Altagracia pressa sa pauvre petite orchidée entre ses doigts. Elle l’avait appelé Lucie, de sa manie de nommer tous les êtres vivants à sa portée. Mais Lucie était morte, un peu comme toutes les plantes qui finissaient par atterrir entre ses mains. Petite morgue de la nature, où pourrissent les fleurs les plus belles, les feuilles les plus vertes. Et comme un arrogant serial killer, la détective remettait le couvert à chacun de ses passages devant la fleuriste. Oh comment résister aux jolies jonquilles et frêles tulipes ! Parfait sur sa terrasse, parfait dans sa véranda. Et là peut-être qu’elle mettrait un citronnier, le dernier ayant si peu résister.
Et si ça l’attriste de voir les pétales se flétrirent et les tiges se noircirent, Altagracia n’en reste pas moins l’entêtement incarné. Espérant tout simplement que tout se passe mieux à chaque fois. Oh non promis aujourd’hui son odieux chien Belzébuth ne mâchouillera pas ses nouvelles trouvailles.
Et il faudrait cette fois penser à les arroser. Et du soleil. Planquer les narcisses derrière le canapé n’avait pas été une très bonne idée.
Altagracia pouvait résoudre des crimes, prendre en filature presque n’importe qui sans que personne ne la remarque et résoudre les plus grands des mystères, mais s’occuper d’une petite pâquerette, ça elle ne savait pas.
Ah elle était bien plus douée avec les insectes qui bourdonnaient à cet instant même dans leur grand bocal alors qu’elle enfile une veste noir sur son ample t-shirt préféré d’ACDC et mit précipitamment ses chaussures bien qu’il n’y ait aucune urgence.
Après tout, il n’y avait qu’une dizaine de mètre à parcourir et là voilà, l’humeur en vrac, ouvrant bruyamment la petite porte du fleuriste.

« BERRY ! C’est horrible j’ai encore tué quelqu’un !! »

Petit cri de lamentation, se préoccupant à peine des possibles clients à l’intérieur.
Un regard à droite, à gauche. Sa voisine n’était pas en vu, aussi devait-elle répéter son petit numéro un peu plus fort pour qu’on vienne la secourir, Berry ne devait pas être bien loin. Ah ce qu’il fallait faire pour attirer l’attention…

« Lucie est morte dans mes bras, il me faut un autre enfant pour décorer mon salon ! »

La détective aurait certainement adoré voir la police débarquer dans la petite boutique, et si ça ne gênait pas ses courses, elle ne voyait pas l’inconvénient. Il fallait bien animer ce quartier où il ne se passait jamais rien.

Il n’y avait plus que cette douce orchidée entre ses mains prédatrices ; morte orchidée. Elle s’en voulait un peu Altagracia, de l’avoir beaucoup trop arrosée et exposée au soleil. Ah ces petites choses étaient fragiles, trop éphémère entre les doigts meurtriers de la détective qui n’avait aucune délicatesse dans les gestes. Plutôt une brusque suractivité dans la moindre action, la moindre parole. Ah s’il fallait simplement parler à une plante pour la faire vivre, la demoiselle serait probablement reine de tout un jardin !
Pas loin d’elle, une jeune mère semble totalement terrifiée, traînant sa petite fille hors de la boutique tout en lui lançant un regard qui aurait alarmé n’importe qui. N’importe qui mais assurément pas la source de toute cette pagaille qui se mit à leur sourire effrontément.

Sourire qui disparaît immédiatement en voyant la mine de la propriétaire apparaître entre les roses. Une petite moue désolée en tendant le cadavre entre ses mains, comme une offrande à la mort.

« Ne t’inquiète pas elle reviendra… » avec la police probablement.

Ce n’était certes pas si amusant, mais dans son cœur, elle souriait un peu. Avoir la boutique pour elle toute seule réduisait en poussière le peu de culpabilité qu’elle aurait pu ressentir.
Berry est quelque peu agacée, dans son ton, dans ses gestes. La cubaine se dit que ça ne fait probablement que commencer.
Elle fronce les sourcils en levant les yeux aux ciel, déposant le cadavre de Lucie entre deux belles orchidées. Là c’était parfait.

« Je devrais l’appeler Berry cette fois-ci. Nous verrons bien dans quel état elle reviendra. »

Un grand sourire innocent comme Altagracia le fait si bien.
Elle se met à arpenter un peu les allées de plante, à la recherche d’une future victime.

« J’aimerai beaucoup reprendre un rosier mais il ne tiendra pas 3 jours… »

Et ça la peine réellement. Le dernier s’appelait Patrick est reposait probablement dans du composte. Peut-être devrait-elle embaucher Berry pour venir l’arroser… ou refaire son stock de plante toutes les semaines comme actuellement.

Oh l’idée ne plaît pas ; la nouvelle fleur ne s’appellera probablement pas Berry, quel ennui. La détective ne s’en formalise pas, des noms elle en a des centaines des milliers en tête qui rodent pour attendre leur tour, qui rodent pour attendre la prochaine tombe, le prochain carnage.

« Tu as bien raison, je ne donnerai probablement jamais mon propre prénom à une de ces plantes j’aurai trop peur d’un retour de karma… »

Elle rigole Altagracia, s’imagine un instant flétrir comme ses pauvres victimes, toute desséchée et maudite qu’elle serait.
Elle manque de s’étrangler.
Une patate. Oh non jamais il n’y avait rien de gracieux dans ces choses là.
Une patate. Elle secoue la tête, regardant Berry presque avec pitié.

« Tu veux que je m’occupe d’une patate ? C’est laid et je n’aime même pas ça. Je ne veux pas un potager Berry, je veux un jardin ! »

Le mot était peut-être un peu fort. Pour un jardin, il lui aurait fallu une bonne dose de main verte et un peu plus de considération pour les plantes. Son sourire est innocent encore une fois, peu certaine que sa voisine lui laisse repartir avec une jolie fleur mais est prête à tout tenter.
Hausse les épaules à la prochaine question.

« Comme d’habitude, tout va bien. Encore un dossier sur une femme adultère, la routine. » Ce genre  d’affaire commençaient à l’énerver. « Tu n’aurais pas un petit meurtre à me mettre sous la dent ? Un petit trafique d’organe ?? Je commence à m’ennuyer. »

Ah c’est qu’elle est sérieuse Altagracia, il n’y avait rien de plus satisfaisant que de résoudre (ou non) un joli meurtre tout rouge tout sang.

C’est qu’elle a l’air experte Berry, à malaxer la terre, replacer les plantes et les dorloter comme de petits bébés. Altagracia l’envi un peu, secrètement mais indéniablement. Se demande bien ce que devait lui trouver les plantes pour dépérir ainsi entre ses propres mains.
Une malédiction sans aucun doute.  
Elle fait mine de réfléchir aux paroles de l’autre. Des enfants dans le congélateur hum… il n’y avait probablement rien de tel chez cette bonne femme mais la détective se dit qu’elle devrait creuser.
Se contente pourtant de secouer la tête en soupirant.

« Tu as vu trop de film Berry. Je n’aime pas vraiment les enfants, qu’ils soient morts ou vivants mais les mettre dans le congélo franchement… »

Elle s’approche pour lui tapoter doucement la tête, comme à un petit chiot qu’on réprimanderait. Ah Berry n’a pas fait de bêtise, peut-être est-elle juste un peu naïve.
Et peut-être que la cubaine ne fait que de s’en délecter. Il était parfois si facile d’embêter sa voisine.
Mais finalement, son idée suivante plante un grand sourire sur son visage démon.

« Un cactus ! Ça n’a pas besoin de beaucoup d’eau c’est ça ? Oh oui je devrais pouvoir m’en sortir. »

Là voilà tout excitée pour une simple plante piquante. Mais à bien y réfléchir, un cactus lui irait parfaitement.
Elle pourrait le lancer au visage de ses ennemis et les entendre crier de douleur.
Encore mieux qu’un chien de garde.  
Secoue la tête une nouvelle fois en souriant un peu, comme si la demoiselle parlait à une enfant.

« Je ne sais pas ce qu’est une succulente Berry et je ne veux pas savoir. Va pour un cactus ! »

Sa tarte à la framboise était bien succulente... mais elle doutait que ce dont Berry parlait. Elle se contenta donc de pouffer toute seule.

Si le geste n’a pas l’air apprécié, Altagracia n’en a cure et compte bien recommencer ces gamineries. Après tout, son existence n’avait-elle pas comme but précis l’agacement des Hommes ? Nouvelle passion que d’embêter sa voisine, se nicher dans les failles et admirer les soupires, froncements de sourcil exacerbés.
La tentative de défense au cactus est tout aussi vite balayée, laissant la détective un peu déçue. Dans sa tête, tout paraissait digne d’un bon film d’action. N’était néanmoins pas sûre que Berry comptait lui vendre ses petites plantes jour après jour sans protester et ça, jusqu’à la fin du monde. Viendrait un moment ou un « non » catégorique viendrait lui briser le cœur ; n’aura alors plus qu’à se trouver un tout nouveau fleuriste préféré. Elle lève les yeux au ciel Altagracia, ne prenant pas la peine de préciser à l’autre que si attaque de cactus elle voulait, attaque de cactus il y aura.

Berry les mène vers un petit placard rempli de pics et d’épines. Magnifiques cactus ne demandant qu’à être adoptés, la jeune femme en trépigne de joie, un grand sourire plaqué sur ses lèvres.

« Ils sont magnifiques ! »

Elle s’approche, en manipule et retourne quelques-uns (sans trop faire attention il faut bien l’avouer). Jette finalement son dévolu sur un tout petit cactus en forme de boule, aux piquants paraissant tout duveteux, pourtant horriblement dangereux.
Une arme parfaite
Une plante parfaite.

« Je vais prendre celui-là, il sera parfait dans mon salon. Ou sur ma terrasse. »

Elle ne savait pas exactement ou ce genre de petite plante devait vivre… Oh, elle improviserait, comme d’habitude.