, elle qui a tant de mal à demander de l'aide d'habitude. Mais elle tait le pourquoi, après tout il a assisté à l'horreur lui aussi, il a bien vu dans quel état elle était la pauvre, pauvre Mathilde. Et puis elle ne veut pas casser ce qu'il est en train de se passer en parlant de trop. Bien entendu elle ne veut pas qu'il sache qu'elle a pratiquement accouru ici, la peur au ventre et les larmes sur ses joues. La belle de nuit à les yeux encore humides, heureusement que le noir cache tant de choses aux yeux de Thaddeus.

Soufflant contre sa peau, elle a fermé ses yeux et pour une fois ce ne sont pas des atrocités qui se glissent sous ses paupières. Mais la lumière de son ange qu'elle tient tout contre elle. Et deux autres qui la regardent de leur petit nuage.

Mathilde rouvre les yeux mais seul l'obscurité est présente, son souffle n'est plus si régulier. La colère et le refus sont partis de son cœur, seul reste la tristesse de la vérité. Ses deux petits anges de là-haut son partis pour toujours, ils sont partis et pourtant ils la couvent du regard, de leur position. Mathilde pleure enfin, tout doucement, mouillant la peau du dernier ange qui lui reste. Mais finalement elle sait, qu'elle n'est plus seule, alors elle enfonce ses doigts sur sa nuque et le haut de son dos, elle l'amène à elle un peu plus fort comme pour ne plus jamais le lâcher.

Elle un peu comme lui, pourtant si différente. Si tendre malgré ces barrières qu'elle dresse et qu'elle abaisse en sa présence. Il se sent parfois privilégié, se doute que ce n'est au fond que par le hasard des choses. Une chute, comme celle de tant d'autres, ainsi qu'un métier commun. Ils avaient eu ce but, aussi, ensemble, de remonter. Il n'en restait rien. Cela devait être pour cette raison que la belle de nuit l'avait fuit, s'était éloignée comme elle le pouvait de lui depuis. Il ne lui en avait pas voulu, ne pouvait jamais lui en vouloir. Il lui avait toujours offert ses sourires depuis l'autre bout du couloir.

Elle embrasse son torse et son cœur explose.

Il fond, Thaddeus, malgré la fatigue le voici bien réveillé. Il a envie de lui rendre ce simple geste si rare de sa part. Boom boom fait son cœur si tendre. Le voici qu'il offre sourire à qui le désire, mais surtout à Mathilde. Si heureux qu'il ne peut pas rester en place. L'homme passe une de ses mains par dessus la tête de la belle, et roule dans ce sens. Il n'a plus l'habitude, Thaddeus, de partager son matelas avec quelqu'un. Il ne l'a jamais eu d'ailleurs. De ce geste, il manque d'écraser sa tendre. Il tente de faire attention, pourtant, de mettre ses deux mains aux deux côtés de son visage, une jambe entre les siennes et une autre à côté. Comme pour la protéger.

Seras-tu plus à l'aise ici ?

Pour dormir, alors qu'il se trouve dans le même lit, sous les mêmes draps qu'elle. Et qu'en sa présence, il ne sait pas s'il sera capable de fermer les yeux. De se laisser aller à des songes qui pourraient être doux ou infernaux.

Seras-tu encore là si mes paupières se ferment ?

C'est peut-être pour cela qu'il demande, qu'il questionne. Qu'il veut une preuve, une promesse. Quelque chose à quoi se raccrocher. Pour offrir un sourire. Espérer.
(l'embrasser)

Mathilde est coupée dans sa tristesse par Thaddeus qui la bouscule. Dans la pénombre elle sent, plus qu'elle ne voit le grand homme prendre de la hauteur pour lui demander maintes choses. Elle a les yeux grands ouverts et ils ne sont plus aussi ombragés. Les nuages qui s'étaient amoncelés laissent place à la clarté et muette, elle ne sait que répondre. Son cœur aussi bat à un rythme effréné, il sait ce qu'il est en train de se passer mais la jolie fleur ne l'écoute pas son petit cœur. Elle se mordille les lèvres et détourne la tête comme pour cacher les rougeurs qui s'installent sur ses joues. Depuis combien de temps n'avait-elle pas partagé un lit ? Cela lui semble si loin, la fatigue lui fait perdre de ses repères, ou alors l'a-t-elle oublié depuis le temps.

« Je- Oui je pense pouvoir réussir à fermer les yeux si je suis ici, si ... »

Si je reste à tes côtés.

Les mots ne passent pas, ils restent coincés dans sa gorge. Elle semble si déboussolée, si fragile, elle, la Mathilde que personne ne peut écraser. Et pourtant elle perd ses mots, elle perd ses phrases qui la faisaient flamboyer. Telle une jeune fille, elle retrouve ses manies d'avant les drames de sa vie et surtout, surtout. La tristesse perpétuelle de ses yeux a disparue, laissant place au doute.

« Pourquoi je partirais une fois que tu as le dos tourné ? Je te signale que c'est moi qui suit venue me glisser dans ton lit. »

Mais une fois la surprise passée, Mathilde revient à la charge, le doute au fond du cœur. Et pourtant, pour la première fois ici elle laisse la chance à son bonheur, elle laisse la chance à Thaddeus de la rendre heureuse, décidant de remplir le trou sans fin de son malheur par sa lumière bienveillante.

Elle pense y arriver, ici bas dans son enfer nocturne. Elle pense trouver le sommeil que tant de monde recherche suite à cette catastrophe. Lui, ne le pense pas. Il apprécie trop sa compagnie pour fermer les yeux. Il aimerait l'entendre parler, l'écouter, lui sourire. Tenir sa main dans la sienne. Il l'observe malgré les volets fermés, qui laisse à peine passer quelques rayons de lune. Pas de quoi la voir, mais assez pour l'apercevoir. Sourire de plus belle. Le déposer, ce fameux baiser sur son front. Preuve qu'il lui autorise l'accès à tout ce qu'elle désire.

Sentir les papillons dans son ventre. Ses joues plus rouges que les yeux qui pleurent parfois. Des envies de tendresse qu'il n'arrive pas à chasser, jamais. Il ne bouge pas de cette étrange position, cherche à la fixer, la découvrir comme s'il ne l'avait pas vu. Pas assez ces derniers jours. Pas assez lorsqu'il a failli la perdre. Il veut juste la voir, la savoir là. Pourrait probablement l'observer dormir sans craindre de s'écrouler sur elle pour l'empêcher de partir.

Et son esprit divague. C'est sûrement la faute de la fatigue, se dit-il. Il n'empêche que les mots sortent tout seuls, sans qu'il ne les retienne, sans qu'il puisse les contenir. Il ne s'en rend pas compte, ne les entend qu'après, comme une évidence. Car cela n'a rien d'étonnant. C'est elle qui étonnante, un peu plus chaque jour, qui détonne dans sa vie. Qu'il chérit.

J'ai envie de t'embrasser.