Lizzie était heureuse.
Parce qu’il n’y avait que ça de beau, que ça de vrai : le bonheur bien ancré dans l’âme qu’on ne pouvait chasser d’un mouvement de la main. Lizzie vivait sa vie, elle la vivait parfaitement, sans hésitation, sans douleurs (elle se mentait).
Lizzie était douce, elle était motivée. Son sourire illuminait la journée de ceux avec qui elle travaillait, faisant un test d’alcalinité sur un échantillon d’eau qui leur était arrivé la veille. Elle parlait, elle souriait. Un peu plus et elle dansait, Lizzie. Petit enfant pourtant responsable, toujours prête à mettre de côtés les nuages. Les siens et ceux des autres. Toujours mieux prendre la vie de bon côté, toujours plus simple.

Lizzie leur avait parlé de faire des muffins, elle leur avait même proposé de leur en ramener, gardant dans un coin de sa tête une idée qu’elle berçait depuis la veille, que la nuit n’était pas parvenue à lui faire enlever. Une douce idée qu’elle ne pouvait que garder tout près de son cœur, dans l’unique décision de la concrétiser dès qu’elle serait chez elle. Sa main, inconsciemment, s’était portée au pendentif, caressant distraitement la pierre de feu, alors qu’elle continuait de parler avec ses collègues.

Lizzie finit par terminer de faire ce qu’elle devait faire : son analyse, son test d’alcalinité, termina d’entrer les données, de faire les observations nécessaires, avec ce sourire lumineux bien dessiné sur son visage. Lizzie était peinte dans les couleurs de la joie et la bonne humeur, Lizzie était un tableau à accrocher dans les plus beaux musées, tableau qui ne perdrait jamais la vibration des couleurs utilisées. Lizzie était belle, mais elle ne le réalisait pas. Lizzie n’y pensait juste pas.

Elle avait enlevé les gants, les avait jetés dans la poubelle, avant de sortir du laboratoire. Lizzie avait demandé à rentrer plus tôt exceptionnellement et comme elle ne faisait jamais cette demande, on le lui avait accordé.
Aux fourneaux, Lizzie.
Oui, Lizzie comptait bien faire plusieurs muffins de différentes saveurs pour satisfaire tout le monde, pour ajouter des couleurs dans leurs cœurs – ouverts ou fermés. Une étincelle de joie dans les regards, une petite douceur dans le quotidien. Et il y avait lui qu’elle voulait revoir tout particulièrement, qu’elle voulait remercier davantage. C’était sa façon de faire.

Dans ce désert suffoquant, quand le retour à la terre ne s’était point passé comme prévu et que Lizzie avait revu ses brûlures lui faire mal en utilisant au maximum les capacités qu’elle possédait, il y avait eu un Oublié qui l’avait aidé. Qui l’avait sauvé. Lizzie avait perdu le pendentif dans la bataille contre les Transcendés. Elle avait vu ce précieux objet se perdre dans les dunes du sable effrayant de ce désert. Lux n’aurait pas supporté que Lizzie le perde, elle aurait hurlé sur la scientifique, ne lui aurait pas donné la chance de s’expliquer (elle n’aurait pas pu le faire) et Lizzie était désespérée. Désespérée de ne pouvoir remettre la main sur le pendentif appartenant à sa sœur (ayant appartenu ; Lizzie ne pouvait accepter de perdre son unique souvenir de cette personne comptant tant pour elle).

Alors Lizzie avait cuisiné. Elle avait fait des muffins aux pépites de chocolat, elle en avait fait aux bananes, aux carottes même. Elle en avait fait uniquement au chocolat et un mélange chocolat-banane. Oui, Lizzie avait passé plusieurs heures devant ce fourneau à attendre que tout cuise. Mais elle était satisfaite du résultat et il n’était que l’heure du repas du soir, alors on pouvait dire qu’elle avait été productive, n’est-ce pas ? Il lui restait beaucoup de mélange à muffins de toutes les sortes et elle terminerait de les faire le soir en revenant. En attendant, elle avait mis ce mélange au réfrigérateur. Il y avait cinq muffins de chaque sorte, suffisamment pour que l’Oublié trouve celui lui plaisant le plus.
Mais Lizzie avait peur.
Lizzie était terrorisée à l’idée de remettre les pieds dans le désert, de faire face à un Transcendé, de devoir encore fuir, de se retrouver blessée. Ou de reperdre ce collier auquel elle tenait autant qu’elle tenait à sa vie.
S’Il n’avait pas été là, jamais Lizzie n’aurait remis les pieds seulement deux semaines après l’incident, alors que le bandage sur ses plaies lui faisait toujours aussi mal, dans ce désert considéré comme maudit, comme dangereux. Mais il l’avait aidé et elle devait lui rendre la pareille, n’est-ce pas ? Lizzie n’était pas méchante, bien au contraire. Elle aidait quand elle le pouvait, cherchant à rendre le monde heureux autour d’elle.

Mais à quoi pensait-elle ?  
Elle ne connaissait pas le désert, elle ne savait pas où le chercher, tous les endroits semblaient être les mêmes. Lizzie était perdue dans cette immensité de sable, dans la lumière du désert, même si la chaleur était moins forte qu’en plein milieu de l’après-midi. Perdue, petite Lizzie. Perdue dans un désert qui ne lui dit rien qui vaille, avec un sac à dos dans lequel un contenant en plastique garde bien en sécurité les muffins.
« Comment je peux le trouver.. ?»

Lizzie avait sursauté.
Sursaut dont l’impulsion électrique dans les muscles se prolongea quelques secondes sur la colonne vertébrale. Lizzie était bien trop occupée à se demander comment elle pourrait bien trouver une seule personne dans un endroit aussi vaste que le Désert des Oubliés. Cœur battant, peur tordant le ventre, Lizzie craignait faire face à un Transcendé l’espace de quelques secondes pendante lesquelles il lui semblait que ses brûlures venaient de se faire. Violentes brûlures qui la firent grimacer légèrement. Pourtant, elles avaient bien commencé à guérir, celles-ci.
Les souvenirs avaient cette capacité à tout rendre plus vif, plus douloureux, malgré le temps écoulé depuis les événements.

Lizzie, doucement, s’était retournée, son cœur souhaitant partir de sa cage thoracique pour retrouver refuge dans le sol. Comme le fameux mythe des autruches qui enfouissent leur tête dans le sable lorsqu’elles craignent un prédateur. Mais Lizzie n’enfouit point sa tête dans le sable. Non. Parce que son regard s’était posé sur celui qu’elle était venue chercher dans ce lieu qui lui refilait des terreurs nocturnes à l’idée simple de s’y présenter. Comment aurait-il en être autrement ? Lizzie aurait pu y perdre la vie, avec tous les autres, dans le vain espoir de remonter sur terre. Lizzie se souvenait de ce cuisant échec et elle eut presque envie de pleurer en se disant que ses parents étaient quelque part, perdus dans ce monde avec des transcendés menaçant leur existence.
Mais Lizzie se reprit très rapidement en souriant à cet Oublié qui avait sans doute.. « oublié » qu’aborder ainsi quelqu’un, c’était risqué de lui faire faire une crise cardiaque.

« Toi ! » Ce fut une exclamation qui s’était échappée sans que Lizzie n’ait vraiment le temps d’y réfléchir, mais ce n’était pas grave, parce que c’était la pure vérité. Lizzie n’était pas venue ici pour rien et cet être devait sans doute. Sa dernière visite avait été si catastrophique qu’on aurait pu croire qu’elle n’y remettrait plus jamais les pieds et pour être sincère, Lizzie ne pensait pas y remettre les pieds elle-même.
Mais le remercier était essentiel. Aussi essentiel que respirer l’était. Alors elle n’avait pas pu faire autrement. Sourire sur les lèvres, comme toujours, Lizzie l’avait salué de la main, bien contente de le trouver aussi rapide. Elle n’avait même pas songé que ce puisse être un mirage. « Je te cherchais toi ! En fait, vu que la dernière fois, tu m’as aidé.. je voulais te rendre la pareille et du coup voilà ! »

Lizzie s’était agenouillée pour pouvoir mettre son sac sur le sol du désert et en sortir le contenant de muffin pour lui montrer. « Je n’ai pas mis de glaçage parce qu’avec la chaleur du désert, ce ne serait pas comestible et comme je ne savais pas quelle arôme tu préférais, j’en ai fait plusieurs ! » Contenant tendu, Lizzie attendait qu’il fasse son choix même si elle avait prévu, au final, de tout lui donner. Parce qu’elle se demandait bien à quoi ressemblait la vie dans le désert… et si Lizzie avait pu, Lizzie lui aurait offert asile. Non, pas exactement. Mais elle lui aurait trouvé un appartement pas trop loin, pas trop cher, et un travail pour qu’il puisse être certain de manger de la nourriture et de la bonne nourriture. Mais Lizzie ne pouvait pas, alors elle faisait ce qui était à portée de main à son échelle. Elle était convaincue que ça avait quand même un effet positif. « On peut en manger un ensemble et parler un peu, et tu peux me faire découvrir le désert. Avec toi, je suis en sécurité ! » Après tout, il ne lui était rien arrivé quand elle avait cherché le collier de Lux.

Elle lui avait souri, elle aussi.
Lizzie était heureuse de le voir sourire, heureuse que ce soit en sa présence que l’Oublié lui sourit, que ce soit devant elle. Qu’elle ait l’honneur d’avoir un sourire de sa part, parce que tous les sourires étaient des honneurs pour la scientifique. Sourire était important, savourer l’instant présent, s’accrocher au positif, aux arc-en-ciel et au soleil d’après pluie. Elle lui avait souri, radieusement.
Dans ce désert, sa tenue était parfaitement adaptée. Dans ce désert, elle semblait normale, cette tenue, à croire que Lizzie aurait dû vivre dans des conditions climatiques bien plus chaudes que celle de Polaris. Mais Lizzie aimait sa vie à Polaris. Lizzie aimait ses collègues, elle aimait passer son temps avec Eirin, elle aimait tout ce qu’elle vivait et avait à vivre.
Elle aimait beaucoup moins l’angoisse qui la prenait à la gorge au sein du désert. Angoisse qu’elle s’efforçait de chasser, à laquelle elle ne voulait point penser, à laquelle elle ne désirait absolument pas se laisser aller.

Lizzie avait légèrement secoué la tête en regardant Mackenzie. « C’est tout à fait normal ! » Pour la scientifique, ce n’était pas un trop plein de gentillesse, mais l’ordre des choses, la morale, la logique. Il lui semblait totalement normal de se donner cette peine, de le remercier davantage compte tenu de l’importance de l’objet qu’il était parvenu à retrouver.
Sans lui, ce pendentif serait aujourd’hui enseveli bien profondément dans le sable et le cœur de Lizzie serait plus qu’un tas de poussière. Elle aurait pu rejoindre les grains de sable du désert, elle n’aurait point été utile ailleurs. Mais ce n’était pas arrivé et le collier reposait sagement dans contre la cage thoracique de Lizzie.

Elle attrapa sans hésitation la main de Mackenzie après avoir fermé le contenant, se relevant en replaçant correctement sa très courte robe. Elle l’avait suivi sans rouspéter en lui assurant qu’elle ne le quitterait pas des yeux : hors de question de se perdre dans un lieu qui continuait d’alimenter les cauchemars qui perturbaient ses nuits ! Alors il était très évident que Lizzie ferait en sorte de ne pas perdre de vue cet homme.
Ses yeux furent parsemés de quelques étoiles à la vue de la fontaine éphémère. Elle n’était jamais venue jusqu’ici et si Lizzie n’avait point écarté la possibilité de merveilles dans le Désert des Oubliés, elle n’avait pas plus eu le désir et le courage de partir à leur recherche, bien plus en sécurité à Polaris, là où sa collège et elle résidaient. Où elle travaillait tout simplement. « C’est magnifique ! » Une douce exclamation presque digne d’un enfant. Lizzie était une enfant qui se satisfaisait des plus petits bonheurs, des plus simples émerveillements, pour illuminer ses journées.

Elle rejoignit rapidement Mackenzie sur le rebord de la fenêtre en posant le contenant de muffins sur ses genoux, l’ouvrant de nouveau pour lui permettre de choisir sa saveur préférée. Sa main s’était instinctivement posée sur le pendentif quand Mackenzie lui posa une question à son propos. Toujours souriante, toujours légère. « Exactement ! Elle me l’a donné pour que ça me porte bonheur au travail, que ça me porte chance. C’est gentil, n’est-ce pas ? Nos parents lui ont donné quand elle a eu son diplôme. Elle est adorable. Un jour, tu pourras peut-être la rencontrer ! Mais elle a peur du désert. » Belle histoire. Douce histoire. (Elle n’était pas exacte, cette histoire, mais ça, Lizzie ne serait point en mesure de l’admettre). « Si je l’avais perdu, elle m’aurait piqué une des crises… il compte beaucoup pour elle. »
Arrête de parler au passé, Lizzie. Elle souriait. Ses yeux souriaient. Mais une légère ombre semblait tout de même présente. « Alors tu choisis quelle saveur ? Il y a banane-chocolat, chocolat, pépites de chocolat, banane seule et carottes ! » Elle en prit un aux bananes et chocolat puis tendit le plat à Mackenzie, son sauveur en quelques sortes.

Lux n’avait plus cette douce chance de respirer, elle n’avait plus cette chance de voir le soleil, cette chance d’entendre les oiseaux chanter.
Mais Lizzie refusait de le reconnaître. Et Lux était, pour elle, en train de l’attendre sagement chez elle parce que la catastrophe avait rendu craintive cette jumelle de sortir dehors, de s’aventurer ailleurs. Ou parfois, Lizzie disait que Lux était occupée, qu’elle était partie en entrevue, mais que son travail à elle l’empêchait de la suivre. Oui, les histoires changeaient selon à qui elle les disait.
Mais toujours avec un sourire, parce que Lizzie était heureuse ;
Et qu’il n’y avait aucune raison de ne pas l’être (absolument aucune, pas vrai ?).

Elle lui avait souri, à cet Oublié. Elle lui avait souri tout en lui parlant, tout en lui répondant, en racontant un peu sa vie. Tout en se disant que peut-être qu’il n’avait pas grand-chose à faire de son existence. Après tout, n’avait-il pas la sienne à gérer ? Et celle des personnes vivant dans ce désert était sans l’ombre d’un doute plus compliquée que la sienne. Elle avait cette chance, cette douce chance, d’avoir eu sa place dans un royaume, de posséder un appartement et d’avoir des collègues agréables.
Elle avait la chance d’avoir accès à la nourriture et à l’eau facilement, de ne pas se salir les mains pour exister, de ne pas devoir forcément aider si elle ne le désirait pas pour obtenir un revenu. Elle avait son travail dans un laboratoire et elle faisait ce qu’elle aimait.
Lizzie avait conscience de la chance qu’elle possédait et elle était encore plus consciente que tous ne l’avaient pas.

Lorsqu’il lui posa une question, la scientifique inclina légèrement la tête, laissant son regard se poser quelques instants à l’horizon. Est-ce que ça fonctionnait ? (Était-ce seulement un porte-bonheur ?) « Pour être honnête, je n’ai pas particulièrement eu de chance en le portant, mais je refuse de le perdre. » Parce que ça appartenait (avait appartenu) à sa sœur et que Lux avait toujours été si importante dans la vie de Lizzie. Trop importante peut-être même et les blessures qu’elle avait eu en essayant de la sauver n’étaient que témoin de cet attachement.
Mais Lizzie refusait d’y penser.
Lizzie refusait d’accepter.
« J’essayerais de la convaincre ! »

Lux l’attendait à la maison, elle attendait que sa sœur revienne de cette expédition dans le désert. Regard autour d’elle. Lizzie craignait les Transcendés qui avaient ramenés les douleurs, les brûlures. Parce qu’elle avait soigné au-delà de ce qu’elle pouvait ceux qui étaient blessés.
Elle mordit dans le muffin banane-chocolat pour chasser les pensées sombres de son esprit. Lizzie n’était pas une masse sombre, non, elle était un soleil rayonnant et elle ne devait pas se laisser disparaître, elle ne devait pas laisser la lumière se faire engloutir par la noirceur.  
« Ce n’est pas si adorable, voyons. C’est tout à fait normal, c’est un remerciement. » Sourire brillant sur les lèvres de la scientifique alors qu’elle regardait Mackenzie. Et elle ne put que s’empêcher de rire parce qu’il avait totalement raison, le mal qu’elle s’était donnée n’avait pas été nécessaire. Il y aurait eu des moyens de ne pas se perdre, ne pas s’engouffrer sans rien dans ce désert.

« J’aurais pu oui, mais je n’y ai pas pensé. Je voulais juste apporter les muffins. » Parfois, elle pouvait ressembler à un enfant trop excité parce ce qu’il a fait, et ce qu’il veut faire, qu’il veut le faire maintenant, sans penser à rien d’autre. Oui, Lizzie pouvait facilement y ressembler. Parce que c’était ce qu’elle avait fait là : elle n’avait pas réfléchi outre-mesure avant d’avancer dans le désert pour le retrouver sans même savoir où il se trouvait.
Elle sourit. Encore une fois. Si on tentait de compter le nombre de fois où la scientifique souriait, on se perdrait dans le total avant même que la conversation soit terminée. « Oui, j’y verrais attention ! » Et elle hocha la tête. Parce que Lux et elle avaient, en effet, une complicité extraordinaire, et ce n’était plus à prouver. Lizzie adorait sa sœur et l’inverse était tout aussi vrai.

Lizzie ferma le couvercle et posa le pot à côté. « Le reste est pour toi. Tu peux partager avec tes amis aussi si tu veux ! »
Elle sauta et se réceptionna sur le sol pour se retourner vers Mackenzie. « La dernière fois que je suis venue dans le désert, je n’ai pas vraiment eu l’opportunité de visiter, après avoir fini ton muffin, tu veux bien me faire découvrir ? » Parce qu’elle était curieuse, la Lizzie, et qu’elle aimait connaître le plus d’endroit possible. Et puis, en bonne compagnie, c’était toujours plus agréable. Elle n’avait pas peur, avec Mackenzie. Quelque part, elle se savait en sécurité. « Et il faut que tu me donnes ton numéro ! » Regard qui se posa un peu partout, avec le sable à perte de vue. « Lux aurait aimé voir ce paysage.. » Lizzie se souvenait de leur petit voyage au Sahara et l’énergie que Lux avait, les étoiles dans les yeux de sa sœur, oui, elle s’en souvenait parfaitement.
« Tu aimes le désert ? »