C’est la tristesse qui coule, creuse une cascade de peine dans les traits glacials. Elle n’a pas su quoi faire en lisant quelques jours plus tôt, les mots de trop.
Mort
mort
mort
qui la ramène en arrière, à ce jour où le corps tombe de la balustrade, stupide apesanteur. Où le cri perse et résonne ; n’a jamais fini. C’est un mot qu’elle n’accepte plus. Qui est mort ? Personne personne.
Et pourtant, il y a cette phrase relue des dizaines de fois. Cette invitation sur la tombe, pour pleurer et chavirer.
Oui Sasha chavire. Dans sa tête, il y a encore un cri. Peut-être pas celui de Ludde car pour une fois, elle n’y est pour rien. Il y a un cri qui se morfond.
"pas encore"
Si, encore.
Son beau-frère n’est plus. Elle ne sait pas comment, elle ne sait pas pourquoi. Mais elle y va. De ses grosses bottes de neige sorties pour l’occasion et sa longue robe noire prête à s’envoler à la moindre bourrasque trop engageante.
Elle s’est fait belle Sasha, car Ludde ne l’a jamais vu autrement. Le rouge aux lèvres et les paupières colorées, l’or au poignet. Pour lui n’était-elle peut-être que jolie poupée de cire.
De glace.
Elle se souvient d’anciens mots échangés, là sur cette terre gelée ; au creux d’une maison chaleureuse (malheureusement pas la sienne). Des mots durs, des mots sourds. Gronde la colère et éclate le verre. S’en veut un peu, la grande russe, de n’avoir pas su. De ne toujours pas savoir.

Et pourtant, elle est là maintenant. Entre ces inconnus qui semblent pleurer, se recroqueviller. Ces inconnus qui ne lui adresseront pas la parole. Dans ce village, Sasha n’est personne. Voudrait pleurer elle aussi, comme quand elle avait involontairement lâché son holokit sur le sol marbré de son appartement. Juste une ou deux larmes de choc, de désarroi.
"pas encore" 
Comme une famille qui rétrécie
Rétrécie encore
et maintenant, il n’y a plus qu’elle.
Mais à elle seule, Sasha n’est pas une famille, à peine un cœur.
S’il y a eu les non-dits et les cris, il y a anciennement eu les chaleureux souvenirs. Ceux qu’on oublie trop rapidement à moins qu’il ne soit trop tard.
Alors oui, elle aimait Ludde. Peut-être un peu comme un frère lointain qui n’en ai pas vraiment un. Une figure qui la soutenue quand elle, elle ne pouvait plus.
Malgré le sang invisible sur ses mains. Oh non il n’a jamais su, comment aurait-il pu ?
Alors il y a des choses à garder à jamais ; le chasseur n’est plus là pour écouter, s’énerver. La traiter de traîtresse parce que sans Sasha, peut-être qu’il ne serait pas veuf.
Mais ça non, il ne le saura jamais.
Et c’est peut-être ce qui lui fait le plus de peine.

Et enfin, Mariette. Qui la prévenu de tout, sans quoi elle n’aurait pu venir. Pour ça, elle la remercierai bien.
Minuscule dans sa robe de deuil, les fleurs dans les mains crispées de peine. Tout petit être. Dans le regard, un peu de vide beaucoup de peine. C’est triste et c’est horrible. Car elle le sait bien Sasha, elle n’est pas de la famille (ne l’était plus vraiment pour le défunt).
Sasha est grande. Sasha pleurera et Sasha sans remettra.
Mais Mariette ?
Mariette n’est qu’une petite fleur au bord de cette tombe au corps endormi. Peut-être qu’elle perd un deuxième père, la russe ne sait pas, ne connaît rien d’elle.

« Bonjour Mariette. Toutes mes condoléances. »

Ça lui semble approprié à dire. Car si elle-même est triste, l’enfant doit l’être bien plus.
Mille fois plus.
Et maintenant, ne sait plus que dire. Venu pour se recueillir, ne pas manquer cette enterrement qui la  peine tant.
Mais maintenant
elle n’a rien à dire.
Peut-être juste s’excuser. Mais le destinataire n’a plus de cœur, plus de pensée, plus de vie.

« Comment…
comment est-ce arrivé ? »

Elle a la gorge sèche, ne veut finalement pas savoir. S’en excuse même intérieurement de devoir lui refaire vivre ça. Ils ont tous ce regard vide, et elle-même sûrement aussi.

Non Sasha n’a pas de tact. Pas de cœur même pas d’âme penses-tu Mariette. Ici parce que c’est ainsi, a pensé que Ludde l’aurait peut-être voulu. Il n’y a pas de joie à se retrouver, les bottes toutes trempées sur le bord d’une tombe tout juste creusée (un peu comme leur cœur petit troue béant). Pas d’amour entre leur regard terne, la tristesse à peine partager, n’auraient jamais voulu se reparler. La russe n’a pourtant rien contre cette petite figure sauvage. Qu’une enfant et déjà si hargneuse alors ça la peine un peu d’être la cible de ses regards courroucés. N’a-t-elle pas elle aussi le droit de pleurer ?
Alors elle écoute cette sombre histoire, comme on la raconterai aux petits enfants. Une histoire de loup et de joli faon. C’est presque beau, raconté ainsi. Et puis la chute, la mort et la chair déchirée qu’elle ne peut qu’imaginer. Les mains tremblent un peu beaucoup, elle a voulu savoir maintenant elle sait. Oh Ludde… tu aurais du faire plus attention. Chasseur dévoré par les bêtes sauvages, une ironie bien triste qui lui rend les yeux vitreux à Sasha.  Elle ne dit rien, fini seulement par acquiescer aux paroles de Mariette. Parce qu'à la mort, il n'y a plus rien à répliquer.

Mariette marche vers le cercueil et la bonde la suit, désireuse de se recueillir. Sasha n’a pas apporté de fleur (elles n’auraient pas supporté le trajet en moto-neige se dit-elle).
C’est l’heure du discours, ce qu’elle déteste par dessus tout. N’est-ce pas à ce moment précis qu’ils  sont tous les deux tombés il y a 5 ans, Ludde et elle ? Oh Sasha se souvient avoir déplié sa petite feuille aux mots griffonnés, raturés parce qu’elle ne savait que dire. Avoir ouvert la bouche pour lancer un mot parce qu’il fallait bien commencer quelque part. Un petit mot pour sa sœur enfermée dans son cercueil de fer, et Ludde qui pleurait doucement à ses côtés. Ce petit mot personne n’a eu le temps de l’entendre, pas même le corps sans vie tout à leurs pieds. Ils sont tombés trop vite dans ce gouffre qui sous eux s’est ouvert. Ils sont tous morts trop vite et maintenant il n’y a même plus de tombe à embrasser.
Le petit mot s’est déchiré.
Les souvenirs reviennent, Sasha n’aime pas les enterrements. Un espoir rassurant : ils ne peuvent cette fois pas chuter plus bas n’est-ce pas ?
Mariette ouvre la bouche et sous leurs pieds, le sol ne se dérobe pas. Soulagement.
Le discours et beau. Simple et si beau, larmes de pureté sur le visage enfantin et son cœur se sert (parce qu’elle en a peut-être bien un).

Et c’est son tour. Yeux qui s’écarquillent. Oh non Sasha n’a rien prévu Sasha ne veut pas parler.
Sasha veut disparaître et qu’on la laisse en paix. Alors c’est un regard courroucé et presque paniqué qu’elle lance à Mariette. Inspire expire. Mais c’est ainsi il faut y aller il faut parler. Car ce n’est pas pour eux (tous ces étrangers, connaissaient-ils même vraiment Ludde ?) mais pour son beau-frère qui mérite un dernier mot de sa part. Un pardon. Alors elle s’avance et prend la place de Mariette, relève la tête dans cette pose princière qui jamais ne failli. Se racle la gorge, il lui faut quelques secondes pour réfléchir, quelques secondes de long silence mais elle n’a rien écrit, laissez lui un peu le temps de pleurer.

« Ludde. Tu étais… tu es ce frère que je n’ai jamais eu. Ce n’est pas mon cœur que tu as ravis mais celui de ma sœur et pour le sourire qu’elle nous a donné à tous chaque nouveau jour de sa vie après t’avoir rencontré je ne te remercierai jamais assez. Mais ce n’était pas seulement son sourire, c’était aussi le tien. Vous étiez ce tout que je n’ai jamais eu, et si je vous ai parfois envié, je t’en ai surtout remercié. Mais ça, je n’ai jamais eu le temps de te le dire car au final, il est toujours trop tard pour dire les mots qu’on a des années pensés. Je me souviens quand Sveta nous a présenté, je ne suis pas sûre de t’avoir apprécié. » Petit rire rauque, bien vite étouffé.« Mais tu m’as prouvé que tu n’étais pas juste ce suédois sorti de nul part venu m’enlever ma sœur. Tu es devenu un frère, tu es devenu ma famille. Et lorsque nous nous sommes retrouvés seuls, perdus dans ce nouveau monde avec seulement notre peine comme repère, tu étais toujours mon frère. Je suis désolée Ludde que la vie nous ait séparé ses dernières années, je suis désolées pour les mots de trop que j’ai il n’y a pas si longtemps prononcés et que tu as porté jusqu’à ta mort. Je suis désolée pour tellement de chose que je ne saurais les citer mais sache que jusqu’au dernier moment et malgré nos colères, tu étais encore mon frère. »

Voilà, les larmes coulent et c’est un flot qui semble ne jamais s’arrêter. Elle est partie la princesse de glace. Et si la tête est toujours droite bien qu’elle ne regarde personne (non rien que ses souvenirs), elle sait ne plus être quelconque reine ce soir.
S’essuie les yeux en reniflant, il n’y a plus rien de glamour dans sa tenue. Alors elle se redresse et laisse la place à qui voudra bien encore parler. Les yeux rivés sur la tombe de Ludde. Intérieurement, elle lui demande pardon, également pardon pour la mort de Sveta. Mais ça, elle ne le dira jamais à haute voix avec tout ce public grouillant de larmes.

Perle de larme au coin des yeux, perle de rage coincée dans la gorge. Ils partent tous, l’abandonnent un par un dans cette étendue froide qu’est sa vie.
Alors c’est beaucoup de peine un peu de rage. Mariette pensait peut-être la déstabiliser, petite reine sur son village glacée. Mais Sasha a trop de mot dans son petit cœur, tellement de parole à recracher que tout coule tout seul ; froide rivière qui gèlera à leurs pieds. Il n’y a pas à insister : trop à dire et jamais assez.
« désolée »

C’est fini et ils s’en vont tous reprendre leur vie.
Pas Ludde, plus jamais Ludde. S’attend presque à le voir se relever de son joli cercueil doré.
Attend. Alors même qu’il disparaît dans le trou béant (de leur sentiment). Alors même que la terre se heurte avec fracas sur cette petite boite, grande prison.
Alors même que la pierre prend place, le marbre souverain de ce petit espace que bientôt ils oublieront tous.
Mais Ludde ne se relève pas.
Alors c’est un adieu.

Ne reste bientôt plus que le louveteau à ses côtés pour prier. Louveteau au visage durci, même marbre que la tombe de son père comme si c’était destiné. Sasha se demande, si c’est encore l’heure pour elle de se faire dévorer. Tout cela en deviendrai presque une habitude, les cris de Mariette et le regard détourné de la russe. Une vilaine habitude.
Que lui veut-on encore ? Plus de larme, plus de mort ?
Peut-être qu’elle la hait un peu la gamine en cet instant. A venir troubler son deuil et lui balancer ainsi des paroles dont elle se fiche. Lui reparler de ce dossier d’adoption qu’il l’avait tant fait chavirer. Crier. Mais maintenant, cela ne lui fait plus rien. Lointain souvenir dans lequel elle ne veut pas revenir. Qu’elle garde donc tout Mariette, après tout n’est-ce pas sa maison ? Ses affaires ? Que ferait Sasha de ces biens gelés qu’elle n’a même qu’entraperçu. Elle hausse les épaules.

« Garde tout, je ne vois pas ce que je pourrais en faire. »
La russe n’avait jamais eu besoin d’un quelconque objet pour se rappeler le chasseur. Seulement les souvenirs.
Les souvenirs et la culpabilité.
Fronce les sourcils, il y a bien peut-être quelque chose…
« Non attend. » Lueur d’hésitation. « Sais-tu si Ludde gardait une photo de sa défunte femme ? Ma sœur Sveta. » C’est une demande particulière. Légitime elle le sait, que ferait Mariette de la photo d’une femme jamais connue ? Mais elle ne sait pas Sasha, si Ludde avait pu en garder une, elle n’a jamais demandé et ne s’en était jamais souciée. Car si photo il y avait, elle lui appartenait à ce chasseur solitaire.
Mais maintenant
mais maintenant où les souvenirs se font parfois flous et qu’il n’y a pourtant plus que ça parmi les milliers d’objets brisés, déchirés par le chaos d’il y a 5 ans
« Peut-être dans un cadre chez vous ou au fond d’un porte-feuille, je ne sais même pas s’il a pu en garder une. »
Mais si il y a, ça lui ferait énormément plaisir à Sasha.
Un visage familier dans cette grande immensité.

Elle ne demande pas grand-chose Sasha, aurait pu dans un malheureux élan de monstruosité revenir et tout s’accaparer. Ordonner et quémander du haut de sa grande taille ; fusille le monde à ses pieds pour mieux espérer le fouler.
Mais que ferait-elle d’une table en bois, de petits objets du quotidiens dont elle ne se servira pas. Ludde vivait d’une façon si simple (paisible) qu’elle ne saurait faire de même. Voler la vie de Mariette ne lui vient pas à l’esprit malgré les doutes flagrants de la petite. Non, ses élans pestes viendront peut-être plus tard.

Elle ne sait pas. La louve ne sait pas. S’en était un peu doutée. Qu’avait pu raconter le chasseur à sa petite protégée concernant sa vie passée ? Même ça elle ne sait pas. Des brides ou la totalité, ça la chagrine de voir ainsi sa sœur reléguée à un plan totalement oublié.
Mais Sasha, elle n’oublie pas.
Et pourquoi la colère flambe-t-elle à nouveau ainsi ? Petite louve aux crocs qui pointent, percent et déchirent. Mais la russe a fini de se questionner sur les élans de la gamine, qu’elle grogne donc si ça lui chante.
Qu’elle mordille un peu, hurle et s’insurge.
Sasha n’a que faire des enfants hystériques entre quelques larmes de douleurs.
Elles ne s’aiment pas, ne s’aimeront peut-être jamais. Et si l’autre lui prive du visage de sa sœur pour la simple haine, alors peut-être feraient-elles mieux de se détruire ici maintenant. Un peu plus de sang (de larmes) sur la tombe du chasseur, qu’en dira-t-il ?

Mais la décision est prise, c’est une invitation lancée sans aucune envie, elle le sent. Hoche pourtant la tête avant de suivre Mariette, se rappelant vaguement du chemin jusqu’à la petite maison.
Se rappelant un peu trop intensément les souvenirs qu’elle y a gardés, enchevêtrés.
« Très bien, j’essayerai d’être rapide. » Aucune ne désirait apparemment s’imposer la présence de l’autre plus que nécessaire.
Et c’est sans un regard en arrière qu’elles quittent la petite tombe de marbre et de fleur. Un dernier au revoir silencieux peut-être, qui n’appartient qu’à eux.
Sur le chemin, c’est le silence qui les entoure, les encourage à garder leurs petites lèvres bien closes. Qu’auraient-elles à se dire ?  
Se maudire.
Pourtant une petite question la taraude, alors elle ne se prive pas comme à son habitude.
« Je me demandais… tu vas rester vivre ici toute seule ? Tu n’es pas un peu jeune ? »
Si Sasha connaissait vraiment Mariette, la question n’aurait jamais franchi le bout de ses lèvres.
Mariette est sauvage Mariette est solitaire. Mariette est ce flocon de neige qui se marie avec tout ce paysage polaire ; parfaitement à sa place.
Mais Sasha n’est qu’une princesse sur son trône mondain. La vie sauvage, elle ne connaît pas.

Les mots de Mariette sont petites balles dans le cœur des gens. Douloureuses et probablement mortelles. Elle pense que l’autre est bien sauvage, Sasha. Peut-être serait-elle mieux à gambader dans les hautes forêts sans jamais faire machine arrière. Un loup de plus dans la nature, un démon de moins dans le village. Avait-elle beaucoup d’ami ? Probablement aucun ; les autres petites bêtes, ça ne compte pas vraiment. Elle a un peu pitié Sasha, de ce diable blond qui semble ne jamais s’apaiser (en tout cas pas à ses côtés). Se demande comment Ludde faisait pour la supporter, était-il insensible aux balles qui déchirent la chair et mots qui tordent si inlassablement les sentiments ?
Ce n’est à vrai dire pas vraiment son soucis à la russe. Se dit qu’après ça Mariette, elle ne la reverra probablement plus jamais jamais
jamais
et jamais ça lui va bien.
C’est tordant et dissonant. Pour son beau-frère c’est une peine qui grouille sous les entrailles. Pour Mariette c’est une triste bénédiction.  
Jamais

Elle est chaos la petite, à pester sur le monde, cracher ses paroles ainsi. Ils ne sont pas là pour l’entendre, le sait-elle seulement ? Il n’y a que la neige pour recueillir ses petits mots endeuillés ; petites menaces.
Néanmoins la grande dame n’aimerait pas être à leur place. Elle est presque d’accord avec les paroles. Tous des hypocrites là-bas, Tatsuya le plus grand. Ne sait si c’est pour suivre Ludde que la petite a rejoint le Liberty Squad, mais ses idées étaient tout bonnement bien arrêtées.
Tout comme celle de Sasha qui sourit intérieurement tandis que l’autre crache et tempête. Si Mariette pouvait tous les dévorer, ça lui irait parfaitement bien.
« J’ai bien compris tu n’as peur de rien. Ma foi bonne chance tout de même, le monde est parfois bien cruel. »
Peut-être la reverra-t-elle finalement à l’orphelinat, quand la petite sauvage aura fini d’égorger ses poursuivants et de lamenter son monde. Se doute bien qu’au final, elle ne fera probablement pas le poids.

La petite bâtisse est comme dans ses souvenirs. Seule et enneigée.
Une horde de chat vient les accueillir pour aussitôt déguerpir.
Ah, Mariette avait une armée.

Sasha retire ses chaussures et son manteau. Ne désire pas rester plus que nécessaire mais sa bonne éducation a raison d’elle. Mettre de la neige de partout, ce n’est pas élégant. Quelques secondes à regarder l’autre attiser le feu tandis que la russe a peut-être un peu froid sans sa lourde fourrure elle l’avoue.
Puis les escaliers.
Puis la chambre de Ludde, qu’elle n’a pourtant jamais vu. Le femme se sent un peu mal, à empiéter ainsi sur les affaires de son beau-frère, dans cette pièce qu’elle n’aurait jamais du voir ni même fouiller.
Mariette la quitte et c’est aussi bien comme ça. C’est vide. Tout est vide sans Ludde, ça elle peut l’imaginer. S’attarde un instant à l’entrée, n’ose s’engager dans cette intimité étrangère. Pourtant cette photo, elle la veut.
Alors elle fouille. Pas trop, ne veut rien déranger qui ne soit pas à elle (c’est à dire tout).
Fouille fouille
le cœur et la demeure
Si ça dure longtemps, elle ne s’en rend pas compte. Finit par trouve un petit portefeuille gris aussi vieux que le monde tout usé qu’il est.
Et à l’intérieur, son regard, son visage, ses cheveux. Le sosie de Sasha, enfermé à jamais dans cet étui de cuir. Mais maintenant, c’est presque son propre reflet que lui rend la photographie. Dieu qu’elle avait oublié à quel point elles se ressemblaient malgré les quelques années qui les séparaient. Presque jumelle.
Les larmes reviennent, coulent un peu sur ce minois d’ivoire. Et comme il n’y a personne pour la voir, il n’y a plus un gramme de glace sur sa grande carapace.
Pourtant, son visage se recompose alors qu’elle descend les escaliers.
S’accroupit aux côtés de Mariette, un petit chat venant lui renifler les pieds. Une main pour venir le caresser. Elle aime bien les chats Sasha, probablement bien plus que les chiens qui n’ont pas grand-chose de majestueux, eux.
Glisse le portrait par terre jusqu’à Mariette, elle a peut-être bien le droit de voir pour une fois.
« C’est Sveta. »
La représentation est toute simple, il n’y a que sa sœur, tout sourire pour enjoliver l’objectif. Sasha ne l’a jamais vu cette photo, probablement que la personne s’amusant à prendre ce cliché n’était autre que Ludde dans des temps anciens.