Trois jours de silence c’est trop, beaucoup trop.
Trois jours de silence creuse un trou dans sa tête comme du bois flotté rongé par les eaux.
Trois jours sans sortir et le voilà échoué

Orazio fait tourner le verre entre ses doigts, un alcool blanc et sans gout pour se laver la bouche et le fond des yeux,
et repousser les images qui hurlent devant ses yeux
(les carrelage, les parents qui ne sont pas les siens)
quand il les ferme le soir
(Le chien, les ami•es d’enfance, les professeurs)
Quand il bat des paupières
(Les plantes dans le jardin à l’automne, des ombres sur des immeubles inconnus)

Il regarde son visage trouble dans les remous de son verre, ces temps-ci il a l’impression de voir le monde à travers une lucarne : loin, loin si loin de ses mains tout prends un temps de latence, tout semble plus froid, c’est étrange
ces quelques instants de réalité qui s’échappent de ses doigts.
Il dort mal ou il ne dort pas, par intermittences souvent interrompu de long éveils le dos brisé sur une feuille ou son chevalet.
Il avait bien du s’arrêter de peindre car il est à court de toiles (toutes les autres son noircies d’esquisses et de visages, de souvenirs qui ne sont pas à lui mais qu’il garde pourtant dans sa tête, comme une pile de courrier épars dans la maison d’un décédé.)
Alors il était sorti, hébété par le bruit et les lumières dans la nuit (il fait déjà nuit ? quelle heure est-il ?). Orazio avait espéré que l’alcool (fort et blanc, qu’est-ce? Un gin ? ah, il n’a pas fait attention. Tant pis il ne le sens presque pas.) puisse lui remettre les idées en place,
les remettre sur un chemin qui n’est pas une boucle sans fin revenant à Adrian
(à la chambre, la chambre, la chambre)
et ses propres angoisses sans visages.
Les mains qui entourent son verre tremblent un peu parfois, c’est une faiblesse qu’il ne se connait pas. Peut être couve t-il quelque chose ?
Il devrait faire plus attention.
Il les détaille alors, ces mains sales qu’il traine. Elles, qui ne savent pas se tenir quand il les quitte des yeux. Elles ont des jointures tordues çà et là constellée de taches :
Des petites traces décolorées où là peau a été trop abusée aux solvants,
des petites cicatrices blanches qui ont mal vieillies
et puis
Près des ongles, aux creux des paumes, des taches fraiches de peintures
bleue, colbat, azur, bleus et ecchymoses
Grise, Anthracite, argent
Et il a beau frotter ses paumes, jamais ne s’en vont les souillures lie de vin qui (chairs pourries, pourries, fondues) qui marquent les lignes de ses mains.

Et tandis qu’il observe son reflet flou dans l’éthanol hyalin une voix vient troubler son silence saint. Il ne réagit pas tout de suite, appelé par cette voix d’outre-tombe
par cette voix de fantôme
C’est que ces derniers jours il ne sait plus
ce qui est réel
et ce qui n’est pas à lui (souvenir resurgissent qui se superpose à sa vue)
Et se retourne parfois dans le vide en entendant des voix familiers qu’il ne connait pas.

Pourtant la forme qui s’installe à ses côtés dans un geste qui se voudrait banal
(oh deux amis conversant au bar, deux inconnus partageant quelques mots) est tout a fait réelle.
Les couleurs ont abandonné les cheveux et le temps marque son visage,  mais il reconnait bien cette tête crispée aux couleurs du dégout (de le voir surement, mais c’est tout à fait réciproque.)
Voila un affreux fantôme qu’il ne pensait pas voir : lui qui avait vécu ses premières années de chute dans la peur absolue, poursuivit par des spectres vengeurs qui venaient le réveiller la nuit, il avait fini par endormir cette angoisse.
Il avait pensé,Oh quel imbécile, qu’il était libre finalement.

Ses molaires craquent dans sa bouche, il devrait faire plus attention à ses dents qui grincent, à l’air qui ne veut plus rentrer dans ses poumons.
Les doigts se serrent autour de son verre, les jointures pleines de peintures deviennent blanches : c’est mieux que de les voir trembler.

« Tu aurais dû apprendre à tes chiens à mieux tirer. » Dit-il finalement, la voix blanche comme l’aube. Oh ! Il ne voudrait pas qu’elle tremble, pas devant lui, non. C’est après tout cette vieille hyène qui lui à appris à garder le verbe insipide et froid même acculé contre un mur.
« Ou t’en occuper toi même » Il force un sourire en passant sa langue sur sa lèvre, elles sont gercées et s’étirent avec rigidité,
il n’a pas envie de sourire, pourtant il le faut.
Il n’y a pas meilleur moment pour montrer ses crocs.

Mais il a cette horrible sensation qui lui revient
le froid du fer dans la bouche
le canon qui érafle sa gorge
Alors il crache
« Mais ah, après tout Padre, tu n’as jamais su t’occuper de personne. »
comme il cracherait cette balle qui aurait du lui être fatale.