Trois journées sans dormir. Une frustration devenue omniprésente. Une humeur bien plus massacrante que d’habitude. Une vie personnelle qui s’oubliait de plus en plus. Des malaises çà et là. Voilà ce qu’était devenu mon quotidien, depuis que Lizzie a contracté la Transcendance. Ce n’est plus la raison ou la logique qui me guidait, mais l’énergie du désespoir. Depuis mon acte de détresse, j’avais perdu cette lueur qui me faisait me lever chaque matin. Alors, quand Murphy et sa foutue loi de merde s’était décidé à venir frapper à ma porte une fois de plus, et à s’acharner sur l’une des personnes les plus précieuses de toute mon existence, on peut dire que j’avais fini par craquer. Il fallait que je trouve un remède. Absolument, quel que soit le moyen employé. Cela devenait une urgence. Si je perdais Lizzie, je n’aurais plus rien du tout. Ce serait comme débrancher un comateux. Aussi, il était plutôt lucide d’affirmer qu’il n’y avait pas que ma vie en jeu, dans la poursuite de ce remède. Seulement voilà, à Celestia, d’autres priorités sont mises en avant. Je me retrouve donc à devoir me débrouiller comme je peux pour récolter des échantillons, convaincre des volontaires de devenir des cobayes. Une tâche longue, pénible et chronophage.


La Vallée, le Désert, même Caer Hrid : je m’étais beaucoup déplacée, laissant des avis de recherche, essayant de voir avec mes contacts scientifiques. Je n’avais obtenu que très peu de ressources jusqu’à présent. Jusqu’à ce que mon holokit ne sonne, alors que j’oscillais entre consciente et évanouissement. Un numéro inconnu. En lisant le message, je me demandais si c’était un faux numéro ou une blague. Puis, le souvenir d’avoir en effet utilisé l’arbre à vœux du Désert me revint en tête. Moebius, un Oublié. Exit la rencontre à Polaris, donc. Il allait encore falloir que je me déplace. L’idée ne m’enchantait absolument pas, mais au point où j’en étais, je ferais n’importe quoi pour obtenir des pistes, ou des cadavres de transcendés pour pouvoir faire mes recherches convenablement. Ni une, ni deux, tant que mon esprit était suffisamment présent pour répondre, je lui proposais un rendez-vous à l’auberge des Trois Hiboux, dans le village congelé, d’ici deux jours. Cela lui permettra de faire le voyage, et moi de me reposer. Du repos … A peine eus-je pensé à cela que je m’étalais sur mon bureau, sombrant dans l’inconscience.


Deux jours plus tard


Encore et toujours ce même cauchemar qui me réveillait en sursaut, trempée de sueur, et ce malgré l’épuisement. Ma tête se retourna de l’autre côté du lit, vide. Lizzie n’était pas là. Sans doute au CRP, comme d’habitude. Je tremblais, le cœur au bord des lèvres. Je vérifiais l’heure sur mon holokit : 4h16. Je n’avais donc dormi qu’à peu près cinq heures. Je n’aurais probablement pas le temps de passer au laboratoire. De toute façon, je ne savais pas ce que j’aurais pu faire en aussi peu de temps. Je cherchais sans doute à avoir l’air occupée, pour ne pas culpabiliser, ou une connerie du genre. Me levant, prenant une douche, je pus constater que mes cernes n’étaient clairement pas résorbées. Qu’importe, je m’en fichais. Le manque de sommeil, on s’y habituait à force. Je m’habillais chaudement, le village congelé n’étant pas connu comme étant la zone la moins froide du mont Celestia, embarquant au passage ma blouse du CRP. Ainsi, Moebius pourrait aisément me reconnaître à l’auberge.


J’avais décidé de m’y rendre immédiatement, pour ne pas perdre de temps. Qu’importe si j’arrivais avec une demi-journée d’avance ou moins, c’était toujours mieux que l’inaction. Prenant au passage mes notes, je finissais de me préparer avant de quitter Polaris. Durant le voyage, je ne pus réprimer un regard vers les montagnes, et une grimace accompagnée d’une douleur au côtes me rappela cet épisode désespéré de ma vie ici. J’avais toujours mal, de temps à autres, surtout lorsque j’étais au bout du rouleau. Il fallait absolument que je trouve quelque chose contre la Transcendance, pour ne pas avoir à ressentir à nouveau une telle noirceur. J’espérais sincèrement que mon entrevue avec Moebius serait fructueuse. Obtenir des cadavres de transcendés n’était pas chose aisée, bien loin de là. Et pourtant, j’avais le sentiment que c’était le meilleur moyen de faire des découvertes, outre les cobayes malades.


Une fois arrivée à l’auberge, en début d’après-midi, je pus constater qu’il y avait quelques clients, éparpillés sur les tables, en train de manger. A cette pensée, mon ventre se mit à manifester sa famine. J’attendrai la présence de mon probable futur associé avant de me lancer dans une fringale. J’avais retiré mon manteau et enfilé ma blouse, m’étant installée dans un coin tranquille, discret, éloigné le plus possible des autres personnes. Mieux valait ne pas trop ébruiter le sujet de notre entrevue à venir, afin de ne pas causer une inutile panique. En l’attendant, je repassais en revue mes notes, encore et encore, sans voir le temps filer. Mais finalement, la fatigue excessive me rattrapa, et je m’effondrais à nouveau, le corps sur mes notes.

Oscillant entre conscience et sommeil, mon esprit embrumé semblait vouloir s’envoler vers le domaine de l’onirisme. Confuse, je ne savais plus vraiment si je dormais, ou si ces bruits de fond devenus plus sourds, incompréhensibles, étaient le fruit de mon imagination ou simplement les clients de l’auberge. Je voulais relever la tête, mais je n’en étais pas capable. Elle pesait si lourd que le seul fait d’essayer m’exténuait plus que je ne l’étais déjà. Mes notes virevoltaient autour de moi. Je voulais les rattraper, mais elles échappaient à mes doigts systématiquement. Il paraît que les rêves ont une signification. Rien de scientifique, cela dit, et c’est pour cela que je ne m’y étais jamais vraiment intéressée. Cependant, quelque chose me disait que cette scène ne serait pas de très bonne augure, dans son interprétation. Quoi qu’il en soit, il fallait que je m’échappe de ces hallucinations. J’avais une affaire sur le feu, le repos attendra. Et ça tombait bien, car en tentant d’ouvrir les yeux et de reprendre conscience du monde autour de moi, je sentis une personne s’attabler face à moi. Moebius, peut-être ? Sans doute. Qui d’autre que mon contact du Désert s’installerait à ma table ? M’appuyant de mes deux mains pour aider à soulever mon poids, je finis par m’avachir en arrière sur le canapé, des cernes immenses et le regard un peu absent, observant la silhouette qui me faisait face. Il commanda du thé. Heh, au moins il faisait comme chez lui. Profitant de la présence du serveur, je marmonnais, encore un peu barbouillée, à son attention.


« Deux cafés corsés pour moi, s’il vous plaît. »


Je détaillais l’homme qui me faisait face. Un visage qui trahissait la dure vie du désert. Un regard qui avait quelque chose d’à la fois doux, mais aussi sauvage. S’il avait choisi de répondre à mon annonce sur l’arbre à vœux, c’est qu’il se sentait apte à la tâche. L’aura qu’il dégageait m’inspirait le respect, peut-être un peu de crainte également. Ou plutôt, de la réserve ? Un mélange des deux, sans doute. Il ne m’avait pas l’air d’être quelqu’un qu’il valait mieux avoir à dos plutôt qu’en allié. Comme bon nombre de personnes du Désert, je suppose. Leurs problèmes sont bien plus dangereux que les nôtres, à mon sens. Pendant mon observation, Moebius attaqua directement le sujet. Pas de salutations, et déjà en train de négocier la paie. Je haussais les épaules, au moins, cela économiserait un peu de temps.


« Bonjour. Droit au but, hein. Très bien. Je suis consciente de la difficulté de la tâche, aussi, je suis prête à mettre le prix. Deux mille crédits par cadavre de Transcendés en bon état, moins en fonction de la dégradation du corps. Cela vous semble-t-il à votre convenance ? »


Depuis le Kamikakushi, je n’avais jamais réellement dépensé d’argent. Après tout, je n’avais jamais cru que nous allions rester coincés ici. Ma position au sein du CRP m’avait tout de suite offert un salaire confortable, et j’avais accumulé une belle réserve de crédits polariens. Je n’avais pas d’utilité spécifique à cet argent, alors autant qu’il serve à mes recherches. A période désespérée, mesures équivalentes … Il me fallait des sujets de test, vivants ou morts. Et si je me refusais à obtenir par la contrainte des malades encore conscients, l’idée m’avait tentée bien des fois. Le temps jouait contre Lizzie et moi, alors je me devais de rendre cet accord le plus attrayant possible. Finalement, le serveur revint avec nos boissons respectives. Je le remerciais, buvant mon premier café à pleine gorgée. Ca ne valait pas celui de ma collègue, mais au moins, cela remplirait son rôle. Masquant un long bâillement une fois les premières gorgées avalées, je récupérais mes notes, les triant, puis les rangeant dans mon sac soigneusement, avant de croiser les bras sur la table et de reporter mon attention sur mon contact.


« Je m’occuperais de l’addition. Si vous souhaitez commander quelque chose à manger, n’hésitez pas. Le voyage a dû être long et pénible, j’imagine. »


Je me demandais ce qui avait pu le pousser à accepter cette entrevue. L’argent uniquement ? Il y avait sans doute des emplois moins risqués et qui payaient tout aussi bien. La curiosité vint sonner à ma porte, et je reprise, penchant un peu la tête sur le côté.


« Si je puis me permettre, pourquoi ce travail vous intéresse ? Je suppose que vous pourriez sans mal trouver quelque chose de plus sécurisant et qui paie fortement. »


Je n’étais pas retournée au Désert depuis l’épisode de l’effondrement de la Tour. Aussi, je ne savais pas du tout quel était leur situation face à la transcendance. Ils devaient avoir bien plus de monstres à gérer, peut-être. Si c’était le cas, cela pourrait être une belle opportunité pour Moebius, en effet.