Tu avais fait l'erreur première de la rabaisser, de la trainer dans l'ombre alors qu'elle brillait tellement plus fort que toi. Chose qu'elle ne se perturba pas à mettre en avant, t'affichant à haute voix sur des messes basses. Tu restes sur tes gardes, et perd lentement le sourire confiant que tu arborais jusque là. Cette fille avait quelque chose qui te filait les frissons, comme jamais tu ne l'avais ressenti la-haut sur terre pendant tes cinq ans de cavale.
Quelque chose de si vrai qu'elle t'en déstabilisait.

— « D'accord. Très bien. Je m'excuse si j'ai eu des propos déplacés à votre égard. Vous traiter de la sorte alors que c'est moi l'étranger ici, c'était clairement irrespectueux. »

Tu tentes de te reprendre, de ne pas perdre la face de nouveau. Toute vérité n'était pas bonne à dire, même si l'interlocutrice en était parfaitement lucide. Le rôle d'un juge était d'émettre une condamnation, et l'inconnue qui se tenait dos droit malgré les béquilles n'avait pas à subir quelconque courroux. Elle n'était coupable en rien, simplement de te déstabiliser.

— « Je suis certain que vous dites ça uniquement pour me donner raison. C'est très noble mais je sais reconnaitre quand je me suis trompé. »

Elle parle de secret et tu hausses un sourcil. Si elle te dévoilait quelque chose, tu te sentirais automatiquement obligé de lui rendre à pareil. La dernière chose que tu souhaitais en cet instant était de parler de toi. Tu n'avais rien à dire, rien à raconter. Juste des secrets lourds à enfouir et à porter.

Elle parle de bonheur et sans pouvoir l'expliquer, ça te touche plus que ce que tu ne le voudrais. Tu n'étais pas heureux Caprice. A vrai dire, tu n'étais pas grand chose. Mais face à quelqu'un d'aussi déterminé, tu ne pouvais que t'incliner.
Cependant, au fond de toi naissait un désir brulant et incontrôlable de lui donner tort. Une pulsion mauvaise et irrationnelle d'un besoin de briser son espoir, d'écraser et d'enterrer son sourire à jamais. Sa vaillance n'avait d'égal que son insolence.

Tu restes stoïque, hésitant quelques secondes sur l'attitude à adopter.
Tu te contenterai de ne dévoiler qu'une petite partie de la réalité.

— « Je viens d'en haut. Je suis arrivé il y a quelques jours depuis Paris, en France. Ou du moins ce qu'il en reste. » Tu étires un petit rictus, qui se voulait complaisant. « Tant mieux si vous êtes heureuse ici. J'essaierai de l'être aussi, une fois que je me serais habitué à ce territoire. »

Tu ne te sentais pas légitime à le conquérir.

— « J'ai l'impression qu'on a le même âge. Si ça te dérange pas, je vais te tutoyer. »

Et alors que la machine est lancé, tu te laisses tomber dans le sable, croisant les jambes en tailleur.

— « Je m'appelle Caprice. »

Ton regard trahissait une volonté de savoir comment elle, elle s'appelait. Elle était la première personne depuis ton arrivée ici qui avait annihilé toute attention hostile de ta part d'un seul regard. Paradoxalement, cela nourrissait des rancoeurs muettes que tu peinerais à ne pas lui faire payer plus tard.

— « Et toi ? »

Il y avait ce petit quelque chose dans ses yeux qui s'était éteint après qu'elle se soit présentée. Kiana donc... Etait-ce l'énonciation de Paris qui avait provoqué en elle cette réaction surprenante ? Elle qui semblait jusqu'à présent si légère - ça en était presque désagréable tant tu ne trouvais pas cela justifié - et pourtant tu ne pouvais l'ignorer.
Cela te sautait aux yeux comme de la boue au visage. Comme si le papillon avait séché au soleil, immortalisant sa beauté dans une figure statique.

— « Je vois. Kiana. »

Tu fermes les yeux. Tu repenses à Paris, à cette vie en France pendant cinq ans. A ton meilleur ami là-bas injustement condamné, traitre certainement dévoré par les créatures. Son corps n'avait jamais été retrouvé, alors c'était ce que vous aviez supposé. Ils avaient tous disparu, et étrangement, l'idée que cette fille puisse subir le même sort t'inquiétait.

— « Mon prénom, ce n'est pas vraiment ce qui t'importe en ce moment n'est-ce pas ? » Tu marques une petite pause pour déglutir et tourner la tête vers l'horizon nébuleux qui embrase le désert d'une couleur froide. « Tu es française aussi ? »

Tu ne sais pas si c'est une bonne idée, mais ça t'intrigue. Tu n'en avais pas encore rencontré depuis ton arrivée.

— « Je ne voudrais pas te casser le morale si c'est le cas. Je peux te raconter comment c'était là-haut si c'est quelque chose que tu veux entendre. »

Tu préfères le préciser :

— « Je ne te forcerai pas, si ce n'est pas le cas. Tous le monde ne vit pas la fin du monde de la même manière. »

Même si elle, elle avait fait son deuil cinq ans en avance sur toi.

— « C'est très joli Kiana aussi. »

Le pire dans tout ça, c'est que tu ne le penses même pas.
Et tu dissimules ton malaise bien mieux qu'elle, arborant ce sourire de façade qui te rend si confiant. Pour oublier qu'au fond de toi, tu restes un jeune homme qui a tout perdu et qui aimerait bien gagner quelque chose d'aussi précieux qu'elle.

Elle s'assoit dans le sable et tu ne peux t'empêcher de sourire, haussant un sourcil d'un petit air satisfait. Tu décides alors de faire de même, peut-être pour honorer sa témérité. Tu n'étais pas facilement impressionnable, mais tu savais être touché par des valeurs intenses. Elle dégageait un parfum de sensibilité dont la fragrance te faisait tourner la tête.
Tes yeux se braquent sur les siens, comme deux phares reflétant des feux de Bengale.

— « Sombre. Les sociétés ont disparu et les survivants se sont donc organisés pour en recréer. Un virus a surgit de nul part, je pense que les gouvernements avaient déjà l'effondrement des capitales à gérer avant de pouvoir s'occuper de la pandémie. »

Tu aurais voulu lui raconter à quel point tu avais été stupide, insouciant. Que tes camarades et toi aviez été les rois de votre nouveau monde, petits chefs illustres dans la survie, mais dans l'incapacité d'exister dans cette nouvelle société. Tu aurais voulu lui compter tes malheurs et tes regrets, t'abandonner à son oreille bienveillante pour confesser chacun de tes péchés. Tu aurais voulu mais à la place, tu n'avais cessé de sourire.

— « Ceux qui ne sont pas tombés, comme toi... sont presque tous morts, ou devenus des monstres. Je ne sais pas. Oui d'ailleurs c'est sûrement ça qui nous définit le mieux là-haut, c'est qu'on ne sait pas ce que le monde devient. Il s'est juste transformé en un enfer sur la Terre. Comme s'il était remonté à la surface alors que les anges comme toi ont chuté dans un paradis artificiel. »

Tu avais penché la tête sur le côté, puis tu avais sorti ta gourde de ton sac en bandoulière pour la porter à tes lèvres. Après avoir bu une gorgée, tu conclus :

— « C'est bien, si tu as pu refaire ta vie ici. Tu as l'air satisfaite. Le désert n'est pas très accueillant, mais tu as su le faire devenir à mes yeux cette nuit. Merci pour ça. »

Allons-bon, tu étais aimable maintenant. Presque charmeur.