Les pieds bien ancrés dans le sol, Juliet est prête. Ce soir, elle réussira là où elle n'a encore jamais réussi. Elle terrassera la douleur et les pleurs. Elle ne succombera pas aux cris de son cœur. Elle sait qu'elle peut y arriver, où tout du moins l'espère. Car coincé là, tout au fond de son esprit, habite une crainte. Elle ne sait pas comment la faire sortir d'ici, alors elle préfère l'affronter. Lui faire face n'est pourtant pas une si bonne idée. Quand elle y repense, elle a déjà envie d'abandonner.

Ohé ohé Moe.

Elle a envie de l'appeler à travers le vent. Que sa voix s'envole et retentisse. Qu'elle paraisse plus grande qu'elle ne l'est vraiment. Si grande, si forte. Pas comme une enfant. Néanmoins, elle se tait. Elle patiente. Elle n'est pas sûre qu'il vienne, mais elle espère. Elle était passée en coup de vent lui annoncer une surprise. Qu'il pourrait découvrir cette dernière ce soir, près de l'arbre à souhait. Elle avait souris de toutes ces dents. Elle avait montré le plus grand bonheur du monde. Elle l'avait presque touché. Elle espérait qu'il comprenne.

Et à la fois, elle regrettait. Elle ne voulait pas qu'il vienne. Elle ne voulait pas se confronter à lui comme elle devait le faire. Pourtant, elle ressentait cette obligation. Elle avait ce sentiment qu'il lui mentait. Et le mensonge, Juliet le connait bien. Elle sait que la vérité blesse parfois tout au temps. Mais elle ne peut pas s'en empêcher. Ce n'est pas la première fois qu'elle cédait à se besoin de savoir. Elle en a déjà souffert. Et au fond d'elle, elle sait que cela va recommencer. Cette sensation d'explosion.

Mais elle attend quand même, Juliet. Elle attend de la manière la plus naturelle qui soit. Elle profite même pour regarder les messages de l'arbre souhait. On ne sait jamais, l'argent peut tomber de l'arbre.

À l’instant même où Moebius apparaît, son cœur est écrasé. Il a ce sourire qui lui va si bien, cette candeur dans son regard. La pression qui est exercée sur le cœur de Juliet n’est pas liée à un mensonge, mais au dégoût qu’elle possède à son propre égard. Elle s’en veut alors que rien n’est fait. Le mensonge n’est pas une chose qui la met en valeur. Elle se sent déjà malade. Sûrement que la morte amicale rôde. Elle en a pleine conscience. Aujourd’hui, tout cela s’arrête. Ces gentillesses et ces mensonges. Il n’en restera sûrement rien, pas même des miettes.

Cette main tendue, elle la perçoit comme une épée de Damoclès. Les jeux sont déjà faits. Elle a envie de pleurer. Elle espère qu’il comprenne avant qu’elle ne prononce ses mots. A moins qu’elle ne désire faire croire que ses yeux humides sont le résultat d’une joie trop grande. Son visage se tort dans une expression presque joyeuse, celle qui se mêle à une mélancolie parfois indescriptible. Car oui, Juliet, qu’avais-tu à lui dire ? D’un geste explorateur et incertain voilà qu’elle frôle cette main. Le bout des doigts contre les siens. Ses yeux se baissent vers cette paume qui déjà semble s’éloigner d’elle. Bientôt, l’autre ne sera sûrement plus là. Alors, elle relève les yeux. Une dernière fois, elle observe ce visage. Elle lui sourit. Moebius … Sa voix est à la limite de se briser. Elle inspire. Elle veut pleurer. Tellement fort. Toutes les larmes de son corps. J’y arrive, Moe … Une perle roule le long de sa joue. Elle se détruit vaillamment pour cette quête de vérité. Ses doigts se crispent à peine. J’y arrive. Ce ne sont pas les mensonges des autres qui font le plus mal. Elle se hait pour cette odieuse trahison. Elle s’en veut à mort. Mais elle ne doute pas qu’elle ressentira bientôt pire. La solitude, à nouveau.

Cette douleur d’être seule. Elle s’en souvient comme si c’était hier. Ces dernières années d’enfer. Sa gorge qui se serre, encore et encore. Ses larmes silencieuses lorsque personne ne l’entoure. Sa haine face aux choix divins. L’abandon. Trahir ainsi ceux qui osent prendre du temps pour elle, voilà ce qu’elle n’a rien trouvé de mieux à faire.

What are the roots that clutch, what branches grow
Out of this stony rubbish? Son of man,
You cannot say, or guess, for you know only
A heap of broken images, where the sun beats,
And the dead tree gives no shelter, the cricket no relief,
And the dry stone no sound of water. Only
There is shadow under this red rock,
(Come in under the shadow of this red rock),
And I will show you something different from either
Your shadow at morning striding behind you
Or your shadow at evening rising to meet you;
I will show you fear in a handful of dust.

Elle mériterait bien pire que la mort. Tout cela pour un pressentiment qui ne veut pas s’émanciper d’elle. La voici piégé face à elle-même et sa terrible curiosité de savoir. Son cœur crevé, elle ose mentir sur un rire. C’est un bruit qu’elle trouve immonde qui sort de ses lèvres. Pourtant, il paraît vrai. Alors, elle en profite. Elle s’engouffre dans cette brèche qu’elle a créé. Dis-moi un mensonge, Moebius. Pour me prouver que ceux d’après le sont aussi. Elle sourit. Quelque chose qu’elle fait rarement. Quelque chose qui avait toujours été vrai. N’importe quoi … Tu vas voir, j’arrive enfin à ne plus savoir. Si ses yeux sont immondes, c’est à cause de sa peine. Damoclès va la foudroyer.

Sa main agrippe la sienne. Une dernière fois, sûrement.

Elle sourit. Ses lèvres s'étirent presque automatiquement. Elle donne cette impression d'être heureuse. De savourer quelque chose de nouveau. Juliet a toujours les yeux un peu humides, mais qui ne les aurait pas face à ces conditions là ? Une nouvelle vision du monde allait pouvoir s'offrir à elle.

Si seulement.

Si tout cela pouvait être vrai. Si elle pouvait ne pas avoir ce déchirement au cœur, qui la tiraille au moindre mensonges. Elle se retient si bien. Elle a presque l'impression de s'être habituée à la douleur. Elle la garde silencieusement au fond d'elle alors que le contact est présent. Le mensonge aussi. Ce n'est certes pas un énorme mensonge, il pourrait facilement la faire sourire, et pourtant elle est obligée de forcer l'étirement de ses lèvres.

La situation ne l'amusait pas. Mais alors pas du tout. Elle qui n'aime pas donner sa confiance n'apprécie guère qu'on lui mente. Même par omission. Elle espère se tromper. Elle espère se faire tout un cinéma. Elle en doute fortement. C'est peut-être son sixième sens. Son instinct naturel. Mais elle préférerait ne rien craindre. Elle n'a pas envie de découvrir une vérité qui pourrait la blesser. Un mensonge trop gros de la part de Moebius, quelque chose qu'elle ne pourrait que regretter de savoir. C'est peut-être aussi un peu de cela, sa douleur au cœur. Un pincement qui picote. Cela change un peu de son don. La crainte est parfois plus triste que les faits.

Elle s'en veut vraiment, de douter ainsi. Elle s'en veut de vouloir toujours tout savoir. Elle lutte sans cesse contre sa curiosité depuis qu'elle a ce don. Moebius le sait. Elle s'est déjà ouverte plusieurs fois à lui. Et la voilà qui replonge dans son besoin de vrai. Elle craint pourtant de savoir.

Ses lèvres toujours étirées, elle se permet d'essayer de blaguer, tentant de paraître détendu. Des dattes ? Je ne suis pas sûre qu'on arrive à en trouver ici, Moe. Petit clin d'oeil q'elle veut sympathique. Elle en profite au passage pour essuyer son cœur lourd à l'aide du dos de sa main contre sa pommette. Elle a envie de se montrer scintillante, mais non pas à travers de ses larmes. Tu vois ? Rien de rien ! Je ne sais même pas si tu mens ! Fausse fierté, mensonge bien caché. Elle se détesterait presque.

Elle garde toujours une main contre la sienne. Si elle a fait ce choix de mentir, elle ne peut plus retourner en arrière. Elle s'est elle-même plantée un couteau au cœur. Mais n'en faisons pas tout un plat, n'est-ce pas ? Je suis sûre que ta journée était mille fois mieux que ce que je te dis là. Toujours ce sourire. Une pointe de moquerie dans sa voix. Avec beaucoup de honte, elle ment.

Elle ne s'est jamais haïs aussi fort. Car c'est bien de la haine qu'elle éprouve pour elle-même. Il y a même du dégoût qui s'y mêle. Juliet veut prendre ses jambes à son cou, ne plus jamais revenir. Elle ne le fait pas. Elle se retient fort bien. Elle ne veut pas que les larmes s'écoulent le long de ses joues, puis des siennes. Elle déteste le mensonge.

Sourire faible. Elle devrait mourir de joie, non pas éteindre sa flamme à petit pas. Il est heureux. C'est bien le seul. Elle sait qu'il ne ment pas, car son cœur bat encore. Il se brise. C'est encore plus douloureux que le mensonge d'autrui. Elle veut juste pleurer. A la place, elle s'enfonce. Elle touche le point de non-retour. Hier. Son souffle se coupe, absorbe la dernière syllabe du mot.

Sa main se serre contre celle de Moebius. Il risque de ne pas l'oublier, ce mensonge là. Il risque de la détester. Peut-être ne voudra t-il plus jamais lui parler. Ce n'est pas comme les autres fois. Si elle ment aujourd'hui, c'est à cause d'un doute; ce n'est pas par peur de décevoir.

L'une de ses mains effleure le visage de son ami. Un simple contact. Une main dans celle de son confrère, l'autre contre sa joue. Elle en fait peut-être trop. C'est bizarre, j'ai l'impression d'être toute nue ... Rire gêné, sans sens. De ne plus savoir qui croire ...

C'est une étrange dance qui se lance. Juliet en perd les mots. Son corps se laisse faire, dépouillé d'envie. Au fond, elle a l'impression d'être une simple poupée de chiffon. Une qui racle le sable, grain par grain. Moebius ne s'en rend sûrement pas compte; il a l'air si heureux. Ils se ressemblent et pourtant, le fossé se creuse. Encore et encore.

Elle dépose ses mains sur les bras qui l'enlacent, rapproche ses paumes des doigts proches d'elle, les frôle doucement mais sûrement. Elle inspire, ce qu'on pourrait confondre avec un instant de bien être. C'est de honte qu'elle inspire. Elle cherche là-dedans du courage. Car les paroles de Moebius lui rappelle la raison de son mensonge. Elle colle le dos de son crâne contre le torse derrière elle, et relever le visage vers son ami. Un sourire, elle espére que ça réponse est sincère. Oui, c'est et ce sera toujours le plus important. Elle balance son corps de gauche à droite, notamment ses épaules. Elle lui fait croire que la magie de la danse a bel et bien fonctionner.

Outrageux mensonge.

Elle est décidée. C'est l'instant de sa perdition ainsi que de sa perte. Elle doit savoir. Elle ne serre pas les mains, espère que ce contact va disparaître de l'esprit de Moebius. Son visage se fait plus inquiet. Elle ose mentir, elle qui chasse les mensonges. Elle n'arrive pas à se dire qu'il s'agit là d'une honteuse comédie, car il n'y a guère de scène. Moebius ... Elle cherche son regard à l'aide du sien. Au campement, certaines personnes ... disent du mal de toi ... comme quoi on devrait tous se méfier de toi ... Et l'inquiétude est réelle.