C’est avec la mort au ventre que tu te laisses tomber sur ton lit en arrivant dans ton appartement. T’es crevée, plus qu’à l’habitude. Toi qui te retrouves normalement pleine d’énergie après un match, t’en voilà complètement vidée. Il faut dire que le match ne s’est pas soldé par la victoire que tu attendais, mais plutôt par une défaite crève-coeur. On pourrait croire que tu y es habituée, après tout, il est impossible de gagner tous les matchs, mais non. C’est bien là le revers de ta passion évidente, le fait que tu prends tout un peu trop à coeur. Ça te rend particulièrement motivée dans les matchs, le genre de joueuse qui n’abandonne jamais parce qu’elle a espoir de pouvoir changer la donne. Ça a d’ailleurs été ton espoir de la soirée. T’as essayé de marquer le but égalisateur, tu t’es démenée pour créer des opportunités pour ton équipe. Ça n’a pas fonctionné, même lorsque tu as eu une occasion en or lors d’un tir de pénalité. Peut-être est-ce pour cela que tu prends autant mal le résultat final, parce que t’aurais pu y faire quelque chose si tu n’avais pas raté ton coup.

Malheureusement, si aucun de tes colocataires ne semblait d’avis de venir te déranger dans ton état de loque, ce n’était pas le cas de ton holokit. Tu vois l’alerte que tu y avais mis pour avoir le temps de te préparer avant de sortir, ce que tu ne ferais définitivement pas ce soir. T’éteints donc l’alerte avant de lancer ton holokit un peu plus loin. Tant pis pour ce que tu avais prévu pour la soirée, t’étais plus d’humeur. Du moins, c’est ce que tu te dis sur le coup, l’instant d’après, t’as une réalisation. Sasha. C’est vrai. Tu roules dans ton lit pour récupérer ton holokit que tu ouvres rapidement pour lui envoyer un message. Tu pourrais te sentir mal de décommander à la dernière minute de cette façon, ça ne se fait pas trop au fond, mais vu ton état, c’est sans doute mieux ainsi. Tu lui explique vites fait que tu n’es pas d’humeur pour sortir, mais que tu te rattraperais une autre fois. Ça devrait suffire.

C’est donc sans attendre une quelconque réponse que tu sors de ta chambre pour passer sous la douche. Après t’irais dormir et tu pourras espérer que demain soit un meilleur jour. Sinon tu ferais la gueule, ce n’est pas comme si ce n’était jamais arrivé jusque maintenant. Tu prendras une journée pour toi et t’ira passer toute ta frustration au gym, ça ferait une pierre deux coups. Ton plan se transforme quelque peu lorsque tu ressors dans la douche. Avant d’aller dormir, tu commanderais quelque chose à manger, parce que comme ça, tu pourrais commencer à gérer tes émotions (en les mangeant). Dommage que ce plan aussi se ferait changer aussi.  

T’entends ton téléphone vibrer un peu plus loin alors que tu sors de ta chambre. Sans doute la réponse de Sasha au message que tu lui as envoyé, même si tu ne prends pas la peine de surveiller. Tu te dis - vainement - que si tu ne regardes pas sa réponse, tu n’auras pas à t’en soucier davantage. T’es consciente que ça ne fonctionne pas ainsi, que ton amie n’est pas ainsi, mais tu n’as pas la tête à t’en préoccuper davantage. T’oublies même ce détail alors que tu planifies le reste de ta soirée qui se fera de façon beaucoup moins glamour : un peu de malbouffe et du repos sous ta couette, voilà qui te ferait le plus grand bien. C’est sans compter l’avis inverse que pourrait avoir celle que tu venais d’abandonner. T’es surprise d’entendre cogner à ta porte aussi rapidement et avec autant d’insistance. Ça te parait étrange venant d’un livreur, déplacé même, mais ça ne t’empêche pas d’aller ouvrir.

T’y découvre une toute autre personne : Sasha. C’était prévisible et pourtant, ça parvient à te surprendre. Elle aurait pu sortir sans plus d’histoire, mais non. Tu fronces les sourcils devant ses arguments. A-t-elle raison ? Peut-être, mais ça ne te donne pas plus envie de sortir. « Bien sur que si. » À tes yeux, c’est une excellente raison, parce que cette défaite t’affecte évidemment. Il suffit de voir ta tête, ta tenue, rien qui ne semble plaire à ton amie. Elle s’invite plutôt à entrer chez toi. Ça t’arrache un soupire, mais tu ne fais rien pour l’arrêter, pas plus que tu ne t’opposes vraiment à la directive qu’elle te donne.

À la place, tu la dépasses pour aller te laisser tomber sur le canapé. « T’as pas plutôt envie de rester ici ? J’ai commandé à manger. » Oh tu te doutes de la réponse. Elle n’a définitivement pas l’air de quelqu’un qui a fait tout ce trajet pour se laisser tenter par un demi-burger et des frites molles. « Quoi que j’imagine que je n’ai pas le choix ? » Elle est là après tout et même si tu ne crois pas en sa menace, tu n’as aucune envie de la tester. Ça ne motive pas plus à bouger, à te préparer à aller à une fête. T’as le moral dans les chaussettes, sortir n’est pas exactement ce que tu as envie de faire.  

L’image de toi avec la forme d’un ballon de football te surprend assez pour te faire rire. Oh c’est impossible, tu mangerais des burgers tous les jours que tu ne prendrais pas plus que quelques kilos vu le temps que tu passes dans un gymnase ou sur le terrain à courir. « Mais c’est bon les burgers. » Est-ce que c’est vraiment la seule chose que tu trouves à répondre ? Oui. T’es pas footballeuse pour tes capacités d’argumentation non plus. T’es juste têtue, trop pour ton propre bien, surtout dans ce genre de situation. Et pourtant, dans la situation inverse, tu serais la première à débarquer chez un ami pour le tirer de sa torpeur, tu l’as fait avec Lexie après tout. Là, alors que t’es celle qui se morfond, tu trouves ça tout de suite moins agréable.

Ce qui ne rend pas les choses plus simples. Il est difficile de s’opposer à la volonté de Sasha alors qu’elle vient se dresser devant toi. Tu n’as rien à répondre à sa question, te sentant un peu trop attaquée par la vérité qu’on t’envoie au visage. Tu voudrais avoir une réplique brillante ou un meilleur plan pour ta soirée, mais la vérité, c’est que t’as ni un ni l’autre. « C’est trop gentil. » Tu sais que ça n’arriverait pas de toute façon. Pleurer dans le confort de ton appartement est une chose, pleurer en public en est une autre. Sauf peut-être des larmes de joie lors d’une victoire parfaite, c’est hors de question que tu t’affiches ainsi. « C’est bon, c’est bon. J’y vais. » Ça sert à rien de t’y opposer plus longtemps. Sinon, tu ne serais même pas surprise si Sasha décidait de te changer de force en plein milieu du salon.

Tu te tires donc du confort de ton canapé et rapplique dans ta chambre pour trouver quelque chose de décent pour passer la soirée avec Sasha. Tu connaissais les standards de ton amie, tu ne peux pas prendre les premiers vêtements propres de la pile. T’entreprends de te changer pour enfiler un crop-top aux couleurs de ton équipe de football (comme beaucoup de tes vêtements) avec des jeans serrés. Ce n’est pas aussi classe que la tenue de la russe, mais ça va bien avec ton charme naturel tu supposes. « Ça te convient ? » Que tu demandes alors que tu termines d’enfiler des chaussettes, plus ou moins prête à partir. Autant lui demander son avis avant d'enfiler tes chaussures, ça t'éviterait des mauvaises surprises. 

Ta tenue passe le test ultime - à savoir subir l’opinion de Sasha - et vous pouvez donc y aller. Tu sais pas trop pourquoi tu t’es laissée convaincre si facilement. Peut-être parce que tu savais que rester sur ton canapé à manger des burgers n’étaient pas la meilleure chose à faire. Peut-être parce que tu ne voulais pas décevoir une amie. Au final ça importe peu, tu sais que tu passeras un bon moment avec elle, comme à chaque fois. « Je devrais t’enregistrer, c’est plaisant pour mon égo. » Comme si ton égo avait vraiment besoin de ça. Peut-être ce soir, jamais le reste du temps.

De toute façon, ce n’est que de courte durée puisque Sasha revient à la charge avec une critique sur les baskets que tu comptais (définitivement) mettre. Tu grimaces à la mention des talons hauts, t’apprêtant à débattre sur la question. T’as une multitude d’arguments sur la question, dont le plus important est que tu n’aimes pas les talons. Il y a aussi le fait qu’elle devrait très certainement te trainer une bonne partie de la soirée parce que tu aurais trop mal aux pieds pour avancer. « Elles sont très bien mes baskets. » Encore une fois, t’es pas la meilleure en argumentation. Ce qui ne t’empêche pas de faire un effort et retirer tes chaussettes pour enfiler autre chose que tes baskets. Tu ne pousses pas l’effort jusqu’aux talons, mais des chaussures plates feront l’affaire.

Suites à ça, tu attrapes un sac à bandoulière dans lequel tu mets ton holokit et ton portefeuille pour suivre Sasha jusqu’au taxi. « Par contre, je te préviens, je reste pas longtemps. » Est-ce que tu allais vraiment tenir cet avertissement ? Probablement pas. Te connaissant t’oublierais surement tes soucis le moment où tu mettrais les pieds là-bas. Mais quand même, vaut mieux prévenir que guérir. La preuve, vous n’êtes même pas arrivées que ton esprit passe à autre chose : « En arrivant on prend des shots ? » C’est une façon comme une autre d’ignorer ce que tu peux ressentir après la défaite au fond. T’as pas d’entrainement le lendemain alors autant en profiter autant que possible.  

Bien que ton humeur ne se soit pas magiquement améliorée à partir du moment où tu as mis les pieds dans le taxi, tes idées se succèdent rapidement. T’es rassurée par la promesse que ce n’est pas pour longtemps, que tu pourras retourner à tes burgers et ton canapé. Vous savez toutes les deux que c’est une promesse inutile, que l’alcool et la fête feraient leur travail avec une rapidité effarante. La preuve, t’en es déjà à planifier les shots que vous alliez prendre. T’es satisfaite par la réponse de Sasha. « Parfait. » Peut-être avait-elle raison au fond. Tout ce dont tu as besoin, c’est une soirée pour te changer les idées et la bonne compagnie pour en profiter.

C’est pour ça que tu ressors du taxi avec un enthousiasme retrouvé. Tu déprimes toujours, mais c’est maintenant enfoui un peu plus loin. Tu peux te concentrer sur ton amie, te laisser entrainer par ce qu’elle te dit et la promesse de shots. « Je déprime pas, je digère la défaite. » Oui bon, à te voir sur ton canapé, déprime aurait sans doute été un mot plus approprié. Là au moins, t’as un semblant de sourire sur les lèvres alors que vous avanciez vers le bâtiment. « Mais je suis prête. » À l’intérieur, tu te diriges directement vers le bar. On ne peut pas te blâmer de ne pas avoir tes priorités à la bonne place. Tu commandes trois shots chacune, juste pour bien te rincer le palet de l’amertume de la défaite.

Nouveau sourire sur les lèvres. Tu cognes ton verre contre celui de Sasha : « Santé ! » Avant d’avaler le contenu d’un coup. T’aimes pas particulièrement le goût, mais tu sais pertinemment que tu seras de meilleure humeur après les trois verres, que tu oublierais tes tracas aussi. Alors que tu attrapes le deuxième verre, ton regard se pose (enfin) sur la tenue de ton amie. « Je sais toujours pas comment tu fais pour danser avec ces chaussures. » T’annonces les couleurs de ce que tu veux faire après avoir caler l’alcool. Ça ne t’empêche pas de t’attarder sur les mystères que tu ne t’expliques pas. Parce que même s’il t’arrive de porter des talons - souvent quand on te force à le faire - t’es loin de les maitriser. Au moins tu peux être sure qu’elle, elle pourra te suivre.