- Où suis-je ? Où est Will ?

La femme le regarda avec compassion avant de détourner le regard vers sa collègue qui pénétra dans la petite chambre. Ce fut cette dernière qui prit la parole d’une voix sûre et sans équivoque.

- Vous êtes à Althea, le monde souterrain. Vous avez chuté du gouffre, vous vous souvenez ?

Oui, les sensations de sa longue descente lui revenaient, un silence de mort, la fraîcheur de l’air sur son visage, la chaleur du corps qu’il enserrait sur son torse. Il acquiesça avant d’insister :

- Où est Willelmina ?

Les deux femmes se regardèrent à nouveau, s’interrogeant l’une et l’autre sans trouver la réponse espérée.

- Nous ne savons qui elle est … Votre amie a-t-elle chuté avec vous ?

Sam se prit le visage entre les mains. Non, c’était lui qui était tombé avec elle, la jeune femme voulait en terminé, le voile de l’abandon traînait dans ses yeux ses derniers jours. Il s’était dit que ce n’était qu’une passade, après tout la noirceur de l’âme de Will n’était pas nouvelle. Il pensait pourtant que sa bienveillance suffirait à la ramener dans la lumière, sa lumière. Un leurre qu’il s’infligeait à lui-même.

- Je la tenais dans mes bras … murmura-t-il dans un souffle douloureux.

Une main se posa sur son épaule, il releva la tête pour observer celle qui lui faisait face.

- Nous n’avons retrouvé personne d’autre, pas de corps non plus. Elle doit sûrement être sur ces terres, ne vous inquiétez pas.

Il n’était pas inquiet, juste désorienté. Quand on y réfléchit, une chute pareil, on y survit pas. Était-ce les derniers soubresauts de son esprit qui le trompait sur la mort approchante ? Lui offrant l’espoir d’une nouvelle vie, meilleure vie ? Sa mort devait être bien lente pour que son esprit ait le temps de créer tout ce qui l’entoure. Et la sensation de cette main sur lui, si réelle ! Le cerveau, quelle machine fascinante !

- Est-ce que vous auriez un texte à me faire lire ?

Isabella, la femme en face de lui, fronce des sourcils. Les examens n’avaient révélés aucune lésion cérébrale, une brèche avait-elle échappé aux médecins ? Les soignants étaient pourtant formels. Peut-être était-il seulement déboussolé. Elle se souvenait de sa propre arrivée ici, elle n’y croyait pas une seconde, pensant rêver. Sa collègue fut plus rapide qu’elle à la détente.

- Lire ? Écoutez vous semblez hagard, rallongez vous, Monsieur …?
- Samaël. Répondit-il en se massant la tempe. Non vraiment, j’ai besoin de savoir si je rêve, j’ai lu une étude assurant qu’il est impossible de lire en rêve, si vous ne me donner pas un texte je saurais que tout ceci est irréel.

Ah c’était donc ça. Isabella sourit malgré elle avant de fouiller dans les poches de sa blouse en ressortant son carnet des cas cliniques. Elle le lui tendit, il l’attrapa en hâte pour y ouvrir les premières pages.

- L'amyotrophie spinale proximale liée au gène SMN1 est une maladie rare d'origine génétique qui touche les cellules nerveuses qui commandent les muscles... lu-t-il.

Il regarde les femmes avant de lâcher un « Qu’est-ce que c’est que ce bordel? »

Vint les présentations, les explications, longues, sur ce monde, ce pays, son fonctionnement, ses principes. Beaucoup d’informations qui fourmillèrent dans l’esprit de notre botaniste qui tantôt s’extasia, tantôt s’inquiéta, mais surtout interrogea les bienfaitrices qui l’ont recueillit dans l’hospice. Il comprit qu’Althea était divisé en quatre pays dont deux se confrontaient pour de part leur idéologie différente. Il s’en attrista, les hommes n’apprenaient donc pas de leurs erreurs et recommençaient ici-bas ce qui détruisait le monde là-haut. Le pouvoir, l’argent…
La curiosité l’emportant, il fut heureux de quitter les lieux pour explorer son nouvel environnement quelques jours plus tard. Les femmes lui donnèrent des adresses pour trouver un hébergement précaire, et surtout un travail qui lui permettrait de profiter des joies de cette communauté.

En ce jour, il visita l’arbre aux lucioles, une pure merveille. Il y était resté quelques heures, combien ? Il ne saurait le dire exactement, mais en sortant la faim lui fit dépenser ses quelques clochettes de bienvenue dans un repas qui lui parut atypique. Il fut subjugué par ces plantes illuminant la ville, une ingéniosité qui ne fit qu’aviver sa curiosité. Isabella lui avait conseillé de rejoindre les archives magiques où de nombreux scientifiques travaillaient, sa formation de botaniste pouvait être utile à certains d’entre eux qui avait besoin de mains d’œuvres sur le terrain, répertoriant la végétation de ce monde dans des encyclopédie aux savoirs prisés.
Et c’est ce qu’il fit, enfin, tenta de faire. Non pas qu’il avait un mauvais sens de l’orientation, c’était même plutôt le contraire sur Terre, ici par contre … Était-ce la chute ? La nuit éternelle de la ville lui créant un chamboulement interne ? Toujours est-il qu’il se retrouva dans un quartier plutôt désert et n’avait fichtre aucune idée vers où il devait se diriger. Il flânait plus qu’il ne marchait, l’air commençait à se rafraîchir. La tête perdu dans les étoiles, les étoiles emplissant le ciel bleu de ses yeux, il se demanda comment savoir dans ce monde quand se coucher. Y a-t-il des montres spéciales Althea ? Rabaissant son regard sur la terre ferme il fut encore plus subjugué par le spectacle en face de lui. Des lanternes flottaient sur une fontaine aménagé, cela lui rappelait les jardins Parisiens qu’il avait vu une fois dans sa vie. Quand il y pensait, il avait eu cette chance de voyager et découvrir ces merveilles. En regardant de plus près il s’aperçut que ce n’étaient pas des lanternes mais des végétaux qui embellissaient l’eau de leurs fleurs luminescentes.

Le reflet d’une silhouette se mouva au gré des courants superficiels, Samaël releva la tête pour y découvrir une jeune femme brune de l’autre côté de la source. Il se leva, ne la quittant pas de son regard azur, et l’appela de sa voix au timbre de miel.

- Excusez-moi ? Pouvez-vous m’aider à retrouver mon chemin?

La femme se stoppa et le laissa la rejoindre, un sourire se dessinant sur son visage de poupée.

- Je me suis perdu, je dois rejoindre euh les archives magiques? Je crois que je me suis sacrément détourné de ma route, je me trompe ?

Le jeune femme lui indiqua la route d’un vague mouvement de bras, assurant qu’il se perdrait encore dans ce dédale de rue nocturne.
- Vous ne savez pas où je peux trouver une carte de la ville par hasard?

Elle n’en avait visiblement pas sur elle, et le questionna sur sa provenance.
- Tout juste depuis quelques jours oui. A vrai dire, je viens d’arriver à Althea ? C’est bien le nom donné à ce pays souterrain?

Il se caressa sa rousse barbe perdu dans sa réflexion.
- Ça fait quelques jours aussi que je me demande si tout ceci est réel. Avez-vous lu le livre « Playground » de Lars Kepler »? Il n’attendit pas vraiment sa réponse avant de poursuivre, parti dans un monologue narratif. L’histoire d’une expérience de mort imminente où la protagoniste se retrouve dans une ville aux allures asiatiques, où le tri des âmes se fait à coup de balance, un peu comme la tradition égyptienne quand on y pense. Toujours est-il que cette ville est la salle d’attente entre la vie et la mort. Est-ce le cas de Requiem ? Une hallucination de mon cerveau qui vacille encore entre les deux mondes ? Préférant me montrer ce magnifique paysage fantastique en attendant que les médecins prennent la décision de me débrancher ? Après la chute que j’ai fait, ce ne serait pas improbable. Le cerveau … Quelle belle mécanique!

S’apercevant de son bavardage il s’excusa avant de, intrigué par sa propre théorie, pousser plus loin l’étude de cette dernière.
- Cela fait longtemps que vous vivez ici?

Après tout, lorsqu’il regardait autour de lui, un paysage idyllique se présentait à ses yeux, sans défaut, des plantes à outrance utilisées dans la vie de tous les « Astres », les habitants semblaient respecter ce qui les entourait et non façonner ces terres à l’image dont ils souhaitaient en faire. Une leçon apprise de là-haut ou simple divagation de son esprit qui tentait de l’apaiser dans un moment difficile du passage dans l’au-delà ?
Soudain la politesse le rappella à l’ordre, il tendit sa senestre :
- Je me prénomme Samaël, je ne voulais pas vous importuner durant votre balade. Merci pour votre aide.

Prêt à partir, il connaissait ce moment de quiétude que nous procure la solitude dans un lieu magnifique et ne voulait déranger plus encore la demoiselle.