Le chaos ne se déchaîne plus, le monstre dort à présent sous son drap de rocher et ne verra certainement plus jamais la lumière aveuglante du soleil du désert. Pendant un moment seuls les gémissements des uns et les cris de désespoirs des autres retentissent sur le sable chaud. Puis une cacophonie, tant d'holokit qui retrouvent leur fonction font vibrer leur colère comme tant d'âmes perdues. Et la belle de nuit sanglote, le cœur déchiré.

Pourtant elle se relève encore, jamais elle ne reste à terre. Ces pétales qui jamais ne fanent. Ils se déploient vers le soleil pour y puiser de la force. La force d'appeler à l'aide entre deux sanglots. Certains des petits son blessés et nécessitent des soins. Comme beaucoup d'entre vous, c'est vrai. Comme Aloïs et comme tant d'autres.

Et enfin ils sont pris en charge. Enfin elle peut se relâcher, elle peut se rapprocher de Thaddeus la mine piteuse. Sans un mot car elle à peur que sa voix ne se brise. Ou simplement parce qu'elle ne sait pas vraiment quoi lui dire. Elle sait que tout ça, ça ne mérite pas de mots alors elle sèche brièvement ses larmes et elle pointe la tente où ils ont tous été emmenés pour vérifier les petits et les gros bobos. Elle lui prend la main, doucement pour le guider et pour se rassurer. Surtout pour le sentir près d'elle, pour se dire qu'elle n'est pas toute seule. Que tout le monde n'a pas succombé et qu'on va retrouver les autres petits aux quatre coins du sable. Tout ça ne peut pas se terminer si mal, pas pour elle, pas pour eux. Pas après tout ce qu'elle a vécu. Le destin ou celui qui est là haut ne peut pas être si cruel.

Et pourtant.

Oh et pourtant un petit corps attire son regard à quelques pas d'elle. Lâchant la main de son ami, son regard est rivés sur celui-ci. Il n'est pas très âgé mais même sous ses airs d'enfant, elle le voit. Ces traits monstrueux, les yeux vitreux figés à tout jamais vers le soleil brûlant.

Et pourtant la glace enserre son cœur, parcourt lentement ses veines et figent tous ses organes un par un. Elle tombe à genoux devant ce corps immonde, terrassé lors de la bataille où elle n'a servi à rien. Sa main vient caresser le front dégarni de la créature en tremblant, tendrement. Elle ferme les yeux et offre son visage au cruel astre qui la regarde de haut, qui se moque du vide qui menace de l'engloutir pour de bon cette fois. Elle se rassure, les bras ballant le long de son buste. Elle refoule les larmes, la colère et le terrible sentiment de désespoir qui la fait flancher. Ce n'est pas son fils, ce n'est pas son fils, ce n'est pas son fils.

Mais voilà ce qu'ils sont devenus là-haut. Voilà à quel destin elle a voué le fruit de ses entrailles.

Doucement, maternellement elle vient enserrer le petit corps dans ses bras. Malgré l'odeur de la créature, elle le serre contre elle alors qu'elle se recroqueville sur lui.

Définitivement brisée.

C'est fini.

Tout est fini. Mais ce tout n'englobe pas seulement ce combat, mais aussi de nombreuses vies. Probablement la sienne. Dépossédée de sens après ce qu'il vient de se produire. Thaddeus, vidé, ne sait plus comment respirer. Et pourtant. Il entend sa respiration qui ne cesse de résonner au creux de ses oreilles. Ils l'ont pris. Ils ont éloigné Aloïs. Pourtant, lui, n'a pas bougé. Les genoux enfoncés dans le sable, il est incapable de se relever. Persuadé de ne plus jamais y arriver.

Pourtant, il n'a pas le choix. Il ne peut pas rester ainsi alors cette main qu'il connait si bien vient à lui. Il ne peut pas être misérable alors qu'elle se tient debout et pas lui. Elle est vivante. Et au fond, Aloïs aussi. Mais pas d'autres. De qui va t-on lui annoncer la mort ? Il ne trouve pas les mots. Juste cette accroche. Il la tient, ne désire pas la lâcher. Elle est vivante. Toujours auprès de lui. Et il ne sait pas pourquoi. Ne sait pas ce qu'il a fait pour mériter cela. Mais jamais il ne désirera la quitter. Alors, porté par cette seule présence, il y arrive. Il se relève malgré la peine et la suit, docile. La suivra toujours.

Même quand son corps s'écrase auprès d'un plus petit. Qu'il en soit ainsi. Thaddeus ne peut pas partager cette peine maternelle et pourtant, tout son être son brise. Il a échoué. Lui qui désirait offrir à ces enfants une vie heureuse, le voilà réduit à spectateur de malheur. A son tour, il s'abaisse. Ne se relèvera sûrement plus. Au côté de ces deux corps brisés, il ne peut que s'écraser au sol. Cette main l'a quitté. L'accepte. Il cherche des siennes le dos de la belle. Et le voilà qui fait ce qu'il sait mieux faire. Enlacer ceux qu'il aime. Contre lui, Mathilde et ce petit. Ce putto qui sous ses yeux ne cesse pourtant pas de vivre.

Tremble le corps. Gronde la tristesse en son sein. Contre lui, Mathilde et ce petit, oui. Deux êtres qui a jamais lui sont chers. Et pourtant, deux êtres brisés. Tremble encore. Malgré ce contact qu'il veut rassurant, ses mains se crispent. Gorge serrée, ventre noué. Il ne peut pas rester de marbre face à cela. Jamais.

Thaddeus ne se retient plus. Sa respiration bruyante, la colère qui cogne dans son crâne. La peine. Cette douleur lorsqu'on perd un être qu'on aime. La proximité de Mathilde ne le soulage pas. Ne le contient pas. Sa voix retentit dans le désert. Cri de désespoir de chagrin. Thaddeus, en deuil, hurle à la mort.

Il explose.

Le tonnere gronde, gronde sa rage au ciel sourd de sa colère. Et la fleur sursaute à ce son inattendu, il la sort de sa transe, le visage inondé de larmes. Il la rappelle à la réalité, à cette cruelle réalité qui ne la laisse pas seule. De nombreuses personnes ont perdues quelqu'un de cher, quelqu'un qu'ils ne reverront plus.

Le moment des adieux. Cinq longues années qu'elle repoussait ce moment. Qu'elle ne voulait pas regarder les choses en face. Mathilde laisse libre cours à son chagrin, à son malheur sans un bruit. Thaddeus est prêt d'elle et peut-être que finalement elle est prête pour son dernier regard. Pour son dernier adieu. Il crie pour elle, alors qu'elle est incapable d'ouvrir la bouche autre que pour prendre une respiration erratique. L'air se coince dans sa gorge, des spasmes secouent son être alors qu'elle caresse encore une fois, une dernière fois la tête de ce petit qui aurait pu être le sien. Mais il faut se rendre à l'évidence, elle ne le reverra pas. Elle l'enterre ici en sanglotant, en même temps que ses espoirs. Il s'est éteint, tout comme sa flamme intérieure.

Mathilde détourne le regard, ferme les yeux et souhaite en finir avec tout ça. En finir avec le désespoir qui la consume, qui grignote son cœur et son esprit. Elle se retourne vers son ami qui reste toujours là. Lui est toujours près d'elle depuis le début de cet enfer. Elle gémit et dans le flou de son regard elle aperçoit la même colère, la même peine chez cet homme qui jamais n'élève la voix. Cet homme qui n'est que douceur et amour.

Elle se jette sur lui, enfouit son visage dans ses vêtements souillés de sable et d'autres choses encore. Mais elle ne crie pas son désespoir, ne crie pas son mal. Silencieusement elle se vide de toutes ses larmes en débutant le douloureux processus de deuil.

Au bout du compte c'est peut-être ça qui la délivrera.

Il hurle pour eux deux et bien plus encore. Pour ces corps qui jamais ne se relèveront. Pour ces enfants aux sourires angéliques. Le monde entier a besoin de cet hurlement de désespoir, qu'un père trop aimant offre en héritage aux âmes qui partent. La belle offre quant à elle une sépulture à ce petit qui jamais ne sera oublié. Pas par lui. Il se le promet. Sa voix se tait mais en lui gronde toujours l'agonie.

Thaddeus est un homme doux, mais nombreuses sont les morts pouvant ébranler cette tendresse. Aujourd'hui est un jour maudit. Un de ces jours dont on ne se remet jamais. Qui brise bien des choses. Il a ce sentiment que beaucoup sont morts nés. Peut-être est-ce du à ce désastreux retour sur Terre. Terre chérie, Terre rêvée, mais probablement détruite à jamais. Et Mathilde. Mathilde et son tout petit qu'il voulait tant, tant retrouver. Il ne peut pas la soulager de cette peine. Ne peut pas se permettre d'espérer pouvoir le faire. Il peut juste rester là. A ses côtés.

La laisse aller contre lui. Il en profite plus qu'il ne veut l'avouer. La savoir contre lui, c'est se savoir vivant. Il la serre. Ne la laissera pas partir. Jamais. La gardera enchaîner dans ce monde qui a désormais plus à offrir. Ne désire pas la voir sombrer. Il doit se montrer fort et il le sait. Il la laisse pleurer contre elle, malgré ses propres tremblements. Il retient en lui ses derniers hurlements. Les garde pour avoir la rage d'avancer. De se relever. Pour ceux ayant survécus. Pour ceux qui ont tout perdu. Ils ne peuvent pas rester là, à hurler et pleurer sans cesse. Mais en cet instant, ils le font. Et Thaddeus s'en moque éperdument. Il se permet cet instant d'égoïsme. Se permet de serrer cette femme qu'il aime tant contre lui.

Je suis là, Mathilde.
Nous sommes là.

Il embrasse son crâne. La réconforte comme il a toujours su le faire. Les yeux humides, il se relèvera. Il ne peut pas en être autrement. Mais pas maintenant. Il se permet de pleurer contre cette chevelure. Ils sont là. Toujours là. Pleurant les morts d'aujourd'hui et d'hier.

Ses yeux déjà bien gonflés d'avoir tant pleurés s'entrouvrent pour se poser sur son ange. Il la tient contre lui et c'est ce qui l'ancre dans ce monde. Il lui rappelle que tant d'enfants attendent encore son retour, qu'elle ne peut baisser les bras alors qu'elle a construit tant de choses chez eux, dans le pays de la neige. Mais ô combien c'est dur de se relever avec cette douleur dans son cœur et la culpabilité d'avoir laissé son fils, son tout petit aux mains du diable.

Et c'est tout contre Thaddeus qu'elle laisse le flot la submerger, qu'elle laisse le flot se tarrir contre les vêtements de cet homme qui n'a jamais cessé de la protéger. Combien de temps s'écoule sous ce soleil de plomb ? Combien de larmes ont coulées sur ses joues trempées ? Épuisée, elle aurait voulu se laisser aller contre le sable, fermer les yeux et attendre le sommeil libérateur. Mais c'est impossible ici. Soudainement c'est l'accablement qui vient pser sur ses épaules, vidée de toute énergie.

« Merci. »

C'est tout ce dont elle est capable pour le moment. Elle l'a à peine chuchoté, heureusement qu'elle se trouve tout près de l'oreille de Thaddeus sinon celui-ci ne l'aurait jamais entendue. Puis elle s'enferme dans un silence réparateur. Elle se redresse doucement et chancelle sous la chaleur qui rattrape son corps. Elle frotte ses yeux bouffis, quelle image elle doit renvoyer ? Ce n'est pas sa priorité de toute manière, elle cherche seulement à trouver un nouvel objectif à sa vie. L'orphelinat semble marteler sa voix intérieure. Les enfants. Elle n'est pas certaine de pouvoir pleurer les disparus s'ils ne sont pas revenus. Elle ne sait plus.

Son cœur est vide au contraire de sa tête qui semble bouillonner, trouver un sens à tout ça. Mais l'organe dans sa poitrine semble avoir retrouvé un semblant de paix en s'enfermant ainsi dans sa cage thoracique. Il bat seulement parce qu'il faut battre, poussant les émotions de côté. Et c'est le visage désert de toute expression qu'elle fait voix vers la tente des blessés. Elle aurait pu faire le chemin seule, et pourtant, comme une enfant elle a prit la main de Thadd. Lui tirant de la force pour avancer, sans lui elle serait restée là pour l'éternité aux côtés de ses illusions.

Mathilde a toujours été plus forte que n'importe qui. Elle ne s'en rend peut-être pas compte, mais Thaddeus l'a remarqué pour eux deux. Et la voir ainsi se relever, encore, malgré ces larmes et la douleur, ne fait qui lui prouver une fois encore qu'il ne s'était pas trompé. Et si les rôles semblent parfois inversés, la réalité les rattrape en ce jour. Ce n'est pas lui qui la soutient, mais elle qui la tire. Depuis cinq années, les choses sont ainsi faites. Si elle n'était pas là, lui non plus n'existerait pas. Pas comme aujourd'hui, en tout cas.

La main. Celle qu'elle lui tend encore, qu'il ne refuse pas. Jamais. Et il la prend, encore une fois. La prend pour ne plus la lâcher. Là-haut ou ici-bas, ils ne se sépareront pas. L'homme se relève physiquement, bien qu'il se trouve toujours au plus bas. Mais ainsi accompagné, comment pourrait-il ne pas se relever ? Il sert cette main, peut-être trop fort, mais ne peut pas se retenir.

Mathilde ne l'abandonne pas. Elle est bien là. Sa voix imperceptible est arrivée jusqu'à lui. S'il doit continuer, ce n'est pas pour lui, mais pour elle. Elle qui a tant enduré durant cinq longues années. Qui avait tant espéré. Elle avait quelque chose qu'elle voulait retrouver, là-haut. Ce n'était pas le cas de Thaddeus qui finalement, voulait juste se reconstruire. Le contraire s'était produit.

Et les pas les rapproche d'une vérité qu'il ne veut pas affrontée. Il sait. Il sait qu'il y a eu des pertes. Il sait que les choses vont changer. Que les enfants n'auront plus envie de rire. Que certains en seront incapables, pour toujours. Mais il doit le voir. Se rendre compte des choses par ses propres yeux. Pleurer ses morts, encore une fois. Parce que Thaddeus épuisé sait qu'il ne pourra pas se retenir. Il a déjà hurlé, il lui reste ses larmes à faire couler.

Il ne veut pas.

Et pourtant. Il n'attend qu'une chose : que Mathilde fasse le produit. Parce que lui en est bien incapable. Il doit être tiré vers l'avant pour ne pas s'effondrer. Et penser aux enfants ne le rend pas plus heureux.

C'est une équipe bien abîmée qui s'avance vers les tentes. La fleur cherche les petits tout en tenant la main de Thaddeus. ou alors c'est lui qui lui tient la main et elle qui avance, qu'importe. Elle n'est plus capable de réfléchir correctement de toute façon, elle avance plus parce qu'elle n'a pas le droit d'abandonner les autres, eux aussi comptent sur elle. Et ses larmes, elles les a toutes déversées déjà. Elle se sent vide de tout.

Elle s'avance doucement vers le groupe d'enfants qu'elle a enfin vu au loin. Ils sont restés ensembles c'est déjà très bien. Elle en entend certains pleurer mais c'est ceux qui restent assis bien sagement qui devraient l'inquiéter. Mais une fois qu'elle est là elle ne sait plus quoi faire alors qu'ils tentent chacun de se rapprocher de vous en pleurant. Elle regarde Thaddeus, apeurée devant leur propres craintes. La belle de nuit ne sait plus quoi faire, elle est épuisée physiquement et émotionnellement. Les paroles rassurantes qu'elle aurait voulu leur livrer restent coincées dans sa gorge alors elle reste là, debout alors qu'elle voudrait simplement s'allonger dans un coin, peut-être dans les bras de Thaddeus pour éloigner les cauchemars. Elle caresse des têtes de sa main libre et observe les bandages. Mais son esprit est resté avec son enfant à elle. S'en remettra-t-elle un jour ? Elle n'en est pas certaine.

Mais bientôt il faut qu'elle se rende à l'évidence, quatre des enfants ne sont pas revenus. Elle pose sa tête sur l'épaule de son ami et ferme les yeux pour les pleurer, sauf qu'elle n'en est même plus capable. Son cœur saigne à la place de ses yeux.

Quatre enfants.

Ce n'était plus six mais quatre enfants qui manquaient à l'appel. Et malgré ce terrible malheur, il ne peut pas s'empêcher d'être un peu soulagé. Parce que deux s'en sont sortis. Cela aurait pu être mieux, mais tellement pire. Ses épaules s'affaissent. Il donne l'impression d'être ailleurs, Thaddeus, parce qu'il n'arrive pas à jauger la situation. Savoir quoi leur dire alors que les petits êtres sont autour de lui. Il aurait aimé que Mathilde dise quelque chose. Mais les gronder n'est peut-être pas d'actualité. Alors il comprend son silence peiné. C'est à lui d'agir.

Alors, il s'abaisse. Il se met sur un genoux, parmi eux. Il écarte les bras en gras, Thaddeus, afin que ceux qui le désirent s'y écrasent sans soucis. De ses bras, il veut les protéger de ce monde horrible. Les choses ne seront plus jamais comme avant, oui, mais quelque chose ne change pas. Et il doit leur dire, leur annoncer. Parce qu'il a déjà crier, alors il peut bien leur murmurer.

Nous sommes rentrés.

Et il les sert contre lui, ne veut plus les quitter, ne les quittera jamais. Un regard vers Mathilde. Ils ne sont pas rentrés. Pas vraiment. Mais les choses sont peut-être pour le mieux. Il a perdu l'espoir, Thaddeus. Il ne pense plus rentrer un jour. Pas là-haut, en tout cas.

Nous sommes là,
mes petits putti.

Il se permet, oui, de parler en nous. Parce que malgré tout ce qui s'est produit, ils sont toujours à deux. Toujours à deux pour eux, même si choqués, même si endeuillés, ils sont là et ils doivent le montrer.

Mathilde observe Thaddeus offrir ses bras aux petits qui le demandent. Ça ne l'étonne pas, elle sait qu'il tient à eux autant qu'elle, peut-être même plus. Alors elle imagine bien que que ça le touche, que ça lui déchire le cœur à lui aussi de voir que certains ne reviendront pas. Est-ce trop après l'enterrement de son enfant ? Elle se perd en elle, Mathilde ne trouve pas le chemin du retour et se sent plutôt effacée malgré la situation. Pourtant après avoir regardé les enfants se réfugier dans les bras de son ami le géant, elle souffle. Dans un lit plus loin elle vient de poser les yeux sur Elisabeth, recroquevillée sur le matelas nu. Elle ne pleure pas, ne crie pas. Elle semble figée dans le même monde que toi, alors tu t'approches de la petite de six ans, celle avec qui tu as toujours eu le plus de mal. Elle est saine et sauve. Ou en tout cas son corps, son esprit lui, semble bien loin d'ici.

Mathilde s'assoit près d'elle et lui caresse les cheveux sans avoir de réaction, elle qui ne supporte pas le touché de la belle de nuit. Elle est sur le côté, les yeux vides et la rose ne le supporte pas. Eli qui est d'habitude si pleine d'énergie, elle vient même à regretter ses sautes d'humeurs à son encontre.

Cette journée est un désastre, un enfer. Elle s'allonge sur le côté près d'elle et la prend contre son cœur. Elle ferme les yeux, priant n'importe quel dieu de lui rendre sa vie. Ou de tout lui prendre, elle offre les derniers battements de son cœur à qui le veut. Mais même le sommeil la fuit.

Elle regrette immédiatement d'avoir pensé en finir alors que la petite respire toujours à ses côtés.

« Je suis tellement désolée.  »

Elle aimerait être de retour à l'orphelinat, ne plus jamais revenir en ces lieux de désespoir. Elle caresse la petite fille parce que c'est la seule chose qu'elle peut faire à présent.

Silencieux, les enfants sont bien trop calmes. Même Mathilde ne semble pas d'humeur à gronder ou crier. Le monde ne tourne plus rond, il l'a bien compris. Rien ne sera sûrement plus comme avant. Il ne faut pas être fou pour le découvrir, c'est une évidence que leur a offert cette tour. Il sert contre lui ces petits anges, toujours respirant et pourtant, ce n'est pas eux qu'il aimerait avoir dans ses bras, mais ceux qui ne respirent pas. Ceux qui sont absents. Qu'il ne reverra sûrement plus. Et si la Terre semble être devenue un Enfer, ce n'est rien comparé aux peines de deux parents.

Mathilde souffre d'un deuil encore bien plus grand. Il la voit qui s'allonge et ne peut pas laisser les choses ainsi, ne peut pas la laisser presque seule avec Eli. Alors, il en prend un dans ses bras, tient la main d'un autre. Le voici qui fait quelques pas. Il se rapproche de ce lit d'infortune et au sol s'assoit, le dos contre le meuble. Il ne veut pas quitter sa douce, ne veut pas rester éloigné. Ni d'elle, ni d'eux, de ces petits yeux effrayés qui autour d'eux s'installent. Ils doivent le sentir, eux aussi, qu'il ne faut plus se séparer. Que c'est la seule chose à faire, rester groupé.

Il inspire, le corps lourd. Pourtant, il sait que ses yeux risquent de ne pas se fermer. Les images d'aujourd'hui vont le hanter. Et eux. Ces tout petits. Alors il prononce cette idée, silencieusement espère qu'elle sera acceptée, vue comme un signe de paix. Mais que Mathilde réagisse, par pitié, qu'elle gronde l’obsolète proposition. Qu'elle vive.

Ce soir, nous inaugurerons
la première soirée pyjama
de l'orphelinat.