Tu souhaitais qu'il admire de loin sans prendre de dévorer de prêt. Cette pièce ne devait être qu'un avant-goût, une visite sommaire pour venir divertir vos affaires.
Tu n'attendais rien de lui, ni qu'il te légitime tes goûts en matière d'art, ni qu'il se sente à ton aise et te rassure sur ta bien-séance. Orazio était un outil malgré tout, personnifié au rang d'homme agréable à côtoyer, mais cela n'allait pas plus loin.

Et pourtant, tu lui avais feins de lui faire confiance, l'invitant au sein de ton intimité la plus controversé. Sur le carrelage qu'aucun talon n'osait frapper.
Tu l'observes admirer du classicisme en matière de toile, et n'arrives pas à réprimer ton sourire, satisfaite de pouvoir débattre avec un connaisseur en la matière. Même si ce n'était pas l'attente escomptée.

— « Le royaume de Caer était là à notre arrivée. Avec lui la trace des hommes et leur art aussi. L'homme n'est pas si mystérieux, il a toujours été le même dans sa continuité. Ce qui me fascine, c'est... ou sont passé ceux qui ont peint ces tableaux ? »

Tu fermes les yeux, quand il évoque la tristesse que ça lui évoque. Tu ne partages pas ce sentiment. Toute cette diversité te rend forte, éprise de connaissance. C'était ça le vrai pouvoir, le savoir et la culture.

Tes talons claquent sur le sol pour le rappeler - d'une belle tonalité - à la réalité.

— « Ce que je souhaite Orazio vois-tu... » Tu t'assois au bout de ton lit, tapotant lentement le haut des draps à côté de toi pour l'inviter à faire de même. Le calme employé était presque menaçant. « J'attends de toi que tu me sois utile, surtout. » Murmures-tu à son oreille une fois la proximité installée.

S'il ne saisissait pas les détails de votre arrangement, c'était soit un menteur soit un idiot. Et dans les deux cas, ce n'était pas tolérable pour toi. Tu avais longtemps étiré des larges sourires face aux plus moqueurs, feignant une hypocrite sympathie mais ces temps-là désormais étaient révolus. Si la crainte devait être moteur, qu'il en soit ainsi.

— « Honnête marchand ? C'est donc de ce prestige dont tu te targues ? Je te trouve très drôle Orazio. » Tu approches ton visage du sien, l'air de ne pas rire du tout. « Ce que je te demande pourtant est clair. Tu ne tends pas assez l'oreille, tu ne regardes pas assez prêt. Je veux savoir qui est Chris et les raisons de sa mission à Celestia. »

C'était la colère et la frustration d'ignorer quelque chose de capital qui te rendait aussi amère. Tes pions n'avançaient même plus sur l'équipier et le roi se terrait dans l'ombre.

— « Que dois-je faire pour te motiver à prendre davantage de risques ? »

Cette conversation dérivait un peu trop rapidement dans une partie de poker. Tout était important dans votre échange... la gestuelle, l'expression du visage et même les petites mimiques mimées entre chaque mot craché d'une éloquence rare.

Toi, vindicative ? Tu tâchais pourtant de garder ton calme et ta bien-séance face à lui. Tu comprends qu'il ne sera pas du genre à courber l'échine trop vite. Tu ne sais pas encore si ça t'excite ou si ça t'impatiente. Faire plier les autres à ta volonté par le plaisir, ce n'était pas vraiment un passe-temps qu'on pouvait t'affubler. Cependant, si tu avais bien une attitude en horreur : c'était qu'on se moque de toi, qu'on sous-estime la pression que tu pouvais exercer sur les esprits même les plus forts.

— « Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dis. » Tu te tais, pour écouter la suite de ses revendications. Ton sang ne fait qu'un tour lorsqu'il chatouille l'idée que tu puisses trahir les idées d'Alexander. Tu étais sa soeur, et tu l'avais toujours soutenu dans sa politique publiquement. Qu'il ose seulement répandre cette rumeur !

— « Attention Orazio.. Ne t'aventure pas sur un terrain glissant avec moi. Si tu crois t'en sortir indemne, je pourrais très bien te faire glisser sur mon épée posée juste à côté. » Tu t'amuses à faire danser une flamme dans le creux de ta main. « Ou peut-être te brûler vif, feignant un incendie accidentel dans ma chambre ? Personne ne retrouvera tes cendres lorsqu'elles se seront envolées par un coup de vent. »

Des paroles en l'air, bien-sûr. Même la générale des armées de Caer ne pourrait pas échapper à la justice en cas d'homicide volontaire en dehors du champ de bataille. Être princesse ne t'octroyait pas tous les droits du monde, mais tu aimais l'idée qu'il puisse y croire ne serait-ce qu'une seconde. Tu plisses les yeux pour le dévisager, affichant finalement un sourire narquois tu poses ta main sur son épaule.

— « Je plaisante. Tu pourrais être bien plus précieux que tu ne le laisses croire. » Tu croises les bras, réfléchissant à sa proposition. Une décharge pour se rendre sur Celestia ? « C'est envisageable. Mais à quel prix ? Je veux pouvoir avoir la garantie que cela t'aide à en savoir plus. Et je te récompenserai comme il se doit. »

Tu voulais éveiller son intérêt, son appétit du profit.

— « N'as-tu donc aucune attente ? Que voudrais-tu que je t'accorde en échange de tes faveurs ? »

Ce genre de pacte, avec un blondinet, ça faisait écho à de drôles de souvenirs.

Il s'était tout de suite repris, sûrement amusé par ton changement de comportement, mais averti sur les conséquences s'il manquait à rendre le sien respectueux.
Tu n'aimais pas les menaces déguisées, même si tu en étais la souveraine. Tu n'aimais pas qu'on puisse t'attaquer ouvertement avec tes propres armes, et encore moins en se drapant d'un voile mielleux et faussement tendre. Tu ne savais pas quoi penser d'Orazio, à la fois séduite par sa gueule d'ange qui t'endiguait dans le fleuve de l'interdit, et à la fois meurtrie par la pulsion malsaine de vouloir l'écraser sous tes chaussures. De le dominer autant physiquement que socialement.

— « Je n'en ai pas douté une seconde, ne t'inquiète pas Orazio. »

Toi aussi tu pouvais t'armer de sourire cauteleux pour lui faire comprendre qu'il n'y avait aucun problème. Du moins, il n'y en aurait pas si vous continuiez ainsi.
Orazio fait l'éloge de son plan, exposant ses arguments, et tu hoches la tête en secouant la main comme cesser les négociations.

— « Très bien, très bien. J'ai compris. C'est d'accord pour Celestia. Mais à la moindre entourloupe, c'est moi-même qui viendrait mettre fin à ton contrat. De mes propres mains. »

Il n'y avait même plus de faux-semblants. Oeil pour oeil, dent pour dent.
Tu saurais le couvrir de récompenses s'il se démène pour la victoire (l'atteignant ou pas) mais à la moindre fuite ou preuve de lâcheté, il serait terminé. Tu ne pouvais plus le supporter. Une tête blonde, mais pas deux. À croire que tu succombais vraiment aux pires menteurs de ce continent.

Tu éclates de rire à la référence à Faust.
Tu n'étais pas Mephisto.
Il y a des airs de déjà-vu qui t'arrachent un soupire discret de nostalgie.

— « Rien ? » Tu avais hoqueté de surprise, les yeux cherchant à le défier pour déceler les sous-entendus devant cette déclaration. « Je.. Je vois. »

Hahaha. Amis. Etait-ce une blague ou une demande sincère ?

— « Je dois dire que je suis honorée par ton sens de la franchise. Oh les mots sont bien choisis, c'est habile. Je ne peux que respecter ton audace Orazio. Soit, nous pourrions être amis, peut-être. Alors voyons désormais notre marché comme un échange subtil de services. Qui feraient plaisir l'un à l'autre. »

Tu te lèves, les bras croisés sur ton ventre. Tu lui indiques la porte d'un regard.

— « Tu auras le papier officiel que tu souhaites demain matin à neuf heures à la tour de garde. Je t'enverrai un mot de passe via ton holokit et j'en informerai les gardes qui te le fourniront. Nous nous reverrons, mon cher ami. »

Et alors qu'il se lève du lit, tu t'approches pour effleurer son épaule d'un doigt, comme pour en recueillir la saleté qui pourrait s'y loger.