Tu ouvres les yeux péniblement, la lumière t'agresse et au fond de ta tête ça cogne fort. Un gémissement passe outre tes lèvres et ta main vient se poser sur ton front. Tu n'as pas assez de force pour te redresser alors tu rassembles tes souvenirs ... Le mariage, Fenrir. Tu es tombée dans les pommes le jour de ton mariage ?

Les deux mains sur les yeux, tu gémis de plus belle sans vouloir regarder aux alentours. Le connaissant, il a dû t'emmener à l'hôpital. Pourtant ce n'est pas grand chose, tu te sentais super bien quoique un peu fatiguée. Il faut dire que tu n'avais beaucoup dormi ces derniers temps, trop fébrile pour penser à autre chose que ton union avec l'homme de ta vie.

Mais voilà que la fatigue te joue des tours. Regardant à travers tes doigts tu remarques les murs blancs, les prises aux murs et des draps tout aussi immaculés. Tu ne t'es donc pas trompée, Fenrir a dû paniquer. Et les néons qui attaquent la rétine ... Tiens pourquoi la lumière est-elle allumée ?

« Quelle heure est-il ...? »

Tu retires tes mains de ton visage et tu te redresses en grimaçant, les yeux fixés sur la nuit par la fenêtre. Tu es restée inconsciente pendant tout ce temps ?

C'est un combat qu'il ne pouvait pas gagner, de toute façon. Il en est bien conscient.

Voilà deux bonnes heures qu'il fixe le mur en face de lui. Un mur blanc, sans aucun détail. Il n'aime pas ça. Il a l'habitude d'esquiver l'hôpital, habituellement. Il l'a amenée dans la première grande ville à laquelle il avait bien pu penser. Vu son interdiction de territoire, il ne pouvait pas la ramener à Caer Hrid. Il fallait voir la tête du médecin quand il a été obligé de lui dire !

Deux heures qu'il attend avec patience dans une chambre silencieuse. C'était censé être le plus beau jour de sa vie, non ? Pourtant, c'est l'inverse. Il a appris, il y a deux heures, la pire des informations. Celle qu'il ne pensait jamais entendre. Même lui a du mal à vraiment l'accepter.

Il fait nuit, dehors. Il fait nuit dedans. Mais il ne le comprend pas. En lui ne bouillonne que rage et tristesse. Quand on lui a annoncé la mauvaise nouvelle, il a mis un coup de poing dans un mur. Il s'est fait mal. Il voudrait cogner la maladie.

Puis elle se réveille. Il se lève rapidement et envoie presque la chaise valser. Il vient attraper ses mains. Il vient la tenir, il vient se rassurer. Elle est encore vivante, elle est encore aussi belle. Lui est encore en costume de marié.

"Eh ! Eh... tout va bien. Il est..."

Il regarde l'horloge au mur. Il n'a pas attendu deux heures, non. Plutôt cinq.

"Il est trois heures du matin."

Il ne veut pas lui dire dès son réveil.

Fenrir a l'air dans tous ses états. Mais est-ce que tu peux l'en blâmer ? Tomber dans les pommes le jour de ton mariage franchement ... Tu soupires et tu t'adosses à l'oreiller parce que tu te sens faible. La faute à tout ces rhumes c'est sûr.

« Tu sais que t'es sexy là dedans ? »

Tu tentes de détendre l'atmosphère, de le faire sourire parce qu'il a plutôt l'air de quelqu'un qui veut détruire le monde entier. Mais tu sais comment il est ton ... ton mari. A cette idée, un long sourire étire ton visage et tu le regardes avec amour.

« Mon cher mari, si on rentrait à la maison ? »

Tu n'as qu'une perfusion dans le bras, ce n'est pas ça qui va t'arrêter. Et puis franchement tu vas mieux pas vrai ? Alors pas besoin de rester plus.

Mais il y a une chose qui te chagrine. Même les néons blancs sont plus chaleureux que ton amour. Tu plantes ton regard dans le sien et le sérieux revient sur ton visage. Tu le questionne silencieusement, les sourcils froncés.

Tu pourrais presque sourire si la situation était pas si désespérée. Eolia, elle est comme d'habitude. Elle voit le bon côté des choses alors qu'elle s'est évanouie à son mariage quelques heures plus tôt. Tu tritures ses doigts avec les tiens, tu refuses de la lacher. Vos alliances viennent sonner l'une contre l'autre pendant l'un de tes mouvements et tu soupires.

"Ils veulent pas te laisser sortir maintenant."

Comment est-ce que tu dois lui annoncer, exactement ? Tu vois pas vraiment la bonne solution. T'es pas fait pour trop réfléchir, de toute façon. Tu plonges ton regard dans le sien.

"Ils t'ont diagnostiqué la transcendance."

Impossible de tenir le regard plus longtemps. Tu baisses les yeux et tu essaies de rester le plus solide possible. Mais est-ce que tu peux vraiment le faire ? Tu relâches sa main pour serrer tes poings, encore. Tu ne veux pas la blesser, après tout.

"Ils m'ont testé, j'ai rien."

Une respiration.

Le monde s'effondre.

Et tu respires toujours.

Ta trachée s'est contractée le temps d'une seconde mais ton subconscient à repris les rênes de ton corps et tu respires de nouveau. Une inspiration saccadée, une expiration qui fait du bruit. Encore et encore, tu l'entends dans tes oreilles, le silence est de plomb depuis que Fenrir à lâché ces mots. Tu sais qu'il ne te ferait jamais de blague comme celle-ci et tu n'es pas bête, les morceaux du puzzle se mettent en place. Les sautes d'humeur, les rhumes.

Toi le joli bout de femme toujours de bonne humeur. Le soleil s'éteint sur ton visage et tu perds toute trace de ce beau sourire toujours accroché à tes lèvres, la joie de vivre dans ton cœur s'évapore et tu regardes encore et encore le visage de ton mari.

« Quel stade. »

Tes yeux sont fixés sur l'homme aux épaules affaissées à tes côtés. On dirait que tout le poids du monde s'est écrasé d'un coup sur lui. Et pourtant tu te tiens droite, étrangement fataliste. C'est étrange tu n'as même pas pensé à nier ce qu'il vient de t'apprendre. Après tout tu le savais, la vie fini toujours par te rattraper. La fuite de chez tes parents qui s'est bien déroulée, la chute avec ta sœur où vous avez survécus toutes les deux. Tout ça c'était bien trop beau pour toi. Ton père n'a jamais cessé de te le répéter en boucle. Tu es faite pour souffrir, ce bonheur n'était qu'éphémère.

Et pourtant ton dos ne plie pas. Ton regard non plus. Tu as été le chercher ton bonheur, ce n'est pas terminé.

Ce n'est pas fini.

Pas encore.

Bientôt.

Tu as beau serrer les poings, les larmes coulent quand même. Tu penses être indestructible, mais ce n'est pas le cas. Parce que tu peux prendre tout les coups de poing du monde, t'es pas foutu de tenir quand on t'annonce la mauvaise nouvelle.

Les mots sortent pas. Juste les pleurs. Pendant un moment, d'ailleurs. Un long moment. Tu laisses tomber ton visage contre le lit d'hopital. C'est la seule personne a t'avoir vu comme ça depuis le Kamikakushi. C'est la seule qui te verra dans cette position. Alors tu essuies autant que tu peux, reniflant un peu brutalement.

"Deuxième...Ils disent...deux ou trois ans."

Tu replonges dans ses draps. Tu as deux ou trois ans pour trouver une solution. Tout repose sur tes épaules maintenant.

Le voir ainsi te brise le cœur. Mais tu as assez de tes émotions pour tenter de soulager sa peine. Tu es au bord du précipice et le voir pleurer t'y pousse un peu plus. Seule ta volonté te maintien encore en haut, le visage figé et le teint morne. Mais même après tout ce que tu as enduré, ta carapace n'est pas d'acier. Tel du verre, elle se craquelle alors que tu regardes l'amour de ta vie pleurer sur tes draps froissés, des draps qui sentent l'hôpital, rêches à l'image se ton cœur.

« Oh Fen ... »

Ces seuls mots te coûtent tes dernières forces. Tu viens poser tes mains sur tes yeux humides qui ne demandent qu'à lâcher les digues. Entendre ses sanglots ne t'aide pas, bien au contraire, cela ne fait que rendre plus cru la situation.

Deux, trois ans.

Tu pensais avoir la vie devant toi, avoir des enfants avec Fenrir, passer les meilleurs moments de ta vie avec ton mari. Mais non, tout s'effondre autour de toi. Et ta petite soeur ? S'en sortira-t-elle toute seule ?

« Je ne veux pas me transformer en monstre. Tout mais pas ça. Tu m'en empêchera ? Fen, tu ne me laisseras pas devenir ... ça ? »

Tu le secoues, lui demande de l'aide alors qu'il trempe les draps de l'endroit qui va devenir petit à petit ta maison. Ta cage.

C'est sûrement à la vallée qu'elle a choppé ça. Leurs laboratoires étaient forcément piégés. Mais pourquoi est-ce que c'est pas toi qui l'a choppé ? La maladie aurait aucune chance contre tes anticorps. Après tout, ils te regardent te battre depuis ta naissance, alors ils auraient pu virer le virus. Puis quand elle te secoue un peu, t'as l'impression de sortir de cet enfer. Elle est pas morte. Tu te redresses. Elle est loin d'être morte. Tu essuies tes larmes. Elle est toujours aussi belle. Tu peux encore la sauver.

"Tu te transformera pas en monstre."

Tu reprends une respiration à peu près normale et tu te lèves.

"Et tu restera pas enfermée ici. Qu'ils aillent se faire foutre, on sort."

Après tout, c'est probablement ces mêmes enfoirés qui bossent sur la transcendance et toutes ces merdes. T'aura juste à revenir pour t'entretenir en privé avec eux. T'attrapes vos affaires et tu te tournes vers elle.

"On nous arrêtera pas."

Tu essuies les quelques larmes qui ont coulées sur tes joues, sur ton menton. Le poids du passé, du présent et de ton futur incertain ne reposent plus sur les épaules de ton mari mais il s'est affaissé sur les tiennes. Ton dos qui était si droit semble avoir du mal à se tenir correctement et trahit la faiblesse de ton esprit. Te voilà voutée contre ces oreillers immaculés, froids comme cet endroit.

« Sortir ... Pour faire quoi ? Je suis devenue une bombe à retardement. Et si je m'en prenait à quelqu'un à la salle ? Je n'ai pas la force de passer pour une vulgaire brute aux yeux des gens. »

Tes yeux embués et tristes n'ont plus cet éclat qui faisait briller tes iris.

« Fen ? Merci d'être à mes côtés. »

Tu lui dois bien ça, tout ce bonheur qu'il a pu t'apporter. Et toi ... Toi qui ne pourra jamais le lui rendre. Au mieux tu attiseras sa rage contre le monde entier. Ne serais-ce pas mieux pour lui que de prendre ses distances le temps que la maladie prenne position dans ton corps ? A quoi bon lui donner de l'espoir ? Cette chose te grignote de l'intérieur et bientôt elle aura pris possession de toi-même. Tes mains, tes yeux, tes dons qui sait ? Tu as vu ces choses qui n'ont plus rien d'humaines et les maux qu'elles ont pu causer.

Bientôt l'intelligence et la vie elle-même quitteront tes yeux au profit du chaos et du sang.

Elle a pas l'air de vouloir particulièrement partir. Toi tu veux fuir cet endroit. Fuir la vallée, fuir cette situation. Fuir tout ça. Fuir la transcendance. Mais tu peux pas. Tu peux pas parce qu'ou est-ce que tu vas partir, hein ? Tu ne peux pas quitter Eolia et elle ne peut pas quitter le mal qui la ronge.

"Jm'en fous des autres. Et tu crois quand même pas que je serais pas capable de te maîtriser si il arrive quoi que ça soit quand même ?"

Tu reposes les affaires. Qu'est-ce que tu peux bien y faire, de toute façon, hein ? T'es qu'un type qui se bat pour vivre. T'es pas un scientifique.

"Je te protégerais. A chaque fois que t'es pas à l'hôpital, je serais la pour m'assurer qu'il se passe rien de grave. Tu ne sera un danger pour personne, le temps qu'ils trouvent de quoi te guérir."

Tu te laisses tomber sur un fauteuil, à l'entrée de la chambre. Parce que toute la fougue qui t'animait il y a à peine quelques secondes vient d'être éteinte par une douce voix.