chapitre 1« Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était un mois de mai particulièrement chaud. Ce jour-là, la température avait grimpé pour atteindre les 42 degrés. La chaleur était étouffante, il me semblait par moment avoir du mal à respirer. Aux alentours de 19h, une pluie torrentielle s’est abattue sur la ville. Le ciel semblait tourmenté, incontrôlable, comme s’il tentait de résister à un mal invisible. L’orage se faisait de plus en plus violent, comme s’il cherchait à se défendre de quelque chose. Je me souviens m’être agrippée aux bras de maman, terrorisée par les caprices anormaux de la météo.
A 23h12, une coupure de courant plongea Tokyo dans le noir complet. A 23h17, un grondement que je ne saurais vous décrire avec des mots se fit entendre. Les secondes d’après, tout s’écroula, s’effondrant dans un gouffre dévoreur de vies : les immeubles, les routes, les ponts. Tokyo. Tout avait été emporté.

Je me suis réveillée au milieu de corps inanimés. Quelques autres survivants hébétés contemplaient les cadavres. Certains pleuraient, certains riaient, certains fixaient l’horizon au loin, incapables de digérer les informations qui leur parvenaient au cerveau. L’horreur était la plus totale. Il me semble parfois encore sentir la répugnante et nauséabonde odeur qui se répandait dans les ruines. Je ne saurais plus trop vous dire qui était à mes côtés à ce moment-là. Maman n’était pas là. Il n’y avait pas un seul visage qui m’était familier. D’ailleurs, il était clair et apparent que nous étions tous de nationalités et provenances différentes. Et pourtant, quelque chose nous rapprochait tous les uns et les autres. Nous étions les miraculés. Nous ne savions pas comment, ni pourquoi nous avions survécu. Nous ne savions même pas s’il s’agissait de la réalité, ou d’une hallucination collective. Aucune explication rationnelle ne pouvait permettre de comprendre la situation.

Nous nous sommes rassemblés. Un premier téméraire prit la parole. Un deuxième suivit. D’autres voix s’élevèrent, et les questions se multiplièrent : que s’était-il passé ? Étions-nous morts ou vivants ? Étions-nous toujours à Tokyo, ou avions-nous chuté dans des souterrains, dans les entrailles de la terre ? Que fallait-il faire à présent ? Fallait-il s’occuper en urgence des cadavres ou partir à la recherche d’autres survivants ? Au milieu de cette cacophonie, nous étions nombreux à nous sentir perdus. Beaucoup ne comprenaient pas l’anglais, la communication était difficile. Pour ne rien arranger à la situation déjà catastrophique, certaines personnes commencèrent à manifester des… compétences surnaturelles. Certains, sous la colère, firent magiquement apparaître des boules de feu. D’autres arrivaient à lire dans les pensées de leurs voisins. Certains voyaient leur force décuplée de manière surhumaine. La confusion et la paranoïa étaient maintenant de la partie.
Finalement, au fil des débats, des disputes, des plaintes et des jérémiades, des groupes se sont formés. Ceux qui étaient en état physique de partir en exploration s’engouffrèrent dans les tunnels et sentiers hasardeux de ces souterrains, pendant que tous les autres attendirent en silence, enterrant les cadavres comme ils le pouvaient.

48h plus tard, un premier groupe revint de son expédition. Nous étions alors épuisés, à bout de force, et faibles, tellement faibles. Certains d’entre nous avaient perdu connaissance, d’autres nous avaient tout simplement quitté. Nous n’avions déjà plus aucun espoir. Et pourtant, de l’espoir, c’est bel et bien ce que nous apportèrent nos camarades. Sans nous en dire plus, ils nous invitèrent à rassembler nos forces, et à les suivre : ce qu’ils avaient trouvé en valait la peine.

Au bout de plusieurs heures de marche, nous avons fini par atteindre ce qui me semblait être une sortie, et une lumière aveuglante nous assaillit. En rouvrant les yeux, des plaines à n’en pas finir se dressèrent devant nous. Un ciel, un soleil, des animaux aux apparences à la fois un peu familières, un peu étrangères. De la vie. Dans notre dos, les grottes qui donnaient sur les tunnels que nous venions de traverser.
Nous ne comprenions pas bien la scène qui se déroulait devant nous, alors nous avons réitéré l’expérience maintes et maintes fois : nous sommes retournés dans le tunnel, nous en sommes ressortis. Nous sommes passés du sombre lugubre à la verdure florissante. Encore et encore, car nous n’arrivions pas à croire ce dont nous étions témoin. Et nous ne comprenions pas quel était ce monde : le paradis ? Peut-être étions-nous bel et bien morts. Peut-être s’agissait-il bel et bien d’une hallucination collective. Peut-être était-ce une mise en scène un peu trop réaliste, et peut-être étions-nous les victimes d’une mauvaise blague.
Mais tout cela était bel et bien réel. Nous étions fatigués, affamés, nous ne rêvions que d’une chose : de repos, de calme, de paix. Et nous avions fait la découverte d’un parfait oasis, cet oasis qui était désormais notre royaume à tous : Althea.

C’était le mois de mai de l’année 2019, ce mois où le gouffre emporta tout ce que l’on aimait, et que l’on n’avait pas assez aimé. »

chapitre 2Une semaine s’était écoulée depuis l’étonnante découverte de ces paysages fantasmagoriques, de cette région étrange, qui semblait être la Terre telle que nous la connaissons, sans vraiment l'être, puisque jusqu’à preuve du contraire, nous étions toujours dans les entrailles de celle-ci. Cette région semblait tellement réelle sans être réelle, connectée par les tunnels que nous venons tout juste d’emprunter. Cette région, qui semblait avoir été jadis habitée, abritait de nombreux bâtiments déserts, témoins d’une vie passée. Et cette région cachait de nombreux secrets, que nous n’allions pas tarder à découvrir…

Pour commencer, nous en étions arrivés à la déduction que tous les survivants avaient acquis, pendant la chute, un pouvoir paranormal, et que c’est sans doute ce pouvoir qui nous avait permis de survivre. Pourquoi et comment : nous n’en savions rien encore. Chaque jour, de nouvelles personnes découvraient leurs capacités respectives. Nous supposions que l’éveil du pouvoir était lié aux émotions, et que nos pouvoirs se débloquaient seulement si la situation s’y prêtait. Ainsi, beaucoup d’entre nous ne savions toujours pas de quoi nous étions capables.

Mais nos découvertes ne s’arrêtèrent pas là. Alors que nous commencions à ne même plus se poser de questions, et que nous nous installions au coeur d’une ville abandonnée, des éclaireurs firent une trouvaille encore plus inattendue : une carrière de cristaux. Mais pas n’importe quels cristaux. Me croirez-vous, si je vous disais que notre corps pouvait absorber ces pierres ? Qu’elles pouvaient littéralement se fondre dans notre corps, couler dans notre sang. Et me croirez-vous, si je vous disais que ces cristaux prodiguaient à leur détenteur de nouvelles capacités surnaturelles ? Cela signifiait qu’en plus du don acquis lors de la chute, il était possible de recevoir beaucoup d’autres pouvoirs. Le pouvoir de créer du feu, de contrôler la météo, de voler ou de respirer sous l’eau.

Vous pouvez deviner la suite. Très vite, la course aux Cristaux démarra, et tous tentèrent d’en acquérir pour leur profit personnel. Ces terres devinrent alors le théâtre d’une guerre de territoires, le début de nombreuses discordes, une scène où s’exprimaient tout ce qu’il y avait de plus hideux chez l’homme : la jalousie, l’avarice, l’égocentrisme. L’hypocrisie. Les plus chanceux réussirent même à se faire un stock personnel de Cristaux, et bientôt, trois personnes commencèrent à se détacher du lot, s’imposant comme les Leaders de groupes qu’ils avaient fondé autour d’eux. De jour en jour, des tensions explosèrent entre les trois groupes, qui se mirent à recruter des personnes pour grossir leurs rangs.

Le premier de ces Leaders, un professeur d’université prénommé Alexander, était un homme calculateur et ambitieux, mais également charismatique, avec une grande force de persuasion. Décidant de tourner dos au passé et aux faibles, il avait pour volonté de recommencer sa vie à zéro ici, considérant cette catastrophe comme une chance et une opportunité, et même une bénédiction. Il rassembla tous ceux qui, comme lui, désiraient embrasser cette nouvelle vie. Il n’y avait pas de questions à se poser, il fallait abandonner les « bagages non nécessaires » : les blessés, les enfants, ceux qui n’avaient pas la conviction de vivre, ceux qui désiraient retourner en haut… Il fallait savoir faire des sacrifices et faire une croix sur son passé pour mieux avancer dans le futur. Alexander s’installa alors dans la ville la plus proche des grottes, au sud de la région.

Un deuxième groupe se rassembla autour de Tatsuya, militaire, composé de personnes outrées par le comportement insensible de Alexander et de ses acolytes. Tatsuya était d’accord sur le fait qu’il n’y avait pas de temps à perdre à se questionner sur les origines et les ambiguïtés de ce monde ; il fallait investiguer et occuper les lieux au plus vite, construire et reconstruire avec les nouveaux pouvoirs extraordinaires acquis. Mais il ne pouvait accepter les propos choquants et intolérants de Alexander. Nourri par la rancune et la colère, il fit le voeu de mieux réussir que ce dernier, rassemblant autour de lui ceux qui partageaient ses idéaux. Ils partirent dans le nord de la région, prenant possession des alentours.

Le dernier groupe, plus hésitant, ne se démarquait pas particulièrement, et semblait être composé de ceux qui n’avaient pas osé prendre une décision. Sceptiques, refusant d’admettre la situation, ils se contentèrent d’attendre, un quelque chose qui puisse débloquer la situation, qui puisse les téléporter dans les capitales qu’ils connaissaient. Ils attendirent et attendirent, un miracle ou une lumière salvatrice, une issue inespérée. Se contentant de vivre sans conviction alors que les deux autres clans gagnaient de jour en jour toujours plus de pouvoir, ils refusaient de prendre part à cette vie nouvelle. Finalement, c’est Cassandra, une ancienne journaliste, qui prit la décision de prendre les choses en main, motivant les troupes, guidant tous ceux qui souhaitaient vivre dans le calme vers l’ouest de la région, là où ils seraient à l’abri des conflits.

Et nous. Nous qui n’avions pas eu l’envie, ni le coeur à rejoindre un des trois groupes, avions été abandonnés, au milieu de tout, au milieu de rien. Nous étions « les faibles, les poids, les obstacles » comme le dirait Alexander, nous étions « ceux pour qui nous bâtissons cette nation de l’espoir » d’après Tatsuya, nous étions « la famille, les amis, les sourires précieux » qu’il ne fallait absolument pas oublier comme le dirait Cassandra. Nous étions ceux qui avons refusé de nous soumettre à un système, de nous soumettre à des querelles de pouvoir qui n’avaient aucun sens. Nous étions les Oubliés.

chapitre 3Cinq ans ont passé depuis la tragédie du gouffre, que l’on surnomme le « Kamikakushi ». Nous sommes désormais en 2024. Les quatre groupes qui se sont naturellement formés constituent désormais les quatre « Cités-États » du continent d’Althea, occupant chacun un pan de territoire qu’ils ont auto-proclamé comme étant le leur. La majorité des villes du continent étant peu dégradées, nous avons pu rapidement les occuper et les rénover à notre goût.

Au sud, Alexander a fondé le Royaume de Caer Hrid, dont il est aujourd’hui le dirigeant. A ce jour le plus grand royaume, on le connait comme étant le royaume qui célèbre la vie dans l'abondance et les excès. On n’y manque de rien, et on vit dans une parfaite harmonie entre magie et technologie. Dans les montagnes du Nord, se sont refugiés les compatriotes de Tatsuya, retranchés dans une barrière de froid qui est désormais connu sous le nom du Mont Celestia. Regroupant ceux qui n’acceptent par leur sort et qui ont comme ambition de retourner un jour rejoindre la Terre d’en haut, ils vivent aujourd’hui dans la technologie qu’ils ont toujours connu. A l’ouest, dans une zone où la nuit est éternelle qu’on a nommé la Vallée des Constellations, vivent ceux qui ont suivi Cassandra. Discrets, ils ne souhaitent pas prendre part aux tensions et conflits qui ont toujours existé, jusqu’aujourd’hui encore, entre les deux pays précédents. Puis, à l’est du pays, dans l’immensité du désert qui traverse la région, se cachent les Oubliés. Ne souhaitant pas obéir aux règles de vie de ces différentes Cités-États, ils vivent au jour le jour.

Aujourd’hui, les quatre royaumes cohabitent dans une paix, certes fragile, mais acquise, chacun poursuivant ses propres objectifs : à Caer Hrid, d’étendre et d’unifier leur territoire, au Mont Celestia, de trouver une solution pour rejoindre la surface, à la Vallée des Constellations, de percer les secrets locaux, et pour ceux des Déserts Oubliés, sans doute de survivre.