Tu l'embrasses un peu trop longtemps, tu le sais mais tu ne peux t'en empêcher. Tu te donnes le droit de t'imprégner une dernière fois de lui.

« Je suis certaine que Cheeseburger est impatient que tu viennes le chercher. Je t'aime Fenrir, prends soin de lui. »

De toi.

Ton sourire est emprunt d'amour, de choses non dites. Mais tu le laisses partir et tu refermes la porte derrière son grand dos. Les rôles sont inversés, c'est tristement drôle. C'est toi qui doit le laisser partir pour que tout se termine pour le mieux. Oh ce n'est pas pour autant que tu ne peux retenir tes larmes, tes dernières pluies de mélancolie.

Tu t'assieds à la grande table du salon. Tu observes autour de toi pour emmener tes souvenirs avec toi, là où tu iras. Et puis tu prends ton stylo, tu le fait tourner dans tes doigts sans savoir par où commencer. La pluie est battante dans ton cœur. Au diable le commencement.

Le stylo a fini par trouver un chemin et bientôt sur la feuille blanche, se trouve la carte de ton cœur.

Enfin tu te redresses, plie délicatement ce petit morceau de toi que tu glisses dans une enveloppe que tu signes de son nom.

Fenrir.

Tu l'embrasses, pleure une dernière fois et essuie les dernières traces de larmes qui ont glissées sur la table.

Oubliant ton sac derrière toi et quelques affaires que tu avais l'intention de prendre, pour en faire on ne sait quoi. Tu quittes ce lieu qui restera fort en émotion pour toi.

Après tout, tu as rendez-vous avec ta médecin. Un rendez-vous pareil ne se loupe pas. Tu n'as jamais été en retard et ce n'est pas maintenant que ça va commencer. Surtout que ton amour ne devrait plus tarder à rentrer avec son chien.

De toute manière comme tu te l'es promis, tu l'emmènes avec toi. Dans tes rêves, dans ton cœur. Dans ce nouveau pays d'amour.

Eh il hoche la tête quand il part chercher Cheeseburger, alors qu'il comprend pas vraiment pourquoi elle vient pas. Il se dit qu'après tout, un rendez-vous chez le médecin, ça se repousse encore et encore. C'est bien ce qu'il fait, lui. Il revient avec le chien, une petite heure et demie plus tard. La porte est fermée à clefs, il laisse le chien prendre ses marques dans le jardin.

Puis il aperçoit une enveloppe avec son nom dessus. Il reconnaît l'écriture de sa femme. La même que celle sur leurs papiers pour l'achat de la maison, l'adoption de Cheeseburger, ou ceux du mariage.

Il l'ouvre gaiement, en se disant que c'est probablement juste une douceur de plus dans sa vie.

Puis il lit.

Il lit.

Il lit.

Il lit.

Il s'effondre.

Il relit, encore et encore. Il ne veut pas y croire, alors il appelle. Il appelle pour ne pas entendre autre chose que son répondeur. Les larmes se mettent à monter, lui qui ne montre toujours que le sourire, lui qui gagne toujours. Lui qui refuse l'abandon, qui combat. Il a perdu.

Il l'a perdue.

Il a tout perdu.

Il fait le lien dans sa tête. Les remarques sur le chien, l'envie soudaine d'aller adopter. La réaction bizarre quand il parlait de fonder une famille. Il fait les calculs dans sa tête et c'est mort, ils sont pas bons. Il peut pas avoir tout perdu. Il n'a même pas donné un quart de ce qu'il avait. Alors les options s'alignent dans sa tête et son regard se perd dans le vague. Il se redresse difficilement et attrape une chaise qu'il vient éclater contre la table. Il jette un fauteuil à travers la pièce et donne un coup de pied violent dans la télé. Il se moque de tout ça, il se moque de ses meubles. Il se moque de devoir tout repayer, de devoir déménager. Il se moque parce qu'il n'accepte pas la défaite. Ses poings viennent fracasser la table basse en verre et ses poings saignent. Il s'écroule à genoux, sanglotant.

Il secoue les mains pour faire tomber les débris de verres collés à sa peau.

Il vient de subir sa plus grande défaite.

Il pensait qu'elle tiendrait le coup. Qu'elle verrait l'arrivée du traitement. Qu'ils vivraient un amour paisible dans le futur. Que la perte de poids et les changements brutaux d'humeurs ne seraient qu'un lointain souvenir. Qu'ils verraient leurs enfants grandir en jouant dans le jardin avec le chien. Qu'encore une fois, il gagnerait tout et qu'il souleverait le plus beau trophée, sa vie merveilleuse.

Mais il a été mis K.O.

Il ne sait pas quoi faire. Il ne sait pas qui appeler. Il ne veut plus déranger. Il se sent petit, tout petit. Il se rend compte qu'il a beau être fort, ça fait toujours aussi mal. Qu'il ne se sortira pas de là avec un peu de lutte.

Qu'il est veuf. Qu'il a perdu sa lumière. Qu'il a tout perdu.

Tout ce qui peut sortir, là, maintenant, c'est colère et détresse. Il veut raser sa maison. Non, il veut raser le quartier. Non, mieux encore. Raser ce pays et ce continent. Raser ces imbéciles qui préfèrent faire la guerre pour des territoires que de sauver les Humains.

C'est sa haine qui le pousse à se relever. Mais c'est l'amour qui le calme. L'amour d'un pauvre chien n'ayant rien demandé à personne, les pattes pleines de terre, qui fonce à travers la maison pour venir sauter dans les bras de son maître. Non, de son ami. Qui vient tout faire pour le rassurer et le réconforter. C'est lui qui porte la flamme d'Eolia. Fenrir pose sa main sur la tête du chien et pouffe de rire quand il se fait lécher le visage.

Il se refuse d'abandonner. Il refuse de se perdre. Cheeseburger sera son phare dans la nuit et Fenrir fera tout pour respecter le dernier voeu d'Eolia. Il essuie quelques larmes, puis éloigne la pauvre bête des débris qui pourraient le blesser. Il sort, doucement, dans ce jardin qui avait été, à peine quelques jours plus tôt, le lieu de leur dernier rendez-vous. Il va s'asseoir à la même place, sans se plaindre de ses douleurs. Il serre les dents, simplement.

Puis seul, il regarde le chien courir dans le jardin. Il s'apprête à faire une remarque stupide à haute voix pour la faire rire, mais tourne la tête et aperçoit le siège vide.

Il sait que la reconstruction sera longue. Il sait qu'elle n'aurait pas voulu qu'il reste la à se morfondre. Alors il se redresse et siffle Cheeseburger.

"Eh, viens là ! On va aller faire un tour au parc, d'accord ?"

Tant pis pour le désordre. Cheeseburger est l'être vivant le plus important de tout ce continent, à présent.