La dextérité dans ton maniement de l'épée, la résistance à la chaleur et à l'effort considérable que cela te demandait... tes atouts se transformaient en faiblesse face à lui. Habituée à du combat à distance, face à des novices, Eirik n'attaquait pas. Le sacrifice de ta garde, qui aurait du l'inciter à te percuter de ses lames n'avait pas fait mouche. Te sous-estimait-il ? Etais-tu seulement un pantin à ses yeux ?

Lorsqu'il se sépare de ses poids, tu baisses les épaules à sa réplique cinglante et baisse ton épée. Les flammes diminuent progressivement pour finalement disparaitre, laissant l'épée luire de son fer froid.

— « Tu retiens tes coups. Encore. » Encore. « Tu me prends pour une moins que rien, hum ? »

Tu te laisses tomber en arrière, le bruit de ton armure fracassant le sol et déposes ton épée à côté. Assise en tailleur (difficilement), tu le contemples d'en bas d'un regard à la fois déçu et résilié. Tu n'étais pas venu le trouver pour lui prouver quoi que ce soit, mais peut-être d'avantage pour te convaincre toi-même.

— « Ce n'est pas en me battant contre toi que je me sentirais légitime de quoi que ce soit. »

Tu l'avais dit à voix haute, et ça te soulageait, intérieurement.

— « Maintenant, si tu as besoin que je te fasse mordre le sol pour que tu daignes m'écouter, je reprendrai ce combat sérieusement. Mais tu as encore moins à me prouver, n'est-ce pas ? »

Tu lui indiques d'un geste de la main de s'asseoir face à toi. Sinon il pouvait aussi t'attaquer, pour de vrai. Mais tu savais qu'il n'y trouverait aucun intérêt, ni dans l'un ni dans l'autre. Qu'il choisisse l'option qui le stimule un minimum.

Eirik était peut-être plus âgé d'une dizaine d'année, tu ne l'avais jamais vouvoyé comme tu pouvais le faire par politesse avec des inconnus. Car même s'il n'était pas ton ami, il n'était pas non plus quelqu'un d'ordinaire à qui tu n'avais jamais adressé la parole. Il avait peut-être l'illusion d'être libre mais il restait sous tes ordres. Tu ressentais le besoin de lui rappeler à chaque seconde ou vous échangiez des banalités.

Tu l'observes lentement et sans un mot récupérer ses poids, déposer son épée près d'un arbre et s'asseoir non loin de toi. Il y avait quelque chose chez lui qui t'impressionnait, plus que chez les autres. Si la stature et la carrure t'importaient désormais peu chez la personne en face de toi, elles n'en restaient pas moins respectables chez lui. Peu pouvait se vanter d'avoir de la reconnaissance de ta part, et il en faisait parti.

Même s'il ne l'avait jamais cherché. C'était ainsi.
Le respect se donne et n'accepte pas d'être refusé.

— « Très bien. »

Tu soupires, déjà lasse d'avance d'aborder le sujet une énième fois. La forêt et un public désintéressé était tout de même plus apaisant qu'une table ronde entourée d'hommes et femmes aux avis tranchés, guidés par des intérêts plus personnels qu'ils ne voudraient le faire croire.

— « J'ai compris au fil des années que cela ne servait à rien de te garder enchainé. Ce serait un leurre pour moi d'imaginer avoir une quelconque autorité sur toi. » Tu fronces les sourcils, le toisant sans le vouloir. « Je n'ai d'habitude guère de temps à accorder à ceux qui sortent des rangs. Mais même si ça me tue de le dire à voix haute, j'ai besoin de ton avis. »

Tu reprends ton épée pour venir en caresser la lame.

— « Après ce qu'il s'est passé chez Rodrigo, et la traitrise d'un certain Chris de Celestia, Alexander est encore plus aux aguets. Même si je sais déjà en soit ce que tu penses du sujet, a-t-on une chance face aux autres royaumes ? Tu ne cesses d'attiser le conflit, mais es-tu persuadé qu'on remporterait la partie si les dés sont jetés ? »

Eirik n'était pas écouté depuis des années. Il était soutenu et admiré par le peuple, il était ce moyen de pression qu'avait celui-ci sur les dirigeants de Caer. Un porte-parole idéalisé que même toi ne pouvait pas le plier à ta volonté. Et pour cause, tu avais cessé d'essayer.
Si son comportement dans le passé a pu éveiller chez certains des désirs de mutinerie, ce n'était rien à côté de ce pour quoi il te faisait passer alors que justement tu lui laissais tout passer.

Pourtant, c'est vers lui que tu te tournes pour des questions relatives à la guerre. Tu la sens proche, et tu observes un Alexander tendu, aux abois. Si un conflit s'installait au sein du continent, Eirik et toi deviendriez-vous alliés ? Ou vos chemins finiraient-ils par se séparer ?

— « Cela allait de soit, quand on compare Celestia et la Vallée. Cependant je rebondis sur ce que tu dis : mieux vaudrait ne pas les sous-estimer. Si Cassandra cache en son royaume une force qui nous est inconnue. »

Ça, c'était une hypothèse comme une autre. Peut-être que personne n'oserait prendre le dessus sur l'autre. Peut-être que les trois royaumes resteront chacun dans leur coin. Peut-être même que cette discussion n'avait aucun sens, au vu d'un dessein bien plus important qui vous attendait.

— « Je te remercie pour ta franchise. Je me demande depuis combien de temps nous n'avions pas échangé quelques mots, Eirik. Le temps passe et nous éloigne d'avantage. Si bataille venait à éclater, j'ose espérer que nous serions dans le même camp. N'est-ce pas ? »