Sur la table d'opération convulse encore le demi-mort. Condamné mais pourtant ses yeux sont écarquillés de vie, comme si le poison qui l'a rendu à cet état là refuse de quitter son corps - comme s'il n'avait pas totalement terminé son oeuvre. De la compassion, tu en as Eliott. Des remords, beaucoup moins.
Vous avez perdu l'être humain et ce n'est qu'un monstre que vous devez étudier. C'est toujours la même chose depuis deux mois - on vous donne les moyens à la Vallée. Des transcendés à la pelle, des malades dans l'attente.
Mais aucune cellule souche identifiée. Tu n'as jamais vu ça de toute ta carrière, et si tu t'accroches à l'espoir de faire d'autres découvertes majeurs sur les patients qu'on vous fournit - tu pries tous les soirs le ciel de te pardonner de les sacrifier.

Il s'est débattu comme un enragé pendant de longues minutes, avant de s'épuiser dans un grognement. Tes doigts parcourent la peau craquelée alors que tu jettes un regard furtif envers ton collègue. Tu aurais préféré être seul - pour ne pas avoir à réprimer tes toux passagères.
Pour ne pas à te sentir faible et à découvert.
Car les yeux reptilien de Gabriel sont partout et sa langue est aussi acérée que le scalpel qui tranche la peau d'un coup sec.

— « Gabriel... Ne vous obligez pas à rester. Il est tard et je vais sûrement y passer la soirée. »

Tu étires un sourire doucereux, qui se veut compatissant mais qui sonne malgré toi comme une hypocrisie sans nom.

— « N'avez-vous pas quelqu'un à retrouver ce soir ? »

Tu le regardes à peine, concentré sur ton oeuvre.

Tu sais, tu sens au ton qu'il emploie que tu n'es pas forcément le bienvenue dans ce laboratoire. Mais s'il se targue d'etre scientifique fou - tu lui laisses le sang et la douleur. Eliott, ta seule priorité est de guérir les malades, d'identifier la cause de cette malédiction afin de trouver un vaccin. Pour cela, il faut se salir les mains, et Gabriel semble n'avoir aucun remords à le faire. Tu l'admirerais presque, Eliott, en d'autres circonstances.
Si ton esprit n'était pas aussi subjugué par la nature morte qui s'était peinte sous vos doigts.

— « Votre dévotion et votre implication dans le travail sont toutes les deux remarquables. »

Tu lui offres un sourire doux.
Tu le remercies, en vrai, d'être encore là. Si tu te targues d'être devenu martyr de cette humanité brisée ; il te rappelle que les hommes ne sont pas tous faillibles.

— « Jeune ? » Tu hausses un sourcil, interloqué. « Mais quel âge avez-vous Gabriel ? »

Tu en oubliais que tu avais à peine la trentaine.
Epuisé par la vie, par cette impression dissidente d'avoir trop vécu.

Tu l'observes un instant, alors que le transcendé s'agite de plus en plus malgré son état léthargique. La vipère te surprend mais tu gardes le contrôle, masque tes appréhensions malgré ta lèvre pincée. Tu déglutis, ne sachant pas si tu dois etre rassuré de collaborer avec pareil spécimen.

Tu tousses dans ton coude, passes une main dans tes cheveux.
Déclares finalement, alors que tu maintiens les épaules du malade pour mieux observer sa dentition.

— « Je ne profiterai de la vie qu'après que le divin n'ait cessé de se jouer de nous. Comme vous le dites, j'aurai le temps de profiter plus tard. »

Tu accueilles son âge avec un respect naturel, même s'il ne t'effraie en rien. Tu le laisses parler - si Gabriel croie qu'être l'ainé lui confère l'ascendant sur toi, il se fourre le doigt dans l'oeil. Car la condescendance tu y es imperméable Eliott, tu te sens et sais supérieur, porteur d'une volonté divine que les faibles ne peuvent accuser.
La transcendance n'est qu'une punition symbolique que le destin t'envoie pour t'obliger à te racheter. Lui Seul peut te forcer à mettre genoux à terre.

— « Nous pouvons tous tomber malades... En effet Gabriel. Peut-être devriez-vous porter des gants, dans ces cas-là. »

Tu as lu les rapports Eliott, mais aucune souche de contamination n'a été identifiée par les médecins depuis l'apparition de la maladie à Althea. Et sans motif de transmission, tu ne sais pas comment étudier les cellules reproductrices.
Comment élaborer un vaccin qui ne se révélerait pas inefficace au bout de quelques heures.

Tu te saisis d'une pince, écartes les lèvres de la bouche pour venir te saisir d'une dent. Il y a plein d'informations qu'une dent contient, outre de l'ADN. Tu tires d'un seul coup, et le sursaut du transcendé t'arrache un frisson que tu réprimes par un sourire à l'encontre de Gabriel.
C'est nécessaire et les condamnés peuvent devenir des sacrifiés.
Au prix d'une cause qui pourrait en sauver d'autres.

Les motivations de Gabriel sont belles.
Presque identiques aux siennes, alors tu te reconnais.

— « Ma motivation ne saurait égaler la votre, mon ami. Les autres, l'humanité. N'y a t-il plus belle cause que celle de se dévouer aux autres ? »

Tu es malade Eliott.
Sauve-le, Gabriel.

Gabriel aime prendre des risques. Tu ne sais pas Eliott si c'est quelque chose que tu admires chez un homme ou que tu déplores. Le courage tu n'en as pas vraiment - tu te sais lâche et cupide, perverti par les désordres humains. Et quand même, tu fais de ton mieux.
Ses motivations sont honorables et c'est avec un sourire que tu lui rends la sympathie de son ouverture d'esprit. Ça ne semblait pas bien être parti, entre vous - pourtant c'est la première fois que Gabriel alimente la discussion.

Tu renverses la dent arrachée dans un ramequin en verre, que tu déposes prudemment sur une desserte à côté de vous, la fait rouler jusqu'à un plan de travail, non loin de Gabriel. Lorsque tu le frôles, tu effleures son bras avec une fausse bienveillance.

— « Les grands esprits comme le vôtre ne doivent surtout pas s'éteindre. »

Pour tout avouer, ça t'arrangerait presque de le savoir sur le coup. Peut-être qu'avec son aide, vous alliez pouvoir identifier un remède.
Peut-être qu'il était cet ange salvateur qui te permettrait de survivre un peu plus longtemps - que tu puisses toi aussi les aider ; que tu puisses toi aussi sauver l'humanité (ne pas mourir en héros sacrifié)
Pas e n c o r e.

— « Ne vous inquiétez pas. Loin de moi l'envie de vous trahir. Au contraire, je pense que nous devrions nous aider, n'est-ce pas ? »

Penches la tête sur le coté, et le dépasses finalement pour rejoindre le plan de travail désiré. Tu poses le ramequin et l'isoles d'un couvercle.
Le fameux scalpel glisse entre les doigts... alors que tu le dévisages.
Et te remet à tousser ; décidément le manque de circulation de l'air te donne des nausées. Ton état t'inquiète, alors que tu portes une main à ta poitrine.
Comme pris d'un arrêt cardiaque.

La douleur n'est pas que physique. C'est un combat intérieur, insupportable tant l'esprit agonise sous les injonctions et les mensonges. Gabriel se lave les mains et se précipite pour t'assoir, t'intime de ne pas mourir devant lui.
Si seulement ! La transcendance est vicieuse, elle ronge le corps et corrompt la raison, provoque des coups de pression pour rappeler que la vie n'est qu'en sursis.

Si ta bienveillance naturelle l'aurait remercié, c'est d'une violence inattendu que tu le repousses pour ne pas qu'il te touche (pour ne pas qu'il devine) que derrière le masque confiant bouillonne l'adversité.

— « NE ME TOUCHEZ PAS ! »

Tel un animal menacé, tu te recroquevilles de tes bras un instant, montres les crocs et protèges ton torse - que tu sais déjà touché. Les veines noires apparentes serpentent le buste jusqu'aux cotes. C'est affreux mais c'est surtout une preuve de ta monstruosité.

— « Ne me touchez pas, Gabriel. »

Une goutte de sueur perle le long de ton front, respiration haletante. Pour te protéger tu te caches de nouveau, portes le masque de la froideur alors que tu expires lentement pour te calmer.

— « Ça va, ça va. » Assures-tu en utilisant ton cristal de persuasion. « N'avez-vous pas du travail ? Je ne voudrais pas vous soustraire à vos obligations, ni vous déconcentrez. »

Tu te relèves, les doigts accrochés aux plis de ta chemise et te diriges lentement vers le plan de travail, là où tu avais déposé ta dent.
La douleur te rend acerbe, presque mauvais (joueur).
Au jeu du bluff tu aurais gagné mais au jeu de la vie tu as déjà perdu.