Accablé par le poids de ses actes manqués, de l’insoutenable réalité passée, remémorée de force à travers les yeux de la personne qu’il aimait, Jun resta le yeux perdus dans le vide. Il aurait pu tomber sur le sol, ses forces l’ayant totalement abandonné. Il resta cependant et assez inexplicablement debout. Était-ce une sorte d’instinct de survie ou bien simplement une apathie totale le rendant incapable de choir. Ou alors, était-ce cet unique lien à la réalité qui te maintenait ici. La main de Gavrila, celle d’un ami que tu avais vu souffrir au moins, si ce n’est plus que toi.
Oh certes, il y avait eu l’épisode de ta sœur, cette foutu illusion que ton esprit las et fatigué avait provoqué pour te faire garder un semblant d’espoir et d’envie de te battre. Mais ce n’était rien face à la perte sous vos yeux de l’être le plus cher de votre petit monde. Quoi qu’il en soit Jun ne réalises même pas qu’il l’emmène au loin, que vous avancé loin de cet endroit aux promesses de rêves et de cauchemars. La voix de Gavrila résonne comme un écho lointain, à peine perceptible. Il dit au coréen de s’asseoir contre l’arbre près de lui, et il s’exécute sans trop savoir pourquoi.
Peu à peu, reprenant ses esprits et réalisant ce qui l’entoure l’artiste désabusé se rend compte qu’il est « en sécurité ».

Ouais. En sécurité.
Rien ne l’attaquerait et rien ne l’avait attaqué. La seule chose qui pouvait le blesser en ce moment, c’était lui-même. Oh, il aurait pu jurer envers Gavrila. Il aurait pu lui hurler dessus pour son inconscience, les risques qu’ils auraient pu encourir mais surtout pour l’intrusion dans un souvenir qui ne concernait rien ni personne d’autre que lui. Mais à quoi bon.
Il était las, triste et n’avait pas la force de vociférer la moindre insulte ou parole désobligeante. Pas la force de rire d’une blague, qu’elle soit amusante ou non. Pas la force de juger injustement un ami qui, désespéré face à la perte d’une femme qui l’avait aimé le plus sincèrement du monde, était près à tous les risques. Même face à l’improbabilité d’obtenir un souvenir, une parcelle d’un passé heureux qui n’existera jamais plus.
La voix fébrile du russe trahissait son état. Lui aussi n’était pas indemne de cette expérience. Lui aussi avait été affecté par ce qu’il avait vu. Boire. Lui en mettre une bonne. Jun n’en avait cure. Même respirer lui semblait être un effort pour l’instant, alors il restait là à attendre, ne répondant pas à son ami. Fixant le vide et les volutes de fumées dansant autour d’eux, il resta quelques minutes comme ça.
Puis, ce fut comme un choc. Une réalisation. C’était vraiment ce qu’il allait faire ? Rien ? Simplement se morfondre sur son passé et repartir dans un état dont il avait réussi à se sortir après plusieurs mois en centre spécialisé et une cure forcée à Althea… Non. Ce n’était plus lui.

Il se leva donc d’un bon. Donna un coup de latte dans l’arbre et retint un grognement d’une douleur qu’il s’était infligé lui-même. Il soupira et inspira un bon coup avant de se frotter les yeux et regarder Gavrila.

« Allons boire un coup ouais… »

Et non. Non ce n’était pas remplacer un vice par un autre. Tout bonnement car il buvait occasionnellement et en faible quantité. C’était un plaisir. Même s’il était bien décidé, cette fois-ci, à se pinter la gueule. Il n’oublierait pas, ou pas longtemps, mais il rirait avec son ami, pleurerait peut-être un peu, lui raconterait sans doute ses malheurs dans leurs intégralités… car après tout, quitte à s’être fait cramer sur sa situation autant tout lui dire. Il avait pleinement confiance en ce médecin pas très malin. Ce n’était pas un honneur mais ça n’était pas donner à tout le monde.
Quant aux bulles souvenir. Ils y reviendrait peut-être. Ou non. Pas moyen de le savoir et honnêtement, il ne voulait pas y penser pour le moment. Jun attrapa simplement « leur fil d’Arianne », tandis sa main à Gavrila. Pas besoin d'en dire plus pour le moment, ils avaient besoin de temps pour digérer tout ça. La soirée serait plus propice à la discussion quoi qu'il en soit.