Aleksei faisait tourner son index contre le pourtour de sa tasse, presque vide, d’un café un peu trop faible en caféine. Il était perdu dans ses pensées qui n’étaient toujours pas totalement clairs, bien que l’alcool de l’autre jour s’était évanoui de son sang. Il avait un peu de regret, la gorge serrée, plus qu’à l’habitude, comme si elle lui reprochait d’avoir tant parler durant l’autre soirée. Il était rare qu’il s’expose autant, il était rare qu’il soit proche d’une personne suffisamment pour s’ouvrir, parler de sentiments qu’il ne comprenait même pas lui-même. Il repensait aux brouhaha dans sa tête ce soir là, au façon qu’il avait parlé de Rachel, à la façon dont il avait mentionné Maverick, sans être vraiment clair. Et pourquoi celui-là s’était pointé dans son esprit ce soir-là? Il serra la mâchoire, insatisfait de lui avant de donner un coup de poing sur la table, faisant sursauter le pauvre couple à côté de lui.

Le jeune Lindelof s’excusa du dérangement et regarda l’heure sur son holokit. Le fonctionnaire allait bientôt se joindre à lui, l’heure du rendez-vous arrivait et il était venu beaucoup trop en avance, craignant de ne pas avoir de table pour le brunch. La serveuse lui avait apporté deux menu et il avait pris un café, pour passer le temps, parce qu’il adorait ce nectar des dieux, mais avait laissé le menu clot, voulant avoir la surprise du menu en même temps que son invité. Impossible de ne pas se demander ce qui allait être le résultat de cette rencontre, mais il espérait que son ami ne termine pas la tête dans une cuvette de toilette, encore. Et surtout, que le déjeuner de ce dernier reste dans son estomac et ne termine pas sur lui, encore. Pavel avait mentionné devoir parler de quelque chose et outre les mille excuses qu’il lui avait adressé, Aleksei ne voyait pas vraiment ce qu’il avait à rajouter de leur précédente rencontre, mais il était prêt à lui prêter une oreille attentive. Peut-être avait-il trouvé une idée pour régler son dilemme amoureux et qu’il voulait lui en faire part?

La cloche de la porte se fit entendre et il étira son cou pour apercevoir s’il s’agissait de son partenaire alimentaire avant de lui faire un signe de main pour qu’il vienne le rejoindre. Espérons que cette fois-ci, aucun nuage ne vienne arroser leur table.

La chaleur du café coulait dans sa gorge, avec ce petit soupçon de douceur apporté par le nuage de lait et une pincée de sucre. Il aimait ce goût, mais n’arrivait pas à déterminer comment il le préférait, changeant d’idée à chaque fois. Il prenait le temps de le boire, écoutant les excuses de Pavel, pour une énième fois. Une partie de lui avait envie de soupirer, commençant à se lasser de l’état d’épave de son ami. Non pas qu’il ne voulait pas l’aider, mais il avait l’impression que son mal d’amour amplifiait ce besoin de se faire pardonner par sa personne encore et encore. Pourtant, le seul responsable, c’était la boisson et surtout celle qu’il lui avait fait boire. Le jeune homme lui versa une tasse de café et la poussa en sa direction.

— Arrête, vraiment. Sinon je vais croire que tu as fais par exprès pour me vomir dessus. Tu eus un petit rire, bien que ta demande était sérieuse. C’est des choses qui arrivent, t’as pas besoin de t’excuser, tu m’es redevable de rien. Vraiment rien.

De la cuisine venait de douces odeurs qui venaient lui caresser les narines et maintenant que son ami était avec lui, il se mit à feuiller le menu, impressionné par la variété possible. Il n’était jamais venu ici, mais les critiques qu’il avait trouvé en ligne étaient plutôt bonnes et l’avait facilement convaincu. Il y avait pour tous les goûts, allant du sucré au salé, de repas copieux à petits déjeuners simples, de l’originalité et du traditionnel. Il lui fallait seulement savoir si aujourd’hui il était plutôt sirop d’érable et fruits, fèves au lard et œufs ou plutôt saumon fumé et bagel au fromage. Il continua de feuilleté en prenant une gorgée avec laquelle il s’étouffa, mais réussit à garder le liquide dans sa bouche, ne voulant pas reproduire le crachat de l’autre jour.

— Mon blanchisseur? Elle s’appelle laveuse automatique et s’en est bien sorti, t’inquiète.

Son appétit était bien présent. L’avantage de la jeunesse était qu’un lendemain de veille s’évanouissait rapidement et plus d’une journée s’était écoulé depuis leur dernière rencontre, son corps se portait très bien, assez même pour lui permettre d’aller courir plus tôt ce matin. Il avait eu le temps de prendre une douche avant de se présenter à leur rendez-vous et maintenant, il attendait. Son regard allait du menu au fonctionnaire, se questionnant sur le contenu de son message assez tôt l’autre matin, ce fameux sujet qu’il devait lui annoncer. Pourtant, Aleksei ne le questionna pas et ne l’invita pas à parler tout de suite. Il sentait le Polarien plutôt nerveux, bien que ça semblait être un état d’esprit constant chez lui. Chaque chose en son temps.

La serveuse s’approcha d’eux et leur demande s’ils étaient prêt à commander. Le blondinet demanda un bagel avec fromage à la crème, câpres et saumon fumé avec une salade de fruits et un croissant. Il avait bien vu le sandwich de gaufre avec du poulet frit au centre, mais le poulet avait été rayé de sa liste d’aliment consommable et il essayait de devenir un bon petit végétarien, bien que l’extra de bacon le faisait saliver. Il tendit son menu, décidé à ne pas manger de viande aujourd’hui avant de prendre une nouvelle gorgée de café pendant que la serveuse attendait la réponse de Pavel.

— T’as l’air encore en lendemain de veille. Tu as bu hier?, lui demanda-t-il, le regard un peu inquiet que la peine d’amour de Pavel l’amène à de mauvais vices.

Il arrive des choses dans la vie que l’on ne peut pas expliquer. Les destins se croisent et des chemins se dessinent, empruntant des détours et des tournants puis des surprises. L’expression comme quoi le monde est petit s’appliquait parfaitement à la situation. Aleksei était surpris et pendant un instant, on put même le lire sur son visage habituellement si inexpressif. Ses paupières s’étaient ouvertes davantage, laissant un grand regard, un étonnement caractéristique. Sa bouche s’ouvrit puis se referma, semblable à un poisson rouge qui forme des bulles, à défaut de pouvoir faire autre chose. Sa tasse de café reposait sur la table et aucun liquide ne fût projeté sur le fonctionnaire, cette fois-ci.

— Oh.

Il resta dans la silence, cherchant une réponse alors que son cerveau analysait les mots qui lui avaient été lancé avec vitesse et un millier d’excuses. Vraiment, il ne comprenait pas pourquoi les gens avaient cette manie de se faire pardonner encore et encore avec des mots plus au moins vide de sens, répétant les mêmes choses. Sa tête se baissa alors qu’il plongeait son regard dans son unique vrai amour : le café. Rachel, Rachel, Rachel. Il n’y en avait pas trois milles des Rachel, n’est-ce pas? Du moins, qui habite Requiem. Peut-être que oui, peut-être que non, mais il avait ce drôle de sentiment que le karma avait décidé qu’il s’agissait de la même, alors il ne tenta pas de le questionner sur l’apparence de la dame, se doutant déjà de la réponse.

— Ne t’excuse pas, voyons. Tu n’as rien fait de mal. Tu l’aimes, c’est tout.

L’index du suédois se mit à tourner, traçant le contour de la tasse. Il n’y avait rien à ajouter. Des sentiments, peut-on vraiment les contrôler? Bien sûre, on avait un certain contrôle sur la manière de les exprimer, de les réprimer, mais elles apparaissent sans demander notre avis, sans autorisation préalable.  Aleksei avait bien réfléchi pendant les dernières heures, celles qui séparaient leur rencontre d’aujourd’hui avec la tequila de l’autre jour. Il s’était remis en question, encore, mais moins obsédé par l’image de cette douce blonde. Non, c’était le visage d’un autre maintenant qui hantait ses nuits. Et alors, il avait compris que tout ceci n’était peut-être pas de l’amour pour la jeune dame.

Il ne savait pas vraiment ce qui se passait entre eux, mais ce n’était pas de l’amour. L’amour, c’était ce que Pavel ressentait, ce qui le mettait dans un état si terrible, qui le faisait souffrir comme le rendait heureux. Et ça terrorisait Aleksei de croire qu’aimer une personne pouvait faire si mal ou rendre une personne si vulnérable. Était-ce seulement Pavel ou est-ce que ça pouvait lui arriver à lui aussi? Il soupira doucement, lâchant la tasse pour passer ses mains sur son visage, pour s’aider à s’éveiller, pour chasser de telles pensées. Son ami avait tout de même raison : il planait un certain malaise entre eux maintenant. Il secoua la main en l’air, comme pour chasser une mouche ou tout simplement pour dire qu’il valait mieux passer à autre chose.

— Vraiment, t'en fais pas. Comme j'disais l'autre jour, je pense pas que mes sentiments étaient vraiment sincères. ALORS. Tu as décidé ce que tu allais faire à son sujet? Tu vas aller la voir ou attendre qu’elle revienne vers toi?

Autant battre le fer pendant qu'il est chaud.

Les mains du jeune garçon se croisèrent devant lui, coudes appuyées contre la table, avant de poser son joli menton tout rond sur le pont qu’elles formaient, attendant une réponse de son ami. La situation était tout de même curieuse. Ils se retrouvaient là, ensemble, dans une heure de la journée qui ne leur était pas conventionnel. À bien y réfléchir, c’était la première fois qu’ils se rencontraient ailleurs qu’au bar. De façon volontaire, du moins. Bien qu’il était agréable de déjeuner en compagnie de quelqu’un au lieu de discuter seul avec son poisson d’appartement, Aleksei réalisait qu’il ne connaissait pas grand-chose du fonctionnaire, outre son désespoir, qu’il soit amoureux ou un bourreau du travail.

Le suédois tendit sa tasse pour avoir le droit à un refill et y ajouta un nuage de lait avec un sachet de sucre avant de touiller sa cuillère dans le liquide pour mieux mélanger le tout. Il continua de faire tourner l’ustensile, écoutant soigneusement les paroles de Pavel, bien qu’elles ne le satisfaisaient pas. Attendre, c’était une action qu’il semblait être familier pour le fonctionnaire. Poursuivre sa vie comme si de rien n’était, dans un état de larve ou de zombie selon le point de vue, sans rien prendre en main. En attendant que les choses se corrigent d’elle-même ou qu’il oublie ce sentiment, cette sensation de rejet. Les deux garçons étaient bien différents et même si Aleksei savait faire preuve de patience, il ne se voyait pas tout simplement attendre dans ce genre de situation, sans toutefois faire preuve d’impulsivité. Ne fallait-il pas démontrer un intérêt plutôt que de sembler baisser les bras?

— Je n’ai pas encore réalisé. Je disais ça pour être gentil. En fait, je vais sûrement aller la voir et lui faire une déclaration. Qui sait, elle aime peut-être les hommes entreprenants et ça me permettra d’avoir un rencart. Et peut-être plus.

Il prononça ses mots avec calme et sérieux puis sorti la cuillère du café pour donner trois petits coups sur le bord, pour faire tomber toutes gouttes possibles dans sa tasse. Pas de gaspille. Il la déposa dans la petite soucoupe et prit une gorgée alors qu’un sourire mesquin se dessinait sur son visage. Il ne pensait pas réellement les mots qu’il venait de dire, mais il avait pour objectif de faire réagir le fonctionnaire, de lui brasser les nerfs. Il laissa les paroles se transporter vers ses tympans, avec toutes les suppositions et scénarios qui pouvaient en découler. Était-ce malsain d’attendre que le visage de Pavel se rougisse, se couvre de sueurs, se pétrifie? Après tout, il ignorait tout ou presque d’Aleksei. Comment savoir s’il était sérieux ou s’il voulait plaisanter? Comment savoir s’il avait des intentions nobles ou s’il lui déclarait la guerre?

Certes, il est vrai qu’Aleksei prévoyait aller voir la jeune dame, mais il ne pensait pas lui faire compétition et encore moins se déclarer. Plutôt essayer de comprendre ce qui pouvait tant lui plaire ou ce qu’elle pouvait représenter pour lui. Or, cette partie, il allait la garder pour lui au risque de faire craindre le pire à son collègue de boissons alcoolisées. Il reposa sa tasse et soupira d’insatisfaction. Il manquait quelque chose.

— Non, sérieusement, mes sentiments font pas le poids à côté des tiens. Puis, depuis qu’on a parlé, j’y pense plus vraiment alors. J’en conclus que ça devait pas être sérieux. Il fit une petite pause en déchirant l’enveloppe de sucre pour la verser dans son café, recommençant à le mélanger avec la petite cuillère. Malmener, c’est pas vraiment le terme. On se charrie l’un et l’autre, j’imagine que c’est notre façon de s’apprécier.. Sinon, pas vraiment de développement. Il cherche sa copine à travers Althea et autant dire que je pourrais l’embrasser qu’il comprendrait pas le message, j’pense. Je sais pas.. J’arrive pas à penser clair quand je suis avec, il me fâche, me fait rire et me fait chier en même temps. On dirait que j’vire bipolaire, j’ai pas d’allure.

Les joues du blondinet se teintèrent légèrement en repensant aux scènes dans le sauna de l’autre jour et de la façon dont la soirée avait terminé autour du feu. Il regardait de temps à autre la photo qu’il avait pris en douce ce jour-là et se demandait encore pourquoi il en avait pris une, incapable de se l’expliquer. Sa main vint caresser ses cheveux, les mettant en bataille comme l’était ses pensées dans sa caboche en cet instant. Son regard se détourna, un peu mal à l’aise de s’ouvrir ainsi, mais sans aucun regret de provoquer des crises de coeur chez Pavel. Il chercha la serveuse du regard, impatient que leurs brunchs se pointent le bout de nez, pour lui donner une excuse pour éviter une question lorsqu’il aura la bouche pleine. Puis, se résigna et décida de jouer cartes sur table avec celui qui lui faisait confiance pour s’exprimer depuis le début.

— Quand on aime quelqu’un, ne devrait-on pas devenir la meilleure part de soi-même en étant avec cette personne?

Il aimerait soupirer au point que l’air manque à ses poumons. Il aimerait se passer la main dans les cheveux jusqu’à ce qu’il en arrache au passage. Il aimerait pouvoir décrire cette confusion mentale, ce désespoir dans son âme, ce regret d’émotion et cette passion inexplicable. Était-ce exagéré? Bien sûre. Il détestait cet homme comme il souhaitait le revoir. Pourquoi voulait-il passer du temps avec quelqu’un qu’il trouvait désagréable? Pourquoi vouloir être en compagnie d’un imbécile? Une seule réponse lui venait à l’esprit : le coeur a ses raisons que la raison ignore. Cette discorde mentale ne lui plaisait pas et cette situation conflictuelle entre ce qu’il désirait faire et les battements de son coeur lui provoquait un désir de se noyer dans son café, qu’un rouquin lui envoie une bouée.

Au lieu de ça, Aleksei tenait sa tête entre ses mains, entendant les mots de son compagnon de brunch comme un marteau lui cognant sur le sommet de son crâne plutôt que l’espoir qu’il attendait. Il pointait là où ça faisait mal. Il montrait du bout de son index de jugement que son désir était immoral, que son action était incorrecte et lui parlait d’amour alors que le jeune adolescent ignorait ce que représentait réellement l’amour. Il n’était pas du genre à poursuivre une femme sûrement décédée dans tous les coins d’Althea, mais sûrement était-ce parce qu’il n’avait pas encore rencontré la bonne personne. En même temps, il y avait Pavel devant lui qui s’était déclaré et n’avait pas le courage d’affronter un probable refus en allant rendre visite à la personne concernée.

Les mots de sagesse du fonctionnaire atteignirent les oreilles d’Aleksei, mais il était incapable de donner réponse. Sa tête lui sembla lourde, horriblement lourde et alors, il la laissa tomber pour la soulever et le cogner à nouveau. De petits coups, une tête qui se soulève de moins d’un centimètre, juste pour dire qu’elle embrasse continuellement la table.

— J’ai faiiiiiiim.

Était-ce une tentative pitoyable de changer de sujet? Clairement. Était-ce l’envie de faire passer le projecteur sur autre chose que ses déboires? Totalement. Est-ce que ça allait fonctionner? Absolument pas. Il finit par relever la tête, prenant le restant de son café comme un shooter, considérant l’idée de ré-expérimenter avec un cappuccino. Or, la serveuse était bien loin de lui, l’obligeant à caresser sa tasse de café vide, le désespoir encore plus présent dans son âme.

— Aimer, aimer, aimer. C’est un bien grand mot. Il est… intriguant? Un peu comme Rachel, quoi. Quand elle s’étire ou qu’elle se penche juste assez pour que le bas de son chandail se lève et dévoile le début d’une rose.. Ça donne envie de voir s’il n’y a pas autre chose de graver plus haut…

Le sourire revint à la charge, ce sourire malicieux accompagnant son mensonge. Ce désir de voir la panique ou la rougeur sur le visage du jeune pudique que semblait être Pavel. Il voulait voir le doute, le questionnement, le désir de pouvoir découvrir sa douce. Peut-être un peu d’envie ou de rage envers Aleksei même. Le blondinet scrutait son visage à la recherche de la moindre expression de plus pour s’en délecter, pour apprécier le désespoir de son ami qui pourrait lui faire oublier le sien, déplacer l’attention pour ne plus être au centre. Aucune honte de faire tourner en bourrique son ami, aucun regret d'inventer une image qui pouvait terminer en déception ou curiosité mal placée envers la douce de la Vallée. Puis, il poursuivit son discours, la pause ayant pris le temps d’une respiration, d’un soupir.

— C’était une façon de parler, en. Je vais pas l’embrasser pour vrai. J’ai des valeurs, quoi. J’sais pas trop. Faudrait que j’apprenne à le connaître plus, je suppose. Pour mieux comprendre ce qui se passe là-dedans. Son index se posa sur sa tempe, faisant référence à sa caboche. Un nouveau soupir se fit entendre, c’était le matin des lamentations. Mais.. Comment t’as fais pour apprendre à la connaître si elle est à Requiem et toi, ici? C’est pas… compliqué?