Un petit corps maigrichon brillant de transpiration en slip dans un château de verre ; voilà un prince que les contes de fée ne s’attendaient pas à annoncer. Et quel prince ! Un criminel, un voyou, un délinquant, un gueux ! Et quel conte ! Nulle princesse à la clé, juste l’appât du gain et un soi-disant cristal unique et surpuissant. Soi-disant, car voilà des heures que ce baron cupide vagabondait dans ce château de cristal -que dis-je, vagabondais ? Voilà des heures que ce chevalier filou se perdait dans cette immense demeure, se posant sans cesse la question : comment est-il possible de se perdre dans un endroit fait de verre ? Heureusement que son esprit malin, après quelques allers-retours irréguliers dans ce labyrinthe transparent, avait trouvé une solution et récupéré de son sac à dos un marqueur ; et en plus d’un intrus et d’un voleur, Esteban était devenu un vandale, décorant les murs de verre de marques noires à des intervalles réguliers. Pourtant, malgré toutes ces nouvelles peintures murales, le jeune fripon continuait de s’enfoncer dans les entrailles de ce château diaphane, supportant difficilement la chaleur accablante du palais. Le soleil tape fort dans le désert, et plus particulièrement dans le château. C’est cette chaleur qui expliquait pourquoi les seuls vêtements du jeune homme étaient son slip -d’un rose saumon très élégant, très royal- et ses chaussures de marche -il avait bien tenté de les retirer elles aussi mais le sol étant tout aussi brûlant que l’air ambiant, il les avait enfilées de nouveau illico presto. Son fameux masque protégeait également son visage, et bien qu’il lui portât chaud, il se refusait à le retirer : et s’il croisait quelqu’un ? Le masque faisait partie de sa peau depuis bien longtemps. Enfin, un dernier accessoire complétait sa tenue : un mini ventilateur portatif, qui, bien qu’il brassât de l’air chaud apportait un semblant de réconfort au jeune larron qui, de son sac sans fond, sortait parfois des bouteilles d’eau qu’il vidait presque d’un coup. Il avait une réserve de vivres presque illimitée dans ce sac qui, en apparence, semblait bien normal.
Esteban n’était pas un fervent travailleur ; en temps normal il n’aurait pas nécessairement fait tant d’efforts pour une requête d’un client. Mais le client en question était très riche, très influent, et lui promettait beaucoup d’argent. Il avait entendu une rumeur qui prétendait qu’il y avait un rare cristal dans cette demeure cristalline et l’avait envoyé pour vérifier si elle était vraie (et si elle l’était, lui rapporter le cristal en question). Le client était puissant, la récompense plus qu’élevée, le voleur avait accepté.
Et maintenant, Esteban en chiait. Il espérait vraiment que ce cristal existe, car il refusait de croire qu’il avait 1) effectué un trajet inconfortable de Caer au désert 2) affronté cette tempête de sable (d’ailleurs il pouvait encore sentir des grains de sable dans son slip malgré tous ses efforts pour s’en débarrasser) 3) souffert de cette canicule inarrêtable pour que dalle. Il allait être payé dans tous les cas mais- un bruit. Il venait d’entendre un bruit non ? Il s’arrête, tend l’oreille. Oui, on dirait des pas -et ce ne sont pas les siens. La chaleur le faisait-il délirer ? Il regarde autour de lui, mais il est bien loin de ses lieux de confort et il dans ce royaume transparent il n’a aucun endroit, aucune zone d’ombre où se cacher. Il regarde autour de lui, tourne sur lui-même jusqu’à apercevoir à travers les murs de verre une silhouette qui avance vers lui -elle lui dit quelque chose, mais il n’est pas certain. Il met sa main dans son sac à dos, et elle s’enfonce dans le vide intersidéral qui le constitue ; tu fouilles, à la recherche de l’une de tes battes de base-ball, mais une fois encore c’est trop le bordel là-dedans pour que tu trouves ce que tu veux tout de suite. Merde.

Son bras s’arrête de chercher une batte à tout prix quand l’intrus appelle son pseudonyme et que ses yeux identifient son visage. Ce gars, il le connait ; d’ailleurs il s’entend même plutôt bien avec lui -une fois n’est pas coutume. Si le terme de « gamin » le fait tiquer, Esteban ne le montre pas ; à l’inverse, il a l’air agréablement surpris de voir ce bonhomme ici. Quelles étaient les possibilités que les deux hommes se retrouvent ici, dans ce château de l’enfer ?

« Woah, Moebius, mais quelle agréable surprise ! Et bah écoute, je me suis dit que la météo était parfaite pour faire un peu de tourisme, alors je me suis dit zou, allons traverser une tempête de sable pour aller passer un peu de temps dans ce sauna géant ! Meilleures vacances de ma vie, cinq étoiles sur Trip Advisor, je recommande. »

Esteban évite soigneusement la question sous son trait d’humour ; qui sait, peut-être que Moebius était là pour la même raison que lui ? Esteban ne fait confiance à personne, et hélas il savait que si confrontation il y avait, Moebius aurait le dessus sur lui. Il garda donc la raison de sa présence ici secrète.
Moebius observe le slip du jeune homme avec une attention circonspecte, et le jeune homme fit semblant d’être embarrassé et mit ses mains devant son entrejambe.

« Mes yeux c’est là-haut ! », dit-il d’un air faussement accusateur, avant de regarder les marques au mur attentivement. Il avait reposé le feutre dans son sac en cherchant sa batte. « Aucune idée d’où elles viennent. », ment-il avec conviction. Son mensonge est motivé à la fois par une habitude de divulguer le moins d’informations possibles et une envie de taquiner son collègue du marché noir. « Mystérieux », ajoute-t-il. Il lève les sourcils, oubliant un instant que son masque couvre son visage entier, rendant donc son expression impossible à observer.

Il se rapproche de Moebius, absolument pas gêné par sa tenue minimaliste.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? Je te manquais tant que ça ? », demande-t-il. Son ton est innocent, mais la question n’est pas posée par curiosité ; la présence de Moebius ici est-elle une coïncidence, ou est-elle intéressée ? Quelqu’un avait-il mis un contrat sur la tête d’Esteban, et Moebius avait-il profité de l’isolation de celui-ci dans ce château pour l’exécuter ? Esteban devait-il se préparer à se défendre ? Les questions fusent dans la tête d’Esteban, dont les muscles sont tendus, prêts à bondir hors de portée du tueur à gage. Il cache sa tension derrière un masque (littéralement) d’amusement.