Le quinzième bâillement de la matinée sort de la bouche de Leonas alors que d’une main il tente de cacher cette fatigue lancinante. Décidément, il n’arrêtait pas de bailler dernièrement, ça allait finir par faire fuir les clients.
Cette nouvelle fatigue qu’il ne savait pas expliquer datait de quelques semaines. Du jour au lendemain il s’était retrouvé dans un état second, baillant à tout va, dormant aussi à tout va. Il lui était même arrivé de laisser sa oh si précieuse échoppe seule le temps de piquer du nez quelques minutes (qui se transformaient généralement en heures).
Tout ce qu’il savait, c’était que cette nouvelle fatigue devait venir de cette chasse à la tablette à laquelle il avait participé. Il ne voyait que ça : à chasser les sirènes et les cerbères fictifs, il avait fini par en tomber malade. Et si la tablette elle-même l’avait rendu malade de fatigue ? Peut-être devait-il prévenir les autres.

Un nouveau bâillement vient interrompre sa pensée ; juste à temps pour vendre quelques bricoles à des clients de passage. Il devrait commencer à s’intéresser à sa santé Leonas, la fatigue n’était pas bon pour ses affaires. Sa fière voix de poissonnier des comptoirs ne résonnait presque plus sur le marché, même lui le trouvait bien trop silencieux alors qu’il était la source même du bruit.

Encore un, qui lui décroche presque la mâchoire. La fatigue du jour à du mal à passer, malgré tous ses cafés et ses claques. Le sol l’appelait sous ses pieds, alors même que Leonas le fixait avec amour. Oh une petite sieste, ça ne fait pas de mal non ? Si ?
Encore un client qui vient lui acheter une bricole, il relève la tête, non sans mal. C’était bien la première fois qu’il aurait aimé être laissé tranquille.

La vente effectuée, il s’apprête à se coucher pour de bon. Au diable donc le profit et l’argent, il y a bien plus important dans la vie : le sommeil.
Il s’apprête, car sur son chemin vers le graal, il reconnaît une tête familière dans tous ce monde. Une tête qu’il connaît trop bien pour l’avoir supporter toute une journée (et quelle épopée).
Le petit muet de cette quête fantomatique.

« Acace, hé ho ! » Il lui fait des grands signes, utilisant un reste d’énergie insoupçonné. Oh il ne peut pas le rater, ce petit chenapan avec ses gestes de bras.  
Dans le doute, si tout ça n’est pas assez pour se faire repérer, il quitte le derrière de son échoppe pour aller à sa rencontre. « Alors ptiot t’as retrouvé la… » le reste de sa phrase se perd, alors qu’il tombe sur son compagnon d’infortune, les ronflements déjà présents.
C’était peut-être le plus gênant avec cette nouvelle fatigue : il souffrait d’une sorte de narcolepsie qui le poussait à s’endormir à n’importe quel moment le temps de quelques secondes s’il n’allait pas faire la sieste. Déjà qu’il s’évanouissait devant la moindre goutte de sang.
Et déjà le voilà qui se réveille, à terre ou dans des bras il ne sait pas trop, il est tout désorienté Leonas. « Oh Acace c'est toi! »

C’est pâteux dans sa bouche, lorsque Leonas mâchouille en se réveillant, les paupières battantes. Et là, sur son visage, c’est rempli de poussières et de sables. Il y a même un sourire, maintenant que les yeux sont ouverts, et le nom du chenapan prononcé. Ce bon Acace.

Leonas baille, se relève en tapotant ses joues, comme pour se sortir d’un mauvais rêve. Il a l’esprit un peu brumeux, même si sa voix porte déjà.

« Un assassinat ! Bah ! Enfin Acace, tu racontes des bêtises. »

Il n’arrivait déjà pas à tuer un chameau ou un lapin quand il le fallait, alors un humain, quelle idée. Et par écrasement en plus. Il y avait des manières beaucoup plus subtile d’assassiner quelqu’un, et surtout… des manières qui nécessitaient beaucoup moins de bruits d’os brisés.

« Un coup d’main serait pas d’refus quand même. »

Il grogne alors qu’Acace s’est déjà relevé. Sa tête à lui est encore sur le sol, aspergée du sable que les passants remuent sur leur passage. Sans management, il s’appuie sur ses mains pour s’assoir, avant de se lever. Sa tête tourne un peu, si bien qu’il doit s’appuyer sur l’épaule d’Acace.
Et malgré tout, les mots ne peuvent s’empêcher de sortir de sa bouche.

« Ah celle-là elle est bien vrai ! Quelle épopée c’était quand je t’ai fait la courte-échelle. » S’il y a une chose sur laquelle il faut éviter de lancer Leonas, ce sont bien les aventures. Il a cette tendance à en parler pendant des heures. « Il y avait ce chien chimère, et puis le petit avec le masque qu’il se prosternait devant lui, tu te souviens ? Bon, heureusement que j’étais là, parce que sinon on serait tous mort sous ses crocs. C’est probablement grâce à moi qu’il était comme ça, il a dû avoir peur. » Leonas s’arrête un peu, réfléchi. « Bon et à Andy aussi, elle fait peur Andy. »

« Quoi tu disais quoi ? Oh ne t’inquiète donc pas mon ami, ici les gens ne s’intéressèrent qu’à leurs affaires. Vient à mon stade, regarde ce que j’ai ramené de mes derniers voyages. » Il tire déjà l’autre du bras, fière de ses merveilles à lui.

Il a raison Acace ; la tête de Leonas était capable de faire fuir n’importe quel monstre actuellement, avec ces cernes qui vont jusqu’aux joues. C’est le costume qu’il porte tout récemment, avec cette fiche maladie qui lui colle à la peau. Il ne sait pourtant pas lui donner de nom, à cette maladie qui le fatigue et qui l’affaiblie ; ne veut même pas envisager le pire. Ah que c’est embêtant d’être si fatigué.
Leonas baille une nouvelle fois.
«  Oh-là Acace, tu es bien plus solide que ce que tu ne montres vraiment, arrête de faire l’enfant ».
Leonas est déjà parti montrer ses merveilles, qui viennent des quatre coins des continents. Il y a le rhume des mers du sud, les friandises magique de la vallée, la viande séché de caribou du Mont Célesta. Pour les moins gourmets, il y a les spécialités qu’il aime vendre, de la plus utile des gourdes à la moins utile des décorations.

« Des lampes d’Aladdin ! Mais oui t’es un génie petiot. On va emprisonner des illusions dedans ensuite on les vendra partout à Althéa. »

Il s’est déjà précipité vers l’une de ses lampes à huile qu’il vend, très prisée dans le désert. Il en brandit une devant lui, presque à outrance, presque trop près du visage d’Acace.

« Je savais que t’avais du potentiel. Bon, il faudra te former un peu à la négociation. Le sourire c’est bon, les relations à revoir. La tenue… bon on vient du désert, qui en à faire de la tenue. Vient je vais te montrer quelques ficelles du métier. Il y a l’étale, ça oui, mais il y a le reste. » il s’arrête un moment dans son monologue, réfléchissant avant de reprendre. «  tu sais chaparder ? »

Si Risée il y a, Leonas ne sera pas là à s'en offusquer, il aime lui que les autres s'amusent sur des histoires. Même quand il en est le personnage principale. Il faut bien un peu de ça dans ce monde. D'autant plus dans le désert, là où les nuits sont froides et le soleil impardonnable.
Alors, il pourrait encore en raconter des histoires, encore en dire des bêtises si c'est pour voir des sourires sur les babines (et si ce n'est pas fait exprès tant pis - c'est encore mieux!)
Quand Acace rit, il prend donc l'émotion pour une victoire acquise.

Ca m'blesse que tu dises ça, moi qui m'était mis dans mon plus beau costume de soirée.

Et il sourit de toutes ses dents. Il n'avait pas pris de douche depuis une semaine et c'est à peine s'il s'était coiffé pour la journée. Quant à sa tenue, inutile d'en parler; du sable du mois dernier s'y accrochai peut-être encore.

Ah tu vois tu parles déjà en nous!
Le voilà qui reprend déjà son compagnon sous un bras pour à nouveau le traîner plus loin, lui chuchoter son plan du bout des lèvres
on va faire des grandes choses toi et moi. Moi et toi. Oh et ne fait pas ton minoré, tu dois bien chaparder comme n'importe lequel d'entres nous dans ce désert infame.
Il prend son air de compteur, prêt à déchaîner les passions, la main en l'air, vers le soleil.
Alors que le soleil nous accable nous les enfants des dunes, nous marchons dans les murmures du vent comme des survivants, nous sommes le fière peuple du désert, prêts à tuer (pas lui), mendier (toujours pas lui), voler (ça c'est lui) et explorer (encore moins lui) pour quelques miettes de pains et onces de gloire.


Il enlève son grand bras de l'épaule d'Acace, convaincu que son discours lui a plu. Ces miettes de pains et onces de gloire tu peux les avoir avec moi.

Qui ne rêverait pas d'être marchand après tout?

Les plans de Leonas se retrouvent anéantis en quelques phrases par Acace. Le petiot préfère chanter et danser plutôt que devenir un (mal)honnête marchand. Quelle déception, lui qui avait de grand espoir pour ce jeune potentiel.

« Oh mais Acace ce n’est pas avec ça que tu vas gagner ta vie, ça non. »

Et il aimerait bien argumenter pour sa cause, prêcher quelle gloire est-ce d’être un marchand, mais pour une fois son collègue d’un jour lui vole tout le monologue. Ils ne peuvent être deux en même temps à se voler la vedette, il faut bien un peu partager.

« Ah mais Acace, il n’y a pas que du comptoir dans la vie d’un marchand du désert ! Il y a l’aventure dans toutes les contrées pour marchander et trouver les meilleurs produits. »

Il s’en va vers son étale, montre tour à tour les meilleurs produits qu’il vient d’évoquer.
« Là, ce sont des petites fioles de venin dénicher au fin fond de la Vallée. Bon elles ne sont pas aussi bien que celles de mon ancienne fournisseuse mais elle a disparue… pauvre Jiminy. Là tu vois, ce sont des appareils électronique de Célestia et vlà les medocs de là-bas, et ça là ce sont des biblots de Caer. Il y aussi quelques bouteille d’eau faites à l’oasis. »

Il admire tous ses objets avec l’œil fière, c’est qu’il a son réseau avec toutes ses années de dur labeur, et chaque objet est fruit de longues négociations (ou de vols).

« Allez vient essayer quelques jours, repas et argent compris dans le deal ! » et lui avait besoin de main d'œuvre avec ces maudites siestes qui tombaient à n'importe quelles moments. Voilà qu'il se remet à bailler bruyamment.