Le tic tac incessant d'une montre qu'elle n'ose pas arrêter. Se fiche bien de l'heure, du jour et de la vie qui continue ; contrairement au monde, elle voudrait s'arrêter. Et peut-être tout recommencer, comme si ces derniers jours n'avait pas eu lieu. Comme si personne n'avait jamais voulu remonter.
Le premier jour, elle à errer sans but dans son petit appartement jusqu'à terminer ses pas devant la chambre de Meish. En avait ouvert la porte, persuadée qu'il se trouverait derrière, assis sur son lit près à l'engueuler pour être entrée sans frapper.
Mais il n'y avait plus personne.
Le deuxième jour, elle avait fini par pleurer. Vraiment pleurer ; torrent de larme prêt à la noyer, elle n'aurait pas résisté.
La troisième nuit, elle se réveilla en criant. En sueurs sous des pensées et des larmes. Cauchemar d'un jour qu'elle voulait oublier. De l'instant où tout naturellement, elle l'avait cherché dans la foule chaotique au pied de la tour pour ne plus jamais le trouver. Pas intact du moins. Cette nuit là, Altagracia ne se rendormie pas.

Et aujourd'hui, elle n'avait plus aucune larme à verser, sèche et vidée de toute émotion. Ne se relevant de son lit plongé dans le noir uniquement pour nourrir son chat, son iguane et tous les insectes qu'elle pouvait bien avoir. Tel un geste machinal dont elle ne prenait plus aucun plaisir. N'oserait pourtant laisser quelqu'un d'autre mourir, pas même la plus petite araignée.

Son holokit était posé dans un coin du salon, trop loin pour qu'elle puisse l'entendre sonner. N'osait même pas le toucher. Avoir apprit que tous ses proches était sains et saufs et hors de danger malgré les blessures lui avait suffit. Tous ses proches sauf un. Et déjà, elle refoulait le nom de son colocataire loin de ses pensées. Ne voulait plus avoir à réfléchir, n'y même à se lever de son lit où elle s'était réfugiée en pyjama.

Un bruit contre la porte fermée à clé, une voix qu'elle aurait retenu entre mille. Malheureusement pour Thaddeus, ce n'était pas lui que la brune désirait si ardemment voir.
Et malheureusement pour Altagracia, cette personne n'aurait plus jamais l'occasion de frapper à sa porte en se plaignant d'avoir perdu ses clés.
Aujourd'hui la détective ne désirait voir personne, aussi ignora-t-elle l'homme à son seuil.
Peut-être juste un minute, elle ne compte plus depuis longtemps les secondes qui s'enchaînent et ne servent plus. Culpabilise un instant, sait parfaitement que Thaddeus ne partira pas comme ça. La suivrait jusqu'en enfer s'il le fallait. Aussi sorti-t-elle la tête de sa couette si douillette pour lui crier quelques mots d'une voix rauque. Si longtemps qu'elle n'avait pas prononcé un mot.

« Va-t'en je ne veux voir personne ! »

Et elle le pensait. Que le monde sombre ou chute une nouvelle fois, elle s'en fichait bien.
Qu'on lui fiche la paix.

Espère un instant qu’il parte, qu’il s’en aille en suivant son ordre. Pourtant, Thaddeus à toujours eu bien plus d’autorité sur elle que personne d’autre sur cette terre. Altagracia ne le ferait pas flancher. Savait d’avance que c’est elle, qui capitulerait.
Mais encore quelques pleures, encore quelques larmes invisibles sur ses joues trop sèches. Qu’on la laisse donc en paix ; qu’on la laisse mourir encore quelques heures, quelques années. Après promis, elle se relèvera.

Alors elle écoute, lui doit bien cela si ce n’est plus.
Ne pas le voir, très bien. Le monde n’avait pas besoin d’apercevoir la loque qu’elle était devenue depuis la cérémonie, tout comme il se passerait d’une détective encore un bon moment. Les paroles de l’homme à sa porte lui brise le cœur ; supplique qu’elle ne mérite pas. Si on la laissait déprimer seule pour éternité, elle ne s’en plaindrait pas.
Et pourtant, il est là. Oh non, Altagracia ne mérite pas une lueur de sa gentillesse.
Et comme elle ne veut pas parler, ne veut plus prononcer ses mots endeuillés – comme n’avoir jamais existé – la jeune femme use de son don devenu si naturel. Entre dans la tête du blond pour y murmurer ses paroles. Destinées à lui seul.
« Très bien… parle. »
Tord instinctivement ses mains sur son oreiller.
N’est pas prête à écouter, n’est pas prête à entendre ses proches lui reprocher son mutisme, son inactivité.
N’est pas prête à recevoir la pitié du monde et les réconforts teintés de douceur.
Altagracia ne veut pas penser ses plaies, mérite de saigner – pleurer – encore mille ans.

Mal, elle allait mal. N’osait pourtant le prononcer comme ça, balancer ses problèmes alors que le monde en avait déjà tant. Thaddeus avait ses propres soucis ; l’orphelinat, Astrée et tellement de gens qu’elle ne connaissait pas, n’avait plus envie de connaître de peur de perdre encore quelqu’un. De peur de se perdre encore un peu plus elle-même, de ne plus savoir remonter. Car même la main tendue, emplie de bienveillance de Thaddeus, elle ne la voulait pas.
Et pourtant, ces quelques mots lui font relever la tête, alerte. Des nouvelles d’Astrée, elle ne pouvait refuser, n’en avait aucune envie. Elle la savait vivante et c’était tout ce qui comptait. Pourtant, la curiosité prit le pas sur son air amorphe et peu soucieux du reste. Le blond savait pertinemment où étaient ses failles, ses faiblesses. Car malgré son comportement hargneux envers elle, la cubaine considérait l’adolescente comme un membre de sa famille, qu’elle le nie parfois ou non. Or la brune  pouvait parfois se trouver très égoïste et quelque peu ingrate envers ses proches. Indépendante dans l’âme, ne désire dépendre de personne d’autre qu’elle-même.
Aujourd’hui, peut-être avait-elle pourtant légèrement besoin de l’homme venue s’inquiéter. Ce n’était pas le premier à venir, mais le premier à rester. Là, alors qu’elle refusait encore de lui ouvrir la porte de son antre, de son cœur et de son chagrin.
Murmure donc une nouvelle fois dans la tête de l’autre.

« Je vais bien. » Mensonge. « Il faut juste… que je réfléchisse. » Ou qu’elle arrête définitivement.
Hoche la tête pour elle-même alors même qu’il ne peut la voir.
« Comment va-t-elle ? »
N'osait demander pour Aloïs, elle qui lui en voulait terriblement.
Non décidément, elle ne pouvait refuser des nouvelles de ses proches malgré son égoïsme flagrant à ne contacter personne. Car la personne vers qui elle se serait précipitée pour apaiser sa peine n’était malheureusement plus là.
Et même en pensant à lui, Altagracia n’eut pas la force de pleurer encore.

Elle va bien. Elle va bien et c'est tout ce qui compte. Un poids s'allège dans sa poitrine oppressée. Juste un peu, pour respirer plus calmement. Est contente que l'adolescente ait eu une présence rassurante à ses côtés, comme ce que Thaddeus essayait d'être à ce moment précis pour elle. Une main tendue, qu'elle n'attrapera pas tout de suite. Trop têtue, trop perdue. Encore trop de larmes restées bloquées, là dans sa gorge serrée de cris. Murmure alors comme un soupire.
« Tant mieux... reste à ses côtés. »
Au lieu de venir l'embêter.
Mais la détective n'avait pas encore la force de sortir de son appartement, d'affronter la rue et la vie qui continuait alors même que d'autres s'étaient arrêtées. Trop subitement. Si elle avait su, Altagracia aurait râlé pour ne pas bouger de Requiem quelques jours plus tôt. Pour ne pas aller à cette foutue cérémonie. Mais Meish et elle avaient voulu dire adieu à ceux qu'ils aimaient - ceux qui désiraient les abandonner - et se goinfrer de petit four. Une occasion pour eux de pleurer un peu, s'amuser beaucoup.
Et déjà, elle sentait la colère faire fondre ses angoisses. Rien de tout cela ne serait arriver sans cette cérémonie, sans cette envie si pressante qu'avait Althea à quitter ce nouveau monde pour retrouver l'ancien. Ne pas savoir accepter leur deuxième chance, voilà leur première erreur. Et Altagracia les maudissait pour ça. Maudissait Celestia et ses rêves de passé, incapable de se retourner vers le futur que tant avaient si bien réussi à reconstruire ici, dans cette nouvelle vie.
Alors elle murmure encore, froide sous une chappe de colère encore maîtrisée.
« Ne t'inquiètes pas je viendrai la voir. Rien n'est de sa faute.
Elle au moins n'a pas voulu remonter. »

C'était dit. Elle en voulait à la moitié du monde.

Envie de le blesser, lui et tout les autres. Mais déjà, elle le regrette, se sent mal pour cette personne qui compte tant pour elle. Ne peut pourtant revenir en arrière, les mots sont dis ; balancés dans un murmure parti trop vite. Tant pis, il l'a mérite après tout, sa colère où se mêle la perte d'un être cher.
S'ils n'avaient rien fait. S'ils n'avaient pas tous rêver d'un avenir qu'ils avaient déjà alors peut-être, peut-être que personne n'aurait eut à pleurer un proche. À rester cloîtré sous une couette comme Altagracia le faisait si bien, la rage au ventre ; les cauchemars en tête.
Mais le passé ne pouvait être changé. Meish ne reviendrait pas et Thaddeus était tout aussi coupable qu'elle-même. Une personne présente pour défouler sa colère. Ne pouvant viser le monde, la détective vise son plus proche allié sous des mots qu'elle regrettera bientôt. Mais n'y pense pas ; le bientôt n'existe plus.

« Si tu avais su.. et quoi ? Tu n'aurais pas désiré remonter ?! » Se redresse dans son lit. Colère.
Se lève et marche d'un pas déterminé.
Colère.
Pour ouvrir la porte d'entrée d'un geste brusque. Lui faire face et cracher les mots trop longtemps enterrés.
« Vous avez été égoïstes, TU as été égoïste ! Et à cause de tout ça, il y a un lit vide dans cet appartement, des affaires qui ne retrouveront jamais leur propriétaire. » Sent les larmes perler à ses yeux, sa gorge se bloquer sur les derniers mots écorchés. Mais elle ne veut pas pleurer, se retient pour fixer le pauvre Thaddeus de ses yeux bleus de rage. Se sent mal, très mal à la vu de l'eau sur les joues de l'autre. Aurait voulu les effacer, comme elle aurait voulu effacer les siennes. Mais tient bon. Elle voudrait exploser.