Avec l'argent du marché noir tu t'étais acheté un appartement, tu pensais le partager peut-être avec Kiana qui sait. L'accueillir, elle qui a vécu des années dans une tente dans le désert.
Et pourtant tu l'avais à peine meublé. Murs blancs, sans décoration. L'ambiance est aseptisée, impersonnelle. On sent que tu ne vis quasiment jamais dedans et que tu as abandonné le rêve de t'y installer.

Car Kiana n'est plus car elle n'est plus en sécurité. Depuis quelques jours, semaines, tu ne sais plus - c'est aux côtés de Linn que tu vogues libre mais lâche. Tu ne prends pas de nouvelle de celle qui occupait tant tes pensées, car tu as juré au bourreau susceptible de se venger.
Juge de pacotille qui ne sait plus discerner bien du mal, qui agit mal mais pour son bien.

Aaaah Caprice, c'est dépité que tu rentres chez "toi" après des jours de cavale à cheval. Tu passes juste pour récupérer un objet d'importance, priant pour qu'elle ne t'attende pas sur le pallier pour s'expliquer. Ah que tu t'en veux d'avoir choisi la voie de la facilité. Le silence pour seule défense.

— « Hm ? »

Sans sourire, tu toises l'individu dont tu reconnais chacun des traits sans jamais lui avoir parlé. Moebius, et tu sais qui il est réellement.
Tous le monde le sait au marché noir - il n'y avait qu'elle pour l'ignorer, jusqu'à peu.

— « Une amie ? Il est vrai. »

Tu relèves le menton pour le jauger, l'air aussi fermé qu'une huitre. Tes gants s'accrochent à la poignée de la porte, dans ton dos et tu verrouilles derrière toi.
Tu t'approches, prédateur acculé et finis par lâcher d'un ton désinvolte.

— « Je vais rester debout. »

Craque tes doigts quand tu serres le poing.

— « Tu voulais me parler de quoi ? Me faire des remontrances j'imagine ? »

Alors elle aussi, elle emprunte ce chemin là ?
Non, pas son genre.
Tu t'es du coup peut-être et surement grillé tout seul.

Ne fais pas ta timide. Oh qu'il te tend déjà. Tu le toises avec sévérité, froideur. Tu n'as pas envie de faire ami-ami avec Moebius. Ça n'a jamais été dans tes intentions, d'ailleurs.
Il parle de respect mais tu ne le vois pas comme ça. C'est quand même ses vieilles bottes dégueulasses qu'il étale sur ta table basse. Bien que t'y as jamais mangé. Mais c'est par principe voyez-vous. Tu choisis de pas y voir de la bienveillance mais de l'intimidation.

— « Et bien ! Tu l'as devant toi ! Cela suffit-il à satisfaire ta curiosité ? »

Ta bouche se tord en un rictus sardonique. Tu réprimes un gloussement et tournes les talons pour aller te chercher un verre dans un placard. Très peu de vaisselle aussi - habites-tu seulement ici Caprice ?

Tu reviens devant lui et concèdes à t'assoir sur un des petits sièges en face de lui. Cuisses écartés, tu y poses tes coudes. Penches la tête sur le côté et plisses le regard quand il parle de l'organisation de Cronos. Mais si tu ne laisses rien paraitre de plus, tu ne te permets pas d'ouvrir le débat sur le sujet. Le Leader est mort, disparu et la secte des faux-visages n'est plus. Tu n'oublies pas non plus d'où tu viens, et que c'est grâce à son influence d'hier que tu es là aujourd'hui.

— « Je ne sais pas ce qui me rend beau aux yeux de Kiana, mais. Ne penses-tu pas que tu devrais lui poser la question directement ? »

Tu roucoules Caprice, mauvais.

— « Et ce que je fais, tu le sais très bien. Je sais que tes yeux trainent partout. »

Comme les miens.

Il prend trop ses aises, il est trop familier. Tu ne sais pas si ça t'agace ou si c'est fascinant. Même s'il a l'air presque sympathique, tu n'arrives pas à te détendre Caprice. Tu n'arrives pas à sourire autrement que par des rictus condescendants et sarcastiques.
T'as la poitrine qui gronde et le regard qui insulte. Moebius peut bien jouer à tous les jeux qu'il veut, t'es pas de la partie. Tu claques la langue sur ton palais (encore) quand il soutient que tu peux bien trainer dans les sales affaires tant que t'y mêles pas Kiana. Est-ce une menace ? Non, il s'inquiète juste. Tu plisses les yeux, le dévisages en silence. Tu vois bien qu'il est bourré de bonnes intentions envers elle et pourtant. Le fiel qui te dévore les lèvres.

— « Quand tu veux dire... ne pas la mêler à mes affaires.. tu veux dire prendre exemple sur toi, quand tu lui as caché pendant des années tes occupations ? »

Tu penches la tête sur le côté, le visage toujours accoudé. Tu te montres insolent parce que t'es méfiant. Coupable aussi... voilà plusieurs jours que t'as disparu de la circulation, que t'as déserté la première place dans le coeur de Kiana. Tu t'attendais pas à ce que son grand frère débarque carrément chez toi.
La famille hein... est-ce qu'il est certain que t'en fais vraiment parti ?
Tu préfères jouer franc jeu.

— « Je ne sais pas si on est encore ensemble, Moebius. Je ne sais pas si elle ne t'a rien dit ou si tu fais semblant pour que je me trahisse mais je vais être cash. »

Tu te lèves, fais quelques pas dans le salon, les mains derrière le dos. Menton baissé vers le sol et sourcils froncés. Putain, ça craint.

— « Tu n'es pas souvent là et moi je ne suis jamais là. Du moins, je ne suis plus là depuis quelques temps. »

Pause.

— « Je l'aime bien. J'ai ce qui s'apparente à des sentiments, pour elle. Mais j'ai des choses à régler et je ne vais pas la forcer à m'attendre. »

Sa réaction ne se fait pas attendre. Moebius semble rejeter la situation car elle "ne l'arrange pas". Ça te surprend, ça te scie les jambes même. Tu peux pas t'empêcher d'avoir un rire amer en passant ta main dans tes cheveux pour les plaquer vers l'arrière. Tu peux pas cacher cet air exaspéré parce que tu comprends pas comment il peut prendre la situation avec légèreté. Trop d'ego pour accepter de l'aide - t'aurais accueilli plus facilement le fait qu'il veuille te casser la gueule ou t'amputer des deux jambes.

— « T'es vraiment pas comme je me l'étais imaginé. »

Pour seule réponse, parce que tu sais pas quoi dire d'autres. Tu l'observes reprendre son souffle, s'excuser de ses propres conflits d'intérêts. Il a des "excuses" alors qu'elle est la tienne Caprice ?

— « Je dois veiller sur une personne qui m'est cher. Tenir mes engagements auprès d'elle. Elle est instable, et a déjà essayé de s'en prendre à Kiana. »

Tu ne vendras pas Linn en pâtures à Moebius, cependant tu dois bien avouer que tu es démuni Caprice. Kiana n'a rien demandé mais ... peut-être te rejoindra t-il sur le point suivant ?

— « Elle a plus besoin d'être en vie que d'un petit ami, non ? »

L'amour c'est accessoire quand on chevauche la mort.