C'est l'angoisse le rongeant de plus en plus que Líf s'approche du Nouveau Monde. Mais qu'est-ce qu'il faisait là ? Il s'arrête un instant en voyant le bâtiment et s'appuie sur sa canne, à l'utilité toute relative. Réfléchis, Líf... Tout à commencé lorsqu'avec un groupe d'ami, autour d'un verre, ils ont discuté des distractions et des plaisirs d'avant le Kamikakushi. Le jeune homme s'est donc permis de préciser qu'il n'avait que rarement participé à des soirées ou plus encore à des sorties en boîtes, tout ceci n'étant pas du tout son genre. Et c'est là qu'il a commis l'irréparable. Maintenant, le voilà, surveillé par ses camarades au loin, bien trop amusé de le voir galérer seul pour l'accompagner. Mais qu'est-ce qu'il va trouver en entrant là-dedans ?

Líf s'attend à absolument tout. A vrai dire, les rumeurs sur les établissements de plaisir au sein de Requiem vont bon train et pour la plupart, parle de ces lieux comme les empires de la débauche et de la luxure, alors il s'imagine déjà entré dans une atmosphère lourde, tamisée et à l'air empli d'une fumée doucereuse à l'odeur sensuelle, presque vulgaire. Là, devant lui se tiendrait une foule bondée, compacté devant une estrade sur laquelle de jeunes personnes danseraient en exhibant leurs corps... Encore que la vision de jeunes hommes puissent ne pas être la plus dérangeante, l'ambiance qu'il s'imagine l'angoisse totalement. Ce n'est absolument pas son style et puis... Les regards de la foule seront-ils emplis d'admirations ou de lubricités ?

Plus il réfléchit, plus le jeune homme se stresse. Alors il décide de prendre son courage à deux mains et il entre, s'appuyant un peu sur sa canne. Parfois, la douleur de la blessure du Kamikakushi se fait ressentir, sans aucune raison. C'est rare, mais suffisant pour qu'il garde souvent cet appui avec lui. Il pousse la porte, s'attendant à un air lourd et chargés d'encens en tout genre et découvre, stupéfait... Une grande salle, encore peu rempli, espacé et aéré. Est-ce qu'il est trop tôt pour que les spectacles ne commencent ? Il n'y a que peu de personnes à l'intérieur, juste quelques habitués à un bar un peu plus loin. Quand aux autres, qui défilent en tout sens à droite et à gauche, sans doute s'agit-il d'employés se préparant pour la soirée. Car oui, Líf n'avait pas réfléchi à cela, mais il était à peine dix-neuf heures, il était donc tranquille niveau foule. Il laissa son regard se perdre sur la salle richement décoré, tant et si bien qu'il ne réalisa pas qu'il continuait son avancée droit vers une personne qu'il percuta de plein fouet. "Oh, excusez-moi, je suis désolé, je... J'étais un peu perdu, j'ai pas vraiment l'habitude de ce genre de lieu..." Il se confond en excuse avant même de relever la tête, trop gêné d'avoir eu l'air si absurde. Sérieusement, il ressemble juste à un enfant qui serait entré dans un endroit interdit d'accès, entre l'angoisse et la joie de la découverte.

Si la vie d’artiste était un rêve désormais accompli pour Hee-Jun, il devait depuis près de deux ans faire face à l’enfer de temps à autre : la paperasse.
Pour le jeune coréen qui a pu goûter à la douce satisfaction de démarches rapides et faciles dans son pays natal, puis de celles encore plus pratiques du Mont Celestia, il n’y avait pas photo… la Vallée était la traine. Ce qui était tout de même un comble pour un pays principalement axé sur le commerce. A force, Hee-Jun pensa qu’il finirait par avoir des cheveux blanc avec toute cette accumulation de papier, avant de se dire qu’il avait vraiment un humour de merde.
« Oh et puis j’en ai marre ! Je finirais ça plus tard » lâcha-t-il dans le vide avant de se lever.
Le truc c’est que c’est exactement ce genre de phrase et d’attitude qui avait amené cette accumulation de papier et de formulaire sur son bureau, donc il n’était vraiment pas prêt d’en voir le bout.

Il regarda l’intérieur de son poignet fixant un petit bracelet de cuir qui maintenait une pierre colorée et tachetée. A défaut de s’être acheté « une vrai montre » lors de son précédent voyage plus au Nord, il avait depuis son arrivé à la Vallée cet objet : une pierre de temps.
C’était le nom qu’avait donner l’explorateur ayant ramené plusieurs de ces cristaux, n’offrant aucun pouvoir mais une idée relativement précise de l’heure de la journée. Une couleur principale qui indique l’heure, se mouchetant de la couleur de l’heure suivante par petit paquets. Selon la taille et le nombre de ces tâches on pouvait donc savoir l’heure de la journée. Un peu moins pratique qu’un cadran chiffré mais sacrément plus esthétique.
Dix… -neuf heure et quatre minutes. Déjà ? Mais c’est qu’il fallait s’activer un peu si on voulait éviter de prendre du retard dès le départ de la soirée. Je jeune homme fila donc se rafraîchir, lança son habituelle et légère illusion de « maquillage » comme il aimait l’appeler et se mit à descendre les escaliers afin de vérifier que tout se passait bien plus bas.

Dans les loges et près de la scène, les employés du cabaret s’affairaient, fourmillaient de partout en d’autant de petites mains habiles de leurs propres savoirs. Au programme de ce soir ? Rien de bien spécial mais plusieurs spectacles et danses qui étaient connues pour leurs succès international. Danse du ventre, quadrille français, réinterprétation de musiques célèbres d’avant la catastrophe… Une soirée qu’on aurait pu qualifier de vintage compte tenu de la situation actuelle.
Hee-Jun salua autant de membre de sa troupe qu’il le put avant de se diriger vers les parties dînatoire, notamment le bar. Puisqu’il restait un peu de temps avant le début des représentations, autant passer demander à James, le barman célèbre pour son Dry Martini, s’il ne lui manquait rien en alcool…
Avant d’arriver jusqu’au meuble en bois finement travaillé, le responsable de l’établissement percuta malheureusement quelqu’un. Un client qui se confondait en excuse. Inhabitué de ce genre d’établissement il passait son temps à tout observer d’où sa maladresse. Plein de bienveillance, l’homme aux cheveux blanc lui dit alors :

« Il est bien normal de ne plus savoir où donner de la tête dans le Palais des Découvertes, que ce soit au Nouveau Monde où ailleurs… mais soyez le bienvenue dans notre établissement. J’espère que vous apprécierez votre soirée parmi nous. »

En plus de ces sincères paroles, le patron offrit à l’inconnu aux cheveux de jais un sourire et sa main tendue :

« Hee-Jun, mais appelez moi Jun. Une petite visite avant que la soirée ne commence ? »

En bon maître des lieux, il fallait savoir se montrer accueillant… et fidéliser la clientèle en lui donnant l’impression qu’elle était traitée avec tous les égards… ce qui était le cas bien évidement.
Quoi qu’il en soit ce choc l’éloignant du bar n’était sans doute pas une mauvaise chose, boire avant ou pendant le service ne relevait vraiment pas de l’idée de génie.

Le contact avec un autre être humain l'a rappelé à la réalité. La réalité qu'il n'a réellement rien à faire ici et encore moins à cette heure-ci. Merci ses "amis" de l'avoir mis dans une telle situation, car eux sont parfaitement au courant des horaires de ce genre d'établissement. Et maintenant, il donne juste l'impression d'être un petit nouveau dans Requiem, charmant.  La gêne l'envahit un peu plus mais il camoufle parfaitement le rouge qui aurait pu lui monter aux joues et se redresse un peu, avant de serrer la main qui se tend devant lui."Enchanté Jun, moi c'est Líf. Et j'ai beau être un habitué du Palais, je ne suis encore jamais entré ici, d'où ma légère... Maladresse."

Il observe son interlocuteur un peu plus en détail, constatant non sans un certain plaisir qu'il est plutôt agréable à l’œil. Mettant rapidement cette pensée de côté, il poursuit. "J'espère également que la soirée me plaira, si tant est que je puisse vous laisser la préparer... Pardon, je n'avais pas réfléchi qu'il était encore si tôt." Il remue un peu sa canne, nerveusement, trahissant ainsi son état d'esprit actuel. Puis il relève les yeux et fixe l'employé du Nouveau Monde. La proposition est alléchante, cela lui évitera de paraître ridicule toute la soirée. "Je ne serais pas contre une visite, merci infiniment !"

A aller trop vite en besogne il finirait lui-même par se prendre les pieds dans le tapis. La célèbre maladresse de l’artiste dans sa manipulation du verbe avait encore frappé. Plutôt que d’avoir été interprétée comme de l’arrogance pour toute l’opulence et la beauté générale de ce qui les entouraient, la remarque de Jun avait semblée être un commentaire hâtif de la non-familiarité de son hôte pour le Palais. Ce qui n’était pas le cas. N'aimant pas faire des erreurs, il pinça l'intérieur de sa lèvre tout en souriant (ce qui était particulièrement désagréable), l’asiatique s’essaya même à reformuler :

« Une étourderie de ma part, je m’enorgueillissais simplement de la chance que nous avons d’être aussi bien placé. Quant à la soirée, rare furent les clients à se plaindre de ce que nous présentons, il y en a pour tous les goûts… si vous voulez bien me suivre. »

Un nouveau sourire et un mouvement de main accompagnaient ses mots tandis qu’il poursuivait l’itinéraire qu’il avait entamé précédemment. Une fois arrivé au Bar il ne s’attarda que pour saluer James et ses talents avant de reprendre sa route vers la salle adjacente, uniquement séparé par une porte joliment décorée.

« Voila la salle principale. La plupart des tables sont libres, celles portant un écriteaux réservée le sont évidemment. Si vous venez simplement pour le ou les spectacles des loges sont disponibles à l’étage, on y est plus confortablement installé. La nourriture y est proscrite cependant. »

Le coréen laissa Lif observer quelques secondes et en profita pour agiter sa main en signe aux artificiers et à la régie avant qu’une demoiselle en jupe et chemise vienne interrompre la visite guidée le temps d’une seconde.

« Jun, Tiana s’est foulé la cheville et ne pourra pas monter sur scène… » un claquement de langue désapprobateur fut la première réaction du maitre des lieux avant qu’il ne réponde « Il fallait que ça tombe sur le jour où Eric est absent… son don de guérison nous aurait bien servit. Bon, on interverti la première partie et la troisième, avec les deux entre-actes et le temps des représentations on aura l’occasion de faire venir quelqu’un. Annonce ça aux deux équipes et contacte l’autre idiot de russe… il va encore se plaindre et dire qu’il ne viendra pas pour un bobo mais il le fera quand même. »

La jeune femme hocha la tête avant de prendre congé. Jun se retourna alors vers l’homme à la crinière ébène et s’excusa de ce contre-temps.