Born in the ashes.

Ça cris sous le toit, petite maison trop serrée, trop animée. Famille réunie là pour un jour merveilleux : la naissance d’un bébé aux boucles brunes et aux yeux d’océan. Aux sourires d’un millier d’heureux et aux babillages incessants. Pleurs, larmes et désespoir. Un peu de malheur dans les premières secondes d’un enfant. Le père ne sait pas, lui, s’il doit rire ou vouloir mourir. Ce bébé, gigotant et hurlant, se retrouve bien vite calé dans son berceau. Berceau déjà occupé par un deuxième petit être exactement semblable, tout aussi énergique. L’aînée de quelques minutes, pas de quoi se vanter. Inconscients du monde qui les entoure, de l’agitation inhabituelle de la pièce et du silence d’une mère qui elle, ne bougera plus jamais.
L’homme perd une femme, gagne deux filles.
Ce n’est pas l’histoire d’Altagracia, aînée de quelques minutes, mais celle de Katalina. Déjà envieuse de ces quelques respirations de plus, de ces secondes qu’elle ne pourra jamais rattraper. Premier instant de jalousie.
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Sweet child of chaos

Katalina l’a compris très tôt, être la favorite, ce n’est pas dans ses cordes. La préférée de leur père, des voisins et du monde en général : privilège réservé à sa sœur. Petit ange à l’auréole d’or, parole sacré au minois d’enfant trop obéissant. Quand l’autre fait la grimace, se pare de suie et crie plus fort que le reste. Katalina n’est pas une enfant sage, curiosité insatiable qui semble surpasser la moindre parcelle d’éducation et de politesse que l’on pourrait lui apprendre.
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Perchée au dessus de la mare du haut de ses 5 ans, elle attrape un crapaud pour l’enfermer dans un bocal. Première tentative, première expérience. Le bocal est fermé ; quelques jours après, l’animal s’est asphyxié. Deuxième tentative : une aération adéquate pour une durée de vie optimale. Un jour, deux jours et … bien plus encore (ne sait pas encore compter jusque là). Le malheureux crapaud meurt de déshydratation. Zut, elle a oublié de l’abreuver. Et de le nourrir.
Troisième tentative : la bête survit un mois entier. Katalina s’est lassée, elle l’a abandonné. Alors pour rendre cette expérience amusante et enrichissante, la cadavre trouve bien vite sa place sous l’oreiller de sa sœur.
Un cri perce la nuit, réveille la maison et la fureur de leur père. Il n’a pas apprécié, Altagracia non plus. Deux heures passée enfermée dans le grenier en guise de punition lui apprennent une chose essentielle : les blagues ne sont pas forcement amusantes, mais certes très enrichissantes. Alors pour s’occuper, elle joue avec les araignées.
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One more story

Une histoire d’ogre et de sorcière de glace vient peupler son imagination d’un millier de façon. Katalina écoute patiemment sa grand-mère lui conter des fables, des histoires de monstres mangeurs d’homme, de goules kidnappeuses d’enfant et de muses des cauchemars. L’enfant ouvre grand les yeux et s’abreuve des belles paroles, sources de merveilleux rêves à venir. Béni sa grand-mère pour remplir sa tête de beaux souvenirs. La seule personne qui l’apprécie sans baisser les yeux de honte devant ses pitreries. Finalement, Katalina est bien devenue la préférée de quelqu’un. Quelqu’un contre qui finalement, le monde ne faisait pas le poids.
Quelqu’un qui ne la regardait pas avec dégoût se balader avec son bocal plein de cigales. Mais qui avait au contraire fini par l’engueuler -il était temps- et l’instruire sur les conditions de vie animal. Un crapaud n’avait pas à finir ses jours enfermé dans une cage transparente. Ils étaient fait pour être observés dans la mare, embrassés par les princesses et peupler le monde de jolis petits têtards (pas avec des princesses hein).
A partir de ce jour, l’enfant brisa tous ses bocaux, embrassa un crapaud juste pour vérifier et aménagea définitivement chez sa grand-mère. Non pas que cela fâche énormément son père, trop heureux de se débarrasser d’une gamine excentrique se faisant maintenant un devoir d’aider la cause animal en commençant par les vers de terre.
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Bad Habits

À 18 ans, il faut bien avouer que la plupart des jeunes filles pensent à leur prochain rencard, révisent leurs examens et se parent de rouge à lèvre devant le miroir. Et si cette dernière information est tout à fait vrai en ce qui concerne la protagoniste de l’histoire, le reste est bien vite passé à la trappe. Lâcher ses études à 15 ans et partir traîner dans les rues n’avait jamais paru offrir si bel avenir.
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Katalina se fait silencieuse sous la noirceur de la nuit. La lune n’éclaire plus, trop fatiguée par la déchéance de sa ville une fois le jour terminé. À Cuba, la délinquance et le trafique règnent dans certains quartiers, si ce n’est dans le cœur de ses habitants. La jeune femme ne tient pas spécialement à être ici, mais l’argent ne tomberait jamais du ciel. Nerveuse, elle abaisse sa capuche, soucieuse de ne pas montrer sa jolie frimousse et s’avance sous l’unique lampadaire encore intacte.
Une simple transaction. Entremetteuse nocturne, elle refile les grandes caisses en bois pour repartir les poches pleines de billets qui ne lui sont même pas destinés. Ces caisses, il lui arrive de les ouvrir, curieuse de connaître le trafic de la soirée. A fini par se lasser. Des armes et encore des armes. À force, elle en connaît les modèles par cœur, faute de savoir les manier correctement. Ne pose pas de question, jamais : où, pourquoi, à qui ? Katalina tient à sa tête, retient donc sa langue.
Cet argent, elle en a besoin. Pour partir, ne plus jamais revenir.
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Home

Détestable repas de famille. Elle voudrait s’enfouir dans un trou. Fermer les yeux et ne plus jamais les ouvrir. Le silence résonne fort à ses oreilles, triste musique aux accords trop tendus, trop chaotiques. Seul s’installe le bruit des couverts contre les assiettes de porcelaine. Père et filles ne se regardent même pas. Ou plutôt : personne ne regarde Katalina. Au fond, pourquoi l’avaient-ils invité ? Intruse depuis tant d’années dans leur cocon douillet, sans diplôme contrairement à sa sœur. Sans ambition, sale réputation, amis douteux. Contrairement à sa sœur. La jeune femme lève les yeux au ciel sous ces accusations silencieuses. Pas besoin de parole, ces détestables « réunions familiales » elle les connaît par cœur. Son père s’inquiétera avec hypocrisie de la santé plus que précaire de sa propre belle-mère (grand-mère et plus ou moins mère de substitution de Katalina) tandis qu’Altagracia lui demandera avec une gentillesse feinte si elle avait enfin trouvé du boulot. Évidemment qu’elle en avait. Mais avouer tremper dans le trafic d’arme n’allait probablement pas résoudre les tentions familiales. Surtout en considérant le métier de sa sœur au sein des forces de l’ordre de la ville. Quelle ironie.
Katalina déteste Cuba. Ses secrets morbides qu’elle connaît par cœur. Ses querelles que tout le monde tente d’ignorer. Ce sang versé qu’on oubli trop vite.  
Katalina voudrait s’envoler, se cramer les ailes là, tout là-haut. Et enfin s’écraser.
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Good morning abyss

Sa grand-mère dort profondément, le teint plus pâle qu’un fantôme. Katalina voudrait pouvoir lui demander une histoire, peut-être la dernière. Renonce pourtant à cet égoïste souhait. Les médicaments enfouis au fond de sa poche viennent silencieusement prendre leur place aux côtés des autres. Achetés avec de l’argent sale. Acheter avec la seule chose qu’elle sache vraiment faire : trafiquer dans l’ombre. Un baiser tendrement déposé sur le front de la vieille femme et Katalina s’en va cacher minutieusement le reste de son argent si sombrement gagné. Sous l’avant-dernière latte de sa chambre, sous son petit lit d’enfant devenu trop étroit pour la femme qu’elle était devenue.
Un regard triste vers la chambre d’à côté. Bientôt, elle partira.
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Et soudain. Le ciel tremble. La nuit tremble. La pauvre lumière de sa chambre s’éteint, se rallume. S’éteint définitivement. Les ténèbres clignotent, tentent de comprendre eux aussi. Gouffre de cris, voudrait tout engloutir. Dévorer les peurs, dévorer les morts. N’en ressortiront que les vivants. Katalina voudrait bouger. Alors elle prie, elle qui ne croit en rien si ce n’est elle-même. Prie pour devenir l’ogre de ses veilles histoires d’enfants, la sorcière maléfique ou l’abominable troll. Prie pour que sa mort ne soit pas comme sa vie : triste et inutile.
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Un chien aboie, loin d’ici, un arbre tombe. Et tout le reste avec.
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Et lorsqu’elle se réveille, c’est dans un rêve. Un cauchemar. Odeur putride du monde et de ses peurs, de ses cadavres écrasés là. Le reste est flou, vague. Des cris ou des pleures, les deux en même temps. Katalina se souvient avoir marché. Longtemps. Avoir pensé son souhait exhaussé : le monde de ses contes de fées, elle y était. C’était beau, c’était magique. Katalina ne comptait pas les morts, ignorait les vivants. Elle réfléchissait.
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Behind the sky. On the other side of the rain

Ce n’est que de longs jours après, après avoir choisi de suivre Cassandra. Après avoir découvert pouvoir se perdre dans la tête des gens pour y murmurer ses envies, ses pensées, ses rêves et ses peurs. Après avoir fait le deuil de Cuba et de tout ce qu’elle y détestait, qu’elle décida avoir assez réfléchi.
Elle n’avait presque pas parlé depuis, soucieuse d’observer, de découvrir et de comprendre. Se faire des amis, ce n’est pas son truc.
On lui demanda pourtant son nom, puisqu’elle devait bien en posséder un. Mais être Katalina n’avait plus aucun intérêt. Être elle-même ne représentait plus rien.
Elle haussa les épaules, répondant sans même hésiter. « Altagracia, enchantée. »