la vie des autres mais à l'envers

Jamais tu n’étais retourné au désert, plus jamais depuis que tu étais
tombé.
Pourquoi y aurais-tu remis les pieds ? Il n’y a là que misère et le souvenir d’avoir ouvert les yeux que tu pensais fermés pour de bon. Si le désert a été l’âpre début de ta deuxième chance, sûrement, il en sera la
fin.

Fermer la porte sur ton appartement devenu maintenant lazaret t’avais déjà fait du bien. Tu ne sais pas combien de temps tu y es resté cloîtré, tu ne sais plus quel jours tu as mangé, ceux que tu as passés à dormir, ceux que tu as passé tétanisé par la plus douloureuse réalisation.

Ta plus grande peur s’était réalisée. Elle te terrorise tant que la plupart des jours tu l’oublies.
La Transcendance.
C’est ta punition, pour ne pas avoir su tirer à temps.

Mais ce jour-là, un des rares où la faim t’avait poussé à ramper hors de ton antre, tu avais vu l’annonce, comme un signe inespéré. Ce jour-là, tu te souvenais que trop bien des symptômes, ceux des malheureux.ses en haut, les tiens. On cherchait celleux touché.e.s par la Transcendance, pour tu ne savais trop quoi. Tu n’avais pas vraiment d’intérêt pour la nature du projet, tu savais seulement que c’était à toi qu’on parlait. Lorsque tu as vu où ce mystérieux projet d’oeuvre collective t'emmènerais, tu as déchiré la page du journal.

Une tente perdue dans la désert, avec un peu de chance on te tendait un piège. Avec un peu de chance, tu ressortirais avec un rein en moins, avec beaucoup plus de chance, tu n’en ressortirais pas du tout.

L’obsession pour cette annonce on ne peut plus louche ne t’avais pas guérie, mais elle avait réussi à te garder hors de ton lit. C’est le pouvoir des pulsions de mort, sans doute.

Toi qui avait abandonné plus d’une fois dans le dernier mois de faire le chemin de ta chambre jusqu’à la cuisine, voilà que tu entreprenais le périple jusqu’au désert, ironique, ou la culmination d’une fièvre de plusieurs semaines. Tu devais t’y rendre sur le champs, avant d’oublier.

À peine maladroitement descendu d’un chameau dont le pelage à l’odeur musquée t’avais donné la nausée, il est évident que tu n’appartiens pas à ces contrées dures, avec ton teint de celui qui n’avait pas vu le soleil depuis des jours, tes vêtements à l’élégance sobre sans trou aucun, le sourire que tu adresses gratuitement aux faciès burinés que tu croises. Ce ne sont là que des apparences, toi et les âmes perdues du désert avez maintenant bien plus en commun que tu n’oserais le laisser paraître.

Tu demandes à qui semble digne de confiance où tu pourrais trouver le photographe. Tu espères presque faire une erreur, qu’on te retrouve dans le détour d’une dune, détroussé de tes quelques sous, saignant d’une plaie au flanc. Étrangement, cela n’arrive pas. Une jeune fille t’as guidé jusqu’à une tente que tu n’aurais pas reconnue entre toutes les autres.

C’est étrange, cette facilité avec laquelle tu écartes un pan de la tente, espérant y trouver quelqu’un, toi qui n’a su répondre à celleux qui toutes ces semaines sont venu.e.s cogner à ta porte. Des client.e.s mécontent.e.s de cette sabbatique spontanée, des ami.e.s inquiets, des relations qui n’ont pas de nom et qui n’en auront probablement jamais, tu ne sauras pas, car dans ton lit tu es resté, l’oreiller sur la tête.

Tu as l’impression que c’est la voix d’un autre qui appelle dans la pénombre sous les draperies: « Bonjour ? Je viens pour l’annonce. »

C’est la voix de ce qui t’a poussé jusqu’ici, l’espoir d’être mal tombé, qu’on t’empêche de retourner à Caer te flétrir lentement sous tes propres yeux.

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Ce que tu vois dans le demi-jour de la tente, à travers les rayons tranchants du soleil qui dans l’étoffe s’étouffent, déçoit tes fantasmes de danger. Ce n’est qu’un garçon affalé dans des coussins flâneurs. Non, tu ne t’attendais pas à mettre les pieds dans un studio léché au beau milieu de la poussière et du vent. Seulement, tu t’attendais à ce que le piège soit plus évident, pour qu’en toute conscience tu marches dedans.

Tu t’attendais peut-être à ce que d’autres aient répondu à l’annonce, peut-être sont iels déjà passé.e.s ? Ou peut-être ont-iels trop honte ? Peut-être ont-iels trop peur? La peur, toi aussi tu l’as au ventre, mais dans ton ventre il y a bien d’autres choses qui de leurs volutes corrompent tout sentiment. Si bien que tu as si peur que tu cherches le péril.

Tu es au bon endroit, mais il ne se redresse pas pour te faire entrer. Il te regarde, comme tu n’aimes pas être regardé. Il te regarde comme toi tu regardes les autres. Il a des yeux comme les aiguilles qui prélèvent la biopsie des coeurs. C’est sans doute ce qu’il faut pour être photographe. Il faut être avide de voler des âmes.

Il y beaucoup de mots qui coulent de la bouche indolente, comme d’une source paresseuse. Tu prends un moment pour l’écouter avant de laisser retomber le pan de la tente derrière toi, scellant ton destin quel qu’il soit.

Toi qui n’aime guère répondre au question, qui n’aime guère se découvrir, qui aurait de loin préféré être à la place de l’autre, que fais-tu donc ici ? Tu ne le sais pas au-delà de cette envie de périr par les mains des autres. Peut-être qu’en parlant, tu le découvriras. Tu souris donc avant d’obtempérer. Tu vas te chercher un verre d’eau, difficile de ne pas être sans cesse assoiffé en ces lieux.

Et tu t’installes docilement sur un pouf désigné, le dos aussi droit que ton interlocuteur est avachi. Tu prendrais normalement la parole, question de contrôler la conversation, de te hisser en premier sur la colline, la position défendable de celui qui questionne. Mais tu es venu ici pour t’abandonner, donner ton corps à l’art comme on le donne à la science. Aurait-il été plus utile que tu t’échoues devant les laboratoires de la vallée ? Sans doute. Malheureusement, ce qui t’amènes ici est foncièrement égoïste. Tu ne crois sauver personne, et sûrement pas toi-même.

Alors tu abdiques avec tout le charme que tu peux conjurer, cette dernière dignité qu’il te reste.

« Très bien. Questionnez donc. »

Il n’y a sans doute pas le besoin de passer par les présentations. Le photographe s’intéresse à une chose, et c’est ce mal qui te ronge. Que saurait-il faire de ton nom, de ta profession, de ton âge ? Tu bois une gorgée d’eau, mais garde l’oeil brillant que tu sais encore manufacturer malgré la maladie.

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Pourquoi ne t’es tu pas douté que pour vouloir ainsi te photographier pour la plus abjecte des raisons, il fallait être un fieffé voyeur. Tu pensais qu’au moins on t’assomerait avant de te disséquer. En plus, c’est toi qui vient de lui donner la permission. Tu lui as dit, Très bien. De ce scalpel venez me piquer. Et tu le regardes, abasourdi alors qu’il te pique encore et encore, sans même regarder, on dirait, ce qu’il a découvert.

Si ta bouche s’est entrouverte pour répondre à la première question, elle se fermée lorsque tu entends la troisième. Il y en a trop. Et chacune d’elle est trop tranchante, elles font sursauter comme tant de coupures, trop minces pour voir à l’oeil nu mais qui contre l’air chaud brûlent de leurs nerfs sectionnés.

Mieux vaut mourir que d’être un monstre.
Terriblement.
J’y songe. Je ne sais pas si j’y arriverai.
Et si seulement je savais combien de temps il me reste.
Oui.
Vous êtes le seul qui savez.

Dans ton silence, ton sourire s’est tendu, il s’est fait de plâtre, sans aucun bon sentiment pour le soutenir. Lorsque tu entends le photographe (en est-il seulement un, tu ne vois rien dans cette tente pour le prouver) jalouser ton affliction, ton sourire s’évanouit complètement. Il y a de ces choses qui ne se disent pas.

« Je ne crois pas, non. »

S’il la désirait tant, cette maladie, tu serais bien enclin à lui donner, si seulement tu le pouvais. Tu es bien égoïste, mais il l’aurait bien cherché, ce ne serait qu’un morbide souhait exaucé.

Mais tu es vain autant que tu es apeuré et devant un compliment, aussi malsain peut-il être, tu ne peux que t’attendrir. C’est que tu es rassuré d’être encore beau. Laquelle des deux viendra la première, la laideur ou la folie ? Peut-être marchent-elles en tandem, peut-être qu’une causera l’autre. Tu ne remercies pas, mais tu te détends de nouveau. Tant mieux, tu n’as guère envie de t’énerver après avoir fait tout ce chemin.

Tu devrais te sentir bien insulté, te lever et partir de cette entreprise qui ne te semble guère sérieuse. Mais cela fait si longtemps qu’on ne t’a pas regardé. Et regarder, le jeune homme dans la tente le fait avec faim, sans gêne aucune. C’est dangereux, mais c’est mieux que le silence et l’oubli. S’il n’y a personne pour te regarder, aussi bien être mort. Tu l’es sans doute déjà pour toutes ses mondaineries qui vite t’ont oublié. Alors, non seulement tu restes, mais tu lui offres même la réponse à une de ses questions sauvage: « Personne n’est au courant. Certains jours, je ne suis pas au courant non plus. »

Tu aurais aimé croire que ces jours d’amnésie seraient pour toi une bénédiction, un repos. Ce ne sont que des promontoires pour chaque fois
tomber de plus haut.

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Il n’y aura pour toi ici aucune compassion, aucune moue désolée, aucune platitude pleine de bonnes intentions. N’était-ce pas ce que tu étais venu chercher, les crocs froids des charognards ? Tu n’aurais pas pu mieux tomber que sur cette hyène qui te rit au visage, qui n’a que faire des tes dernières dignités. Tu aurais aimé être plus colérique, savoir te fermer plus âprement et ainsi ignorer tous ces vilains mots qui viennent te troubler.

En te faisant chiche, tu l’as sûrement déçu. Tu t’es déçu toi-même en tout cas. Tu t’étais tant répété que tu venais ici prêt à t’abandonner à tout, mais voilà qu’au premier inconfort tu veux reculer. Ce n’est pas bon, tenir à ta vie et à ton âme, dans ton état. Tu pensais être prêt, mais tu ne l’es certainement pas. Tu l’es certainement moins que le photographe qui se repaît déjà bien de ta déchéance maîtrisée.

Tu ne pourrais dire s’il raille ou s’il se délecte d’être le premier dans le secret. C,est un peu ironique, non ? D’entre toustes, c’est à ce grossier inconnu que tu l’avoues enfin. Cela ne te fait aucun bien pourtant. Tu ne le diras sans doute pas aux autres.

Qu’il est déplaisant d’être cuisiné ainsi à sa propre sauce. Tu n’es normalement pas de celleux qu’on peut piéger d’un regard qui en dit trop. Pourtant le jeune homme frappe avec insouciance là où tu ne savais même pas encore mal. Tu es arrivé à Althea depuis si peu, avec rien dans les bras et rien dans la tête, rien à perdre de plus que ce que tu avais déjà perdu. T’es tu tant accoutumé au mensonge que tu as peur qu’on te le retire ? Est-ce la vérité qui te terrifie tant ? Crains-tu que d’autres la voient aussi ?

Tu vas fixer le sol devant toi, visiblement bouleversé. Tu voudrais mentir, dire que tu ne sais pas, mais il ne te laisse pas le temps. Il n’y a pas de moment pour tes vains efforts dans son discours exalté.

Tu te tiens déjà moins droit que lorsque tu es arrivé. Il te parle de paradis oubliés depuis longtemps et tu te demandes si c’est ainsi qu’Orazio s’est senti quand tu t’es amusé à mettre son cerveau sans dessus dessous. Tu devrais encore t’excuser, maintenant que ne sais que trop bien comme c’est pénible. Ah, mais tu ne le verras sans doute plus jamais n’est-ce pas ?

Tu relèves la tête quand tu le vois debout. Tu es trop pris de court par son intuition cruelle pour conjurer un masque plaisant. Ton front se plisse sous les poids des mots qui font mouche. Ce paradis dont il parle, il n’a jamais été en toi, pas depuis longtemps. En toi il n’y a que ce vide qui creuse et creuse, un gouffre à en perdre la raison et au fond, tout au fond, les chairs en putréfaction aux relents entêtants des parfums les plus dépravés. Le paradis est mort depuis si longtemps, il n’y a que les limbes pour t’accueillir désormais.

Toi tu le sais, mais comment se fait-il qu’il le sache aussi ? Comment cet inconnu peut-il, d’un seul coup d’oeil torve, te connaître ainsi ? Tu déglutis difficilement, la gorge envahie d’une sécheresse que l’eau ne peut calmer. Te voilà bien étourdi entre les mots dits et pensés. Qu’y a-t-il à répondre ? Vous avez raison, et pour cela je vous déteste un peu ?

Ça ne se fait pas, de dévoiler les plaies des autres avec tant de désaffection. Mais ce photographe qui voudrait bien te voir mourir sous les flash n’a cure de ce qui se fait ou non.

Es-tu venu ici pour faire cela ? Ou aimerais-tu fuir ? Tu ne sais pas comment, dans un cas comme dans l’autre. Quelle mauvaise idée d’être conscient. Tu voudrais tant être ivre et stupide.

Tu le suis des yeux alors qu’il te contourne. A-t-il eu ce qu’il voulait de toi, alors que tu n’as rien dit ? Peut-être était-ce l’angoisse qu’il cherchait dans tes traits, ces crevasses seraient-elles photogéniques ? Es-tu encore si beau quand le masque t’échappe ?

L’autre te tourne le dos, bien absorbé par les étoffes qu’il sélectionne. Ce serait le bon moment pour, à pas feutrés, t’éclipser hors de la tente, hors du campement, hors du désert. Tu pourrais retourner à Caer et faire semblant de rien. Mais pour y faire quoi, pour y voir qui ? Il a raison, il n’y a rien qu’y t’y attend, rien d’autre que le mauvais sort qui te suit car il vient de tes propres entrailles. Tu ne peux fuir même si tu essaies. Alors tu restes. Et lorsqu’il te l’ordonne, tu te lèves, l’air désolé.

Tu ne lui demandes pas ce qu’il compte faire, ce n’est pas comme si tu avais la volonté de t’y soustraire, aussi bien être surpris. Mais tu lui demandes, essayant de te distraire de tes maux par la curiosité: « Suis-je le seul à avoir répondu à votre annonce ? »

Tu regardes autour, plus pour prouver ton point que pour réellement regarder.
« J’ose croire que oui.  »

Qui voudrait bien se rendre jusqu’à ces terres abandonnées, craquelées de chaleur et de misère pour ainsi se faire maltraiter. Un fou sans doute. C’est ce que tu es peut-être, de plus en plus chaque jour. C’est bien triste de te voir tenter de te tenir droit de nouveau.

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Lorsque le ruban s’enroule autour de toi et qu’il vient plaquer tes amples vêtements de voyage contre ta silhouette, tu constates à quel point tu as maigri. Tu ne te rappelles plus la dernière fois que tu t’es vu dans un miroir, peut-être même en regardant tu ne l’aurais remarqué. Mais à être mesuré ainsi sans douceur, pour la première fois, tu te sens aussi décharné que tu l’es. Tu aurais sans doute dû t’y attendre, à passer tous ces jours enfoui dans tes draps fétides. Tu te souviens alors de la faim criante.

Cela ne te réjouis guère, mais on t’en félicite aussitôt. Tu esquisses un sourire pâle, tu ne vas pas faire comme si tu n’aimais pas les compliments. Cependant, celui-ci est bien amer, carrure de modèle ou pas, c’est bien parce que tu te meurs lentement que tu es venu. Pour le photographe, c’est bien fait. Cette cruauté presque enfantine comme un peu à te fasciner. C’est à peine s’il semble s’adresser à un humain, peut-être a-t-il raison.

Il ne daigne même pas te répondre, non il n’est pas intéressé par les platitudes et les conversations de surface. Dommage pour toi, tu y excelles pourtant. Tu le regardes se rendre de nouveau à son coffre. Il est vrai que tu n’es pas à Caer ici, les gens n’ont que faire de tes traits d’esprits ou tes mielleux compliments. Tu es sans doute l’énergumène entre vous deux en ces contrées arides.

Quelque peu perdu dans tes réflexions, tu sursautes quand tu dois lever les mains pour rattraper l’étoffe grisâtre que l’autre te refile sans plus d’avertissement. Tes yeux passent du tissu d’une étonnante qualité au jeune homme. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu te sens pris de court. C’est bien vilain, d’être surpris que dans cette tente aux airs de rien, il cache d’aussi beaux vêtements.

Lorsqu’il se retourne une nouvelle fois, tu comprends que c’est le peu d’intimité que tu auras pour te changer. Tu n’es normalement pas du genre pudique, mais le souvenir du ruban à mesurer qui creuse plus qu’il ne l’aurait dit te fais douter. Enfin, tu ne voudrais pas lui faire rater sa lumière. Alors, après un soupir, tu t’exécutes. D’autres auraient peut-être été froissés de devoir s’affubler ainsi d’une robe, mais là n’est pas où réside ton malaise. Ce n’est pas la première fois que tu le fais, même, pour rire, au détour d’une soirée, dans la garde-robe d’une amie. Mais, tu dois avouer que tu n’as jamais rien porté de tel.

Il ne fait pas froid à l’ombre de la tente et pourtant, tu te sens frissonner. C’est étrange, tu te sens encore plus dénudé que si tu avais été torse nu, sous le tissu à demi transparent qui faisait délirer l’oeil. Tu finis de plier soigneusement tes vêtements lorsque le photographe revient inspecter son choix. Tu te redresses lorsque tu sens sa main sur ton épaule, lui ne fait que replacer la robe comme il le veut. Lorsqu’il semble satisfait de ce qu’il voit, tu ne peux t’empêcher d’en prendre orgueil. Oui, c’est mieux que non, n’est-ce pas ?

Et mieux que oui encore, parfait.
Quelle étrangeté d’utiliser ce mot pour décrire ta forme malade, qui se décompose avant même d’être morte. C’est d’un maigre réconfort, mais un réconfort tout de même. Tu le laisses admirer ce qu’il veut bien, toucher ce dont il a besoin. C’est un peu dégradant d’être ainsi traité comme un cintre sur deux jambes, mais tu n’arrives pas à t’en offusquer.

Tu te laisses mollement faire lorsqu’il attrappe ton visage pour l’examiner. Il est tout de même chanceux, d’être tombé sur un modèle malade et malléable, donc les résistances s’arrêtent aux mots froids. Si à Caer, on te croit scorpion, on a vu bien pire derrière chaque dune du désert. Tu passes tes doigts sur ta mâchoire lorsqu’il te lâche pour se remettre à l’élaboration de son oeuvre. Les doigts encore brossant l’angle des os distraitement, tu jettes un regard en coin vers le miroir où tu te vois à moitié. Tu t’y trouves trop pâle, cerné de creux où il n’y en avait pas, tes os plus saillants, comme s’ils fuyaient le désastre annoncé. Enfin, c’est sûrement ce que l’autre cherche, parfait avait-il dit. Les yeux sur ton triste reflet dans cette robe grise, tu te permets de demander sans espérer qu’on te réponde:
« Cet intérêt pour la transcendance, pourquoi donc ? C’est la mort qui vous attire ? »

Peut-être pas, à moins qu’il ait prévu te poignarder entre les omoplates avant de prendre sa photo. Si c’est son plan, il fait bien de ne faire comme si de rien était, pour garder la surprise trahie dans tes yeux.

« Ou c’est cette dégénérescence, peut-être ? », ajoutes-tu en passant le doigt sur une de tes clavicules découvertes.