Le tissu revient vers lui aussi rapidement qu’il lui avait lancé, mais il ne le vit pas. Il le sentit seulement  frôler son pied, comme quoi il avait raté son lancer. La sensation l’intrigua tout de même, Aleksei glissa un doigt en dessous de la serviette sur son visage pour la relever, jetant un coup d’oeil à travers la vapeur à celui qui lui tenait un discours pour le moins plein d’émotions. De la rage surtout, il la percevait dans sa voix. Pas de cette rage haineuse, mais plutôt une rage d’impatience. Aleksei se releva tout de même la tête, une expression de surprise. Il eut envie de répondre, mais s’abstient, se contentant d’humecter ses lèvres par une nouvelle gorgée d’eau, de cette bouteille de moins en moins froide.

Le polarien garda le silence, comme il savait si bien le faire en temps normal avant de se lever, resserrant sa ceinture avant d’ajouter une louche d’eau sur les pierres volcaniques, provoquant un nouveau nuage de vapeur qui allait monter la température de la pièce. Il semblait tant y tenir à cette chaleur, il fallait croire que le désert n’était pas assez chaud à son goût. Le blondinet regrettait un peu son acte, sachant qu’il allait provoqué sa propre déshydratation par le fait même, mais il ne put s’empêcher d’envisager de rendre l’espace trop chaud pour que Maverick quitte et qu’il garde l’espace pour lui seul, là où enfin, il pourrait se déshabiller. Enfin, il lâcha la louche de façon bruyante, une manière de lui faire comprendre sans mots qu’il allait l’avoir sa chaleur, bien qu’il était lui aussi dérangeant en son genre.

Or, Aleksei n’était pas un homme rancunier et bien qu’il avait parfois une bonne répartie, il était du genre à aboyer fort, mais jamais il ne mordait. Il retourna s’asseoir, marchant sur la pointe des pieds, pour souligner le ridicule de la demande de l’oublié. Il allait remettre sa serviette sur le visage lorsque Maverick ouvrit à nouveau la bouche, libérant un flot d’absurdité qui vint piquer le blondinet assez fortement. Il se redressa d’un coup, s’exprimant d’un Hey! un peu trop fort pour le calme qu’il recherchait. Il prit sa bouteille d’eau presque vide et la lança d’un trait vers sa mauvaise compagnie, ratant volontairement sa cible en visant un peu plus haut que sa tête. Il aurait aimé se rater et lui lancer en pleine face, mais il n’avait pas cet espoir de devoir essuyer du sang ou le ramasser au sol pour le sortir du bain de vapeur si jamais il s’évanouissait.

Aleksei se leva bien droit et pointa son index vers l’avant, les mots lui manquant sur le coup avant de s’asseoir, sa prestation de mécontentement raté.

— Faut pas se fier aux apparences.

Ses sourcils restèrent froncés, mais il ne savait pas vraiment quoi lui ajouter. Il ne voulait pas avoir le projecteur sur lui, il n’avait pas à s’expliquer, il ne lui devait rien à cet habitant du désert, à ce garçon plein de secrets. Lui aussi pouvait garder son mystère. Il n’avait pas besoin de dire qu’il avait des tatouages à lui cacher et il se sentait bien ridicule un peu, de les cacher justement. Aux yeux de son sauveur des sables, il allait toujours être l’imbécile qui était resté pris dans un sable mouvant. Il ne pouvait pas être un simple garçon qui avait fait du sandboard dans le désert, il était celui qui s’était pris dans le trou. Pourquoi vouloir cacher des détails qui le rendaient moins ordinaire? Parce qu’il voulait sa part de mystère et surtout, n’avait pas envie de se dévoiler à lui qui en dévoilant jamais.  De là à croire qu’il était une petite chose fragile qui n’osait se laisser toucher par personne. Il avait le droit de ne pas aimer s’exposer, non? Il avait bien connu la chair là-haut et même d’autres fois ici tout en bas, mais jamais à Célestia.

— On va pas se mentir, t’as pas l’air d’avoir une femme qui t’attend sagement dans une tente dans le sable. Mais après, qu’est que j’en sais. Ça doit plaire à certaines, ton caractère de marde.

Les mots avaient quitté sa langue avec une pointe d’amertume et de regrets. Il aurait aimé faire reculer le temps, les faire revenir vers lui, comme s’il n’avait jamais été exprimé, jamais été craché à son visage. Il aurait aimé les avaler, faire tourner sa langue sept fois ou encore cent fois et se calmer. Or, il était trop tard et les choses étaient dites, marqué dans l’esprit de l’oublié qui réagit. Aleksei voulait le faire réagir, lui faire dire des choses, voulait savoir si était la rouquine sur son arrière-plan, mais il n’en fût rien. Le regret se changea en déception et en honte, alors qu’il baissa l’échine devant celui qui quittait la pièce en laissant le froid dans le sauna par des mots vrais et un pas décidé.

Le polarien soupira et se tapa le milieu du front, se traitant d’idiot à voix haute alors qu’il entendait une porte claquée de l’autre côté. Sûrement était-il seul maintenant, dans cet endroit. Alors, pourquoi ne se sentait-il pas soulagé? N’était-ce pas un objectif principal d’être seul, de le faire partir pour profiter de cette journée rêvée? Le déroulement des choses ne lui convenaient pas et il soupira avant de détacher son peignoir et se laisser choir sur le banc, pour essayer de relaxer bien qu’il ne se sentait pas tout à fait bien, avec ce poids sur l’estomac et ce mal de tête débutant.

Le restant de la journée se passa comme il l’avait prévu, hormis que les pensées attaquaient son esprit sans cesse et qu’il ne sentait pas plus reposer qu’avant d’avoir quitter la ville. Il avait quitté le spa, avait bien dîner. Son regard avait cherché l’habitant des terres de feu sans le trouver et il s’étonna d’être déçu de quitter la pièce sans l’avoir vu. Aleksei était aller se promener dans les bois alors que le crépuscule chatouillait les étoiles et en rentrant, il s’était laissé attirer par un feu de foyer, parfait pour réchauffer le bout de ses doigts glacés.

Qu’allait-il faire maintenant? Il ne pouvait pas passé une deuxième journée à se laisser gruger par la culpabilité. Peut-être pouvait-il demandé à l’accueil pour connaître le numéro de chambre de Maverick et aller s’excuser, comme si quelques mots pouvaient tout effacer. Le destin sembla lui rire dans la face lorsqu’une personne tapa sur son épaule. Dès qu’il eut tourner son visage, une tonne de mots vint l’attaquer et il savait que même s’il n’avait pas été vu, il avait la main pris dans le sac. Son visage s’empourpra, bien qu’il était inhabituel pour lui de réagir si fortement à ses émotions.

Aleksei était le genre d’homme à pouvoir feindre ses sentiments, repoussé ce qu’il ressent pour garder son visage d’un blanc immaculé, ses yeux aussi neutre que glacé, de ce visage naturellement bête par son manque de sourire et d’éclat. Pourtant, Maverick était devant lui et Aleksei ne put s’empêcher de balbutier des mots incompréhensible pour l’oreille humaine, un charabia d’excuses mal formulées, s’enfonçant de plus en plus dans son désastre. Il se retourna vers le feu, s’attendant que l’Oublié allait prendre place autour du foyer, peut-être pas sur le divan à côté de lui, mais sur un fauteuil tout près. Ses mains cachèrent son visage et il les fit glisser dans un râlement de désespoir. Il retrouva ses esprits et éclaircit sa voix avant de s’exprimer.

— J’ai pas fouillé. Ton holokit vibrait sur la tablette, j’ai cru que c’était peut-être une p’tite bête qui grattait sur la porte et quand j’ai ouvert, il a failli tomber. Je l’ai juste remis sur tes vêtements pour pas qu’il tombe encore quand t’allait l’ouvrir.. Je savais pas que c’était ton casier, avant de voir le linge..

Il leva la tête, le fixant dans les yeux sans se défiler cette fois. Parce qu’il était sérieux, parce qu’il était honnête et qu’il voulait que son.. Que son quoi d’ailleurs? Il ne savait pas comment décrire la relation qu’il avait tous les deux. Connaissance? Affaire? Miséricorde du destin? Tant pis, il chercherait une étiquette un autre jour.

Pour l’instant, il se concentrait sur le visage de Maverick, bercé par la lumière vacillante du foyer. L’ambiance était si douce et le hall était calme, sans autre touriste dans l’endroit. Ils étaient seuls pour laisser aller la rage ou toute autre chose, pour s’exprimer sans interruption ou oreilles indiscrètes. Il avait un certain charme avec ce clair-obscur, avec les teintes chaudes du feu qui l’éclairaient. Aleksei prit son holokit et prit une photo en essayant d'être subtil. Au moins lui n’en prenait pas une dans une position disgracieuse et le mettait même à son avantage. Et puis, il ne savait pas s'il avait effacé ou non la photo de la dernière fois, c'était à juste valeur.

— Désolé pour.. Pour tout à l’heure. J’avais aucun droit de te dire ça. Quelque chose me dit que si la femme sur ton fond d’écran était avec toi dans le désert, tu ne la quitterais pas pour perdre ton temps ici.. C’est quelqu’un de ta famille ou…

Il n’osa pas prononcer autre chose, comme si le mot petite amie n’arrivait pas à sortir, prisonnier sur sa langue. Ses yeux se détournèrent pour observer la danse des flammes avant de revenir sur lui, grand ouvert, réalisant qu'il venait de donner une information de trop.

— Je.. Uhm. Tu sais, quand j'ai attrapé ton téléphone.. l'écran s'est affiché. C'est difficile de pas regarder.. Mais laisse.. T'as aucune raison de me répondre. Puis, je préfère que tu dises rien que d'essayer de me trouver un mensonge pour garder tes secrets.. Il fit une pause, souriant doucement, souriant tristement. Il aurait aimé en savoir plus, mais plus il observait Maverick, plus il était incapable de le cerner, de trouver la faille pour le pousser à parler. Tu voudrais un truc à boire? Je pensais aller me chercher un moka crème fouetté?

Cette arôme était parfaite et il ne pouvait s’empêcher de humer sa tasse en faisant attention de ne pas crémer le bout de son nez. Le brûlé du grain avec le sucré du chocolat accompagné du crémeux de la chantilly et ces copeaux de chocolat noir et de cannelle pour le garnir. Ce n’était pas la première fois qu’il le prenait, mais il en découvrait les saveurs comme une nouvelle expérience, les ingrédients étant un peu modifié à chaque fois. Aleksei appréciait ce type de surprise dans sa vie alors que d’autres étaient davantage une malédiction qu’une bénédiction, comme sa rencontre avec Maverick dans le désert.

Du moins, c’est ce qu’il pensait avant et peut-être encore maintenant. Il buvait son breuvage sans dire un mot, écoutant comme il savait si bien le faire, sans l’interrompre, sans dire de vacheries, le moment n’étant pas le bon. Le tombeau en face de lui venait de s’ouvrir, à peine une petite fente, mais suffisante pour exprimer quelques mots qui attisaient la curiosité du suédois à l’égard de l’oublié. Un intérêt qu’il ne savait justifié, mais le mystère qu’était cet homme le poussait à vouloir s’en approcher davantage, pour en connaître plus, toujours plus. Était-ce vraiment dans son intérêt, était-ce vraiment une bonne chose? N’avait-il pas déterminé plus tôt que l’arrivée de Maverick dans sa vie le poussait à être une personne dont il n’était pas fier?

Pourtant, il le regardait avec une petite pointe d’admiration, mais également de questionnement, sans oser les demander. Faire le deuil de sa mère n’avait pas été facile lorsqu’il était jeune, mais il n’était pas seule pour vivre cette épreuve, à l’inverse de l’Oublié qui semblait plutôt se renfermer sur lui-même au lieu de chercher une main pour le guider. En même temps, Aleksei avait vu sa mère mourir sous les griffes du crabe, mais l’homme devant lui étant dans l’ignorance. Est-ce que la chute avait été fatale pour cette dernière ou était-elle tout simplement ailleurs, là où il n’avait pas accès à cause de son statut d’habitant du désert? Être dans sa situation, est-ce qu’il essayerait de remuer ciel et terre pour cette rousse ou il laisserait couler et accepterait qu’il n’y avait aucune chance de la retrouver?

— Veux-tu m’envoyer une photo d’elle? Je pourrais faire une recherche dans la base de donnée du poste de police Celestia pour voir si elle est là. Tout le monde est recensé et on sait jamais. Y a des gens qui ont perdu la mémoire après la chute..

Son minois n’affiche rien, ni sourire, ni douceur, seulement un calme et un sérieux qui lui est propre. Aleksei commence à retrouver ses moyens, comme si le fait de savoir qu’il avait une copine lui faisait voir le feu derrière l’oublié comme un simple feu, sans aucune ambiance, sans aucun intérêt. Du moins, c’est ce qu’il voudrait se faire croire. Il ne comprend pas pourquoi il se sent si seul en ce moment, avec rien qui ne l’attache à ce monde-ci. Une part de lui l’envie d’avoir cet espoir et une autre part aimerait la détruire comme on écrase un mégot avec le talon. Or, Aleksei n’a pas envie de revoir ce regard de colère qu’il lui avait lancé plus tôt et le sujet de sa petite amie sans nom semblait être plus que tabou. Il reprit une autre gorgée comme si une idée allait lui venir soudainement.

— Je pensais pas que t’étais du genre mamie à boire du thé. Tu viens de perdre toute crédibilité avec ton truc à.. ça sent quoi d’ailleurs?