A vrai dire, tu n'as plus l'habitude de côtoyer quelqu'un qui parle autant. Si tu voulais glisser un mot entre ses phrases tu ne le pourrais pas. Avant c'était ta mère que tu écoutais blablater sans fin dans la voiture ou avant qu'on te prenne en photo dans une nouvelle tenue. Mais ça fait bien longtemps que tu n'avais pas écouté longuement un étranger. Tu pourrais presque en rire, mais la mélancolie vient se mêler à ton cœur et ce sont les larmes qui se coincent dans ta gorge. Heureusement Fenrir vient malgré lui à ton secours en te posant une question. Une question qui te fait soulever un sourcil immaginaire puisque ton visage est resté de marbre. Quoique, tes yeux brillent un peu plus, preuve qu'il a tout ton attention maintenant.

« Ce que je cache ? Pour toi tous les êtres humains sont obligatoirement des moulins à parole comme toi ? »

La pique est partie trop vite. Pourtant ceux qui parlent beaucoup ne te dérange pas plus que les autres. Tu pourrais même dire que tu les apprécie plus en raison des blancs qu'ils ne laissent pas. Avec eux, tu n'as pas besoin de tenir une conversation, ce que tu détestes. Mais c'est fait. D'ailleurs tu ne comprends pas sa phrase. Est-ce qu'il te pose la question parce que tu parais réservée ? Parce que tu ne parles pas plus que ça ? Ou est ce qu'il a découvert une fêlure sur ton masque ? Tu ne sais pas comment est ce que tu pourrais réagir si c'était le cas. Feindre la surprise ? Jouer encore et encore le même rôle ? Ou être toi ? C'est beaucoup trop de questions pour toi ça ... Surtout que tu ne sais même pas qui tu es.

Elle marque un point, quand même. Tout le monde parle pas autant que toi, ici bas. Mais en même temps, elle garde son espèce de tête robotique, comme si rien ne l'atteignait et que rien ne l'intéressait. Mais c'est faux, tout ça. Sinon, elle serait déjà partie.

"Non, jveux dire... physiquement. T'as l'air de pas vouloir montrer tes émotions. Et jveux pas faire le psy ou quoi, mais c'est rarement bon. C'est même mieux de les faire sortir."

Toi ton truc c'est d'aller mettre un masque pour faire une chorégraphie ou tu te bats contre un autre être humain. Elle, ça pourrait être de frapper dans des trucs, de chanter au karaoké ou bien n'importe quoi d'autre, à vrai dire.

"Enfin. Tu fais encore ce que tu veux. C'est pas comme si t'allais écouter le premier type sur lequel t'es tombé en sortant de son miroir, quoi."

Tu sors ton holokit. T'as encore du temps, ce matin. T'as tout le temps du monde, presque. Tu dois partir un peu plus tard, mais ça peut attendre. De toute façon, c'est pas avec tes 0 notifications qui craignent que tu vas partir en racontant que t'es occupé.

"Tiens, jte laisse mon numéro d'holokit. T'en fera ce que tu veux. Mais si à un moment, tu veux parler de tout et de rien sans avoir besoin de te cacher derrière ta jolie bouille de poupée..."

Tu sais ou m'appeler. C'est comme ça que t'allais terminer ta phrase. Mais est-ce que t'as vraiment besoin de la terminer ? Pas vraiment. Elle a saisi le truc, de toute façon.

Étrangement, ses paroles ne se fracassent pas sur ton masque comme n'importe quel mot. Ils s'insinuent entre les fissures de celui-ci, viennent se glisser sur ton visage pour mieux tomber dans ton cœur. Et ils tournent en boucle, encore et encore. Ils arrachent tout ce qui faisait de toi Kiana, ne laissant qu'une jeune femme nue dans une immensité noire.

Mais tu reprends très vite tes esprits. Il arrive tout de même à te faire froncer les sourcils, ton regard devenant plus dur. C'est rare d'avoir une telle réaction chez toi. Avant, même une insulte venant de quelqu'un d'autre ne recevait rien de plus qu'un sourire poli. Mais il faut croire qu'il a touché juste et tu n'es plus si solide qu'avant. Eh, mais ce n'est pas ce que tu veux depuis toujours ? En finir avec les faux semblants et te livrer au monde en tant que toi ? Tu l'as toujours rêvé alors pourquoi repousser ce que tu voulais ?
Parce que ça fait peur.
Voilà pourquoi tu ne te sépare jamais de ton masque.
Parce que tu t'es enfermée derrière celui-ci et l'enlever maintenant c'est trop dur pour toi.

« Je t'enverrais un mot plus tard. »

C'est sec mais en même temps il faut que tu reprennes contenance. Il faut croire que tu vas être trop malade le reste de la journée pour pouvoir aller travailler. Tu ne fais même pas allusion à ce qu'il vient de dire, c'est trop pour toi. D'ailleurs tu te lèves et fais plusieurs pas vers le miroir. Tu sens qu'il t'attire, c'est l'heure de repartir. Tu ne voudrais jamais être venue, tu ne voudrais jamais avoir entendu tout ça. Peut-être que lorsque tu auras ressassé cette discussion tu pourras y voir les bons côtés. Mais pour le moment tu es encore trop fragile.

Tu jettes un coup d’œil derrière toi, mais tu n'arrives même pas à lui sortir une phrase toute construite. Tu secoues simplement la tête et plonge ta main dans la surface liquide du miroir.

Te voilà dans ta chambre avec l'impression d'avoir traversé l'éternelle tempête. Tu n'en ferais pas un peu trop ? Pourtant tu as l'impression d'être toute secouée, d'avoir des marques de griffure sur tout le corps dû au sable porté par le vent. Ou sur ton cœur ? Et tout ça à cause d'une personne.
Fenrir.

Outch, c'est quand même ultra violent comme non réponse. Peut être que t'as été trop loin. Genre, elle a quand même froncé les sourcils avant de partir. Et même si elle a l'air de vouloir t'envoyer un message, c'était peut être juste par politesse. T'as pas eu le temps de lui répondre quoi que ça soit, elle a plongé dans ton miroir et elle a juste disparu.

Bon. Et bah ça sera une journée différente des autres, c'est sur. Mais est-ce que tu peux y faire quelque chose ? Non. T'as juste à attendre qu'elle t'envoie le fameux mot. Et puis si elle le fait pas, et bien tant pis.