Pas ce soir, il fallait revenir avant, avant cette journée là, il fallait revenir à l'enterrement, là où elle avait vu Sasha, la grande Sasha, mais il fallait revenir avant, avant même Sasha, il fallait revenir au début, à l'attente dans le cimetière, au monde qui se rassemble, à Sasha qui n'est pas encore là, mais bientôt le sera. C'est à ce moment là que certain.e s'étaient approché.e.s de Mariette, pour quelques mots doux, quelques mots qui caresse le dos. Mais Mariette l'avait tourné rond, elle avait gonflée, grognée sans sortir un mot. Ami.e.s, connaissances d'un jour, ennemi.e.s aujourd'hui, qui étaient-iels toustes ? que venait-iels faire ici ? Il n'y avait qu'elle, Mariette, dont la peine valait la venue, mais elle ne dit rien, car elle se dit qu'il mérite bien ça Ludde, une foule, le monde entier à ses pieds le pleurant, car il est, était bon comme ça Ludde. Ludde ludde ludde...

Mais toi, toi tu te démarques de la foule, parce que tu es un peu comme Ludde peut-être, parce que tu es un c h a s s e u r, parce que tu as les mains bourrues, parce que tu connais la forêt givrée dans laquelle elle aime se perdre, car tu sais comment fabriquer des leurres, des pièges, ce à quoi Mariette était reléguée, parce que tu savais manier le fusil, fusil qu'elle avait avec amour gardé, pleurant chaudement en le serrant tout contre dans son lit.

Elle ne t'avais pas traité différemment ce jour là, tout comme les autres, gros dos tu auras. Mais ce n'est pas ce qui est important, ce qui est important est que tu fus là, que tu lui parlas, même deux mots, deux mots de trop. C'est ce qui se fallait pour qu'en ce jour-ci, là, maintenant, alors que la neige tonne dehors, que le feu crépite à l'intérieur, et qu'un verre à la main, elle sirote, c'est alors qu'elle se souvient de toi, et sa gorge se crispe, ses larmes reviennent.
Oh pourquoi Ludde et pourquoi pas toi ? toi aussi tu es chasseur, toi aussi tu aurais pu te faire manger par les loups, pourquoi fallait-il que ça soit Mariette qui pleure ? elle te sais taciturne comme Ludde, sûrement que tu n'as pas de famille à par tes chiens que l'on entend parfois aboyer, des chiens de chasses il parait, ce qui la répugne elle, louve libre de cette contrée, amoureuse de l'indépendance des chats adorés. Tu aurais pu mourir, personne ne t'aurait pleuré, tu aurais du sûrement.
oui...Oui !!!

Elle cogne le verre, puis se sert, elle se sert beaucoup, elle oubli combien de fois. Elle sait juste qu'elle boit, et c'est tout ce qu'il faut savoir. Et lorsqu'elle a fini de boire, alors elle se lève, va chercher ses fourrures, s'en vêtir, elle vient mettre ses grosses bottes, prendre ses clés, et elle regarde longuement le fusil accroché au mur du salon, avant de venir le décrocher et de le prendre sous l’aisselle. Elle ne vérifie pas s'il est chargé, à quoi bon, ça n'a pas d'importance. Puis elle reviens devant la porte, là elle reste quelques minutes, écoutant le feu qui crépite à l'intérieur, et les flocons qui tapent à l'extérieur, elle est entre deux mondes, elle flotte, elle se sent sereine, elle se sent bien dans sa peine.

Alors elle sort, elle affronte le temps, elle tangue, glisse, se rattrape, marche doucement, se perd dans les ruelles du village, la neige gifle ses joues, vient se coller à ses cils, elle la chasse tant bien que mal, ses cheveux s'entremêlent dans le froid, elle aurait du mettre un bonnet. Mais ce n'est pas grave, il est trop tard maintenant, trop tard pour tout, assez tôt pour rien, il y a un grand vide au fond d'elle. Comment le combler ? elle ne sait pas, tout ce qu'elle sait c'est que tu es là
alors que lui ne l'est plus.
Et qu'en ça, réside toute l'injustice d'un monde devenu lugubre depuis sa disparition.
(elle trouve enfin sa route jusqu'à ta porte et oh sûrement qu'elle aurait du se perdre plus loin, ne jamais venir, mourir enneigée, disparaître elle aussi, mais le destin est malin, et il préfère la voir souffrir encore, encore un peu Mariette, que tes jolis yeux noirs se noient, fondent dans le froid.)

Elle toque, trois lourds coup mais n'attend pas que tu viennes, oh non
si tu savais
il fut un temps où pareille occasion se produisit
mais il faisait beau
et elle avait un piège mal construit à la place du fusil
L'histoire se répète, elle appuie contre la poignée, ouvre la porte et rentre s'en se faire prier
comme chez lui
comme chez lui....
Elle reste interdite d'abord car rien n'est
comme chez lui
comme chez lui...
puis elle se secoue de sa neige dans l'entrée, tel un animal, tenant le fusil d'une main au loin.
Elle laisse tomber au sol sa cape, ses fourrures et elle fait quelques pas, te regarde, regarde les chiens.
Elle n'a peur de rien, et oh, elle n'a jamais eut peur de quelques chasseurs, elle aussi maintenant oui
maintenant elle aussi en fait parti.

Pourquoi vous fermez jamais vos portes (dit elle en ayant laissé la sienne ouverte, une habitude prise chez lui)
Pfff des chiens de chasses...
son haleine sent fort l'alcool, elle titube sur place, essaie de maintenir son équilibre en tenant le fusil à deux mains, visant le sol.
Puis, son regard qui vagabonde se pose enfin sur le tiens, ses sourcils se froncent.

Il n'y a pas de place pour d'autre chasseur que lui ici.
ou elle
mais elle ce n'est pas pareil, car elle est sa fille, elle se doit de reprendre le flambeau, elle se doit oui, elle ne peut pas laisser l'atelier de son père tomber en désuétude, elle ne peut pas non...il le faut...elle l'a tant aidé que le métier est rentré, comme pour son propre atelier, elle peut le faire, mais vous êtes deux, et quand bien même avant ça ne posait pas de problème il faut croire qu'en se soir elle t'en veut tellement d'avoir vécu quand lui du
succomber
(même pas tel un transcendé, non plus triste encore, tel un chasseur chassé)

Elle
ne regarde pas les chiens, ils sont invisibles pour elle, une pauvre meute, qui ne vaut rien comparé à son esprit de louve esseulée, juste des chiens, des chiots à ses yeux, elle n'a pas peur d'eux. Que vient-elle faire ici ? elle ne sait plus elle même, elle a déjà oublié, mais elle est là maintenant.
Elle
ne te lâche pas du regard, elle a une dent contre ton existence, et lorsque tu dis avoir peur elle sourit, elle échappe même un petit rire, secouant son visage, ses cheveux de devant, elle libère l'une de ses mains pour venir jouer avec l'une de ses mèches, elle ne l'a pas allumé, la mèche, du fusil, elle ne sait pas qu'il n'est pas chargé, mais est-ce que ça compte ? Elle se délecte de ce qu'elle voit, de ta tentative d'approche, elle se sent tellement, tellement puissante en ce moment ! tout est à porté de main.

Ton cœur aussi
elle le jetterai dans la neige, le laisserait au loups elle n'en veut pas de ton amour
de ta tendresse, elle ne veut que ton froid, que tes doigts glacés, elle te veut mauvais car comment te justifier sinon, si tu es doux, si tu es agneau ? Non elle ne veut pas le concevoir que tu sois quelqu'un de bien, il n'y a de la place que pour un.

Poser son fusil ? Elle lève les yeux au ciel, est-ce qu'elle dit oui ? Elle le redresse et vient l'apposer droit comme un i contre l'une de ses épaules.

Parler ? Je viens pour vous prévenir, vous m'avez pas entendu ? y a de la place que pour un chasseur, et il est mort, et j'suis sa fille, et vous qui êtes vous ? Qu'un homme perdu dans la neige du mont, vous n'êtes pas le bienvenue, quelle disgrâce d'utiliser des animaux pour chasser, ils seraient mieux libres, mais vous êtes de ces hommes qui dressent d'autre pour tuer, moi je peux le faire de mes propre doigts, je n'ai pas besoin de pareilles béquilles... Elle tapote le fusil contre son épaule, enfin son regard dévie, il regarde la pièce autour, la chaleur d'un foyer...les larmes lui montent aux yeux, elle les chasse nerveusement en secouant son visage telle une sauvage, elle renifle fort, plusieurs fois, clos ses paupières hume l'air. Ça sent le chien oui, ça sent comme une maison, une maison dans laquelle l'on vie. Elle rouvre son regard, un sourire éteint au coin de sa bouche, elle regarde ses pieds puis s'accroupit et vient déposer le fusil à côté d'elle, elle retire ses chaussures et laisse ses petons tous emmitouflés dans les chaussettes de laines se reposer contre le parquet. Elle reste accroupit ainsi, telle une boule de laine et de coton. elle maugrée dans son coin, les sourcils froncés :

Chasseur ça ne vous sied pas, faites autre chose, mais plus ça, non, il n'y a qu'un chasseur...et il est...il est...

Dans son cœur.
Oh voit comme elle pleure
en silence
comme tout grand enfant qui apprend à taire sa souffrance.

Elle ne te regarde pas t'accroupir, de là où tu es, Mariette continue de regarder ses pieds, elle se balance légèrement d'avant en arrière, berce sa douleur, compte ses doigts de pieds. Alors elle te laisse parler, tandis qu'elle essaie tant bien que mal de ravaler ses pleures.
Pourquoi
ta voix est douce
comme du coton
Elle t'aurait aimé franc du collier, qui crache et qui crie, qui fronce les sourcils et ne sait pas y faire avec les enfants, elle t'aurait aimé ainsi, car elle aime la rudesse des mots, Mariette à qui on n'a jamais mis de claques, aime les mains caleuses elle ne veut pas d'un autre gentil, il y en a déjà eut un, et il n'y en aurait à jamais qu'un, de gentil qui se laisse faire, qui se laisse conquérir par le cœur des enfants, qui se laisse être père, oui, jamais tu ne pourrais l'être, alors pourquoi essayer de la dompter ? avec ta politesse ? avec tes tristes histoires de chien battu bouhouhou ne la fait pas rire ! car elle ne rigolerait pas, Mariette à un cœur elle aussi, quand bien même il a très froid. Et lorsque le chiot s'approche d'elle, elle utilise son cristal et sort ses attributs de louve, queue et oreilles, plaque les secondes en arrière, et fouette l'air rageusement avec sa queue tel un chat, alors qu'elle grogne humainement pour le faire fuir.

Non ne vous approchez pas d'elle
c'est un animal sauvage qui ne saurait être apprivoisé, pas la peine d'utiliser les chiens comme passe-passe tour de magie, ça ne prendra pas, plus rien ne marchera, il y a trop de peine en elle, ça déborde, ça la noie, elle et sa raison d'être, elle et sa jolie voix, lorsqu'elle sait se faire douce, mais elle ne le sera pas avec toi, non, elle sera un cauchemar celui qui dort au creux des nuits les plus noires, tout au fond de la forêt de givre, lorsque la glace nous éteint et plus rien ne brille mieux que les étoiles loin loin, si loin de tout ça.
Si loin de cette mortalité qui nous prend à la gorge lorsque notre esprit s'y égare, tu sais elle a pensé à le rejoindre, mais il n'aurait pas voulu ça, il l'aurait voulu chantonnante, il ne l'aurait pas voulu petite poupée sans vie dans un petit cercueil cerné de bois.
Il aurait voulu la voir grandir.
Est-ce une malédiction elle se dit ? de perdre ses parents ? doit-elle survivre seule pour exister ? Est-ce son prix à payer pour avoir survécu à la chute dit ? Dieu ? toi qui es au cieux ? Elle n'y croit pas, elle ne croit plus en toi, plus en rien du tout, elle croit en sa force, ses doigts qui tirent sur la gâchette, les couteaux de boucher en main, les outils pour le bois raffiné.
Vois, elle aussi à les mains pleines de cales. N'est-ce pas beau ? l'effort du travail ? Elle devrait s'oublier dans ce dernier au lieu de s'ennuyer dans l'alcool, mais la seconde option est si alléchante !

Elle a l'esprit tout embrumé de toutes ces questions, ces réponses, elle ne te remarque pas lorsque tu te relèves mais est bien extirpée de ses rêveries lorsque tu l'apostrophes. Elle lève son minois tout rouge et regarde la théière. Elle garde le visage fermé, elle adore le thé.

Je ne bois que du café.
Tiens prend ça
Alors tu t'crois bon samaritain hein ? qui fais tout ça pour le bien ? pfff
fais en des petits avions de papiers qui s'envoleront sans jamais atterrir
ça change rien que tu en as fais des chiens de chasses, ils auraient pu être libre, mais non tu les sauves pour mieux les asservir, ils devraient être libre oui...libre
car il n'y a aucun aéroport en ces contrées pour les accueillir

Vois comme elle s'accroche à un rien, elle trouverait le moindre prétexte, le moindre défaut, tout pour que tu ne lui plaises pas, parce que si elle est trop honnête, trop à l'écoute, alors elle tombera, et elle ne veut pas, pas tomber dans les bras d'un être aussi placide que toi, qui ne parle qu'à voix basse, qui ne sait pas tonner de la voix.

Tu es faible
il est plus facile de te voir ainsi
Tu as besoin d'eux et ça te fais croire qu'y ont besoin de toi, mais ça pourrait être n'importe qui d'autre que toi, qui tu es toi ? un autre chasseur, un chasseur de trop, tu te donnes des excuses, des gens a aider hein ? pfff ils trouveraient sûrement mieux que toi, c'est parce que tu es trop doux, chui sûr ils profitent de toi, mais tu as limé toutes tes canines, tu n'es pas un chasseur digne !

Sa queue de louve continue de fouetter l'air, elle se redresse d'un seul coup, et s'avance, laisse son arme sur le perron. Elle vient s'installer à table, comme si elle attendait que tu lui serve vraiment un café, boisson qu'elle déteste, mais en ce jour il n'y a rien qu'elle veut aimer.