Hector attend, assied sur un banc, bien patient. Il observe la jolie vitrine qui se dresse devant lui. Il en oublie presque pourquoi il ne rentre pas. Pourtant, son holokit est bien là, dans la paume de sa main. Son colocataire ne lui a toujours pas répondu. Cela fait quelques temps déjà, d'ailleurs. Il ne se rend pas compte que cela doit bien faire des mois qu'il ne l'a pas vu, ni même aperçu. Alors il patiente. Il attend que le message soit lu, car il ne désire pas faire d'aller-retour jusque chez lui, tout cela pour un peu d'argent laissé à l'abandon sur sa table de nuit.

Les pieds qui se balance en avant puis en arrière, les yeux qui fixent la pyramide de petits choux qu'il aperçoit dedans. Il ne trouve pas cela forcément beau. Il se dit juste qu'il doit cocher cette case dans son carnet, celle de manger quelque chose au petit déjeuner. Il a oublié ce matin, l'a lu en se promenant, pile devant la boulangerie. Alors il se dit que les dieux ont été cléments avec lui. C'est un signe, sûrement.

Il ne peut jamais dire non aux signes, Hector.

L’expérience est étrange. Si Rosario avait passé toute sa vie sur le qui-vive, l’œillade sévère sur les mafieux récalcitrants, il ne s’attendait certainement pas à passer ainsi son vieux temps à espionner des croissants et pains aux raisins. On l’avait prévenu, cette pâtisserie tournait depuis un bon moment et marchait du tonnerre. Tout le contraire de la sienne mais eh, il n’en était qu’au début !
Il était donc là, à observer d’un œil critique la montagne de choux tout en déambulant devant le comptoir, ignorant les autres clients.
Oui, peut-être que c’était de l’espionnage.
Mais honnêtement il voulait juste savoir comment ces pâtissiers réalisaient leur superbe ganache. Dorothea et lui n’étant pas des professionnels, certains de leurs essais culinaires se retrouvait bien vite à la poubelle. Et bien qu’il ait une grande part de responsabilité dans tous ces échecs, il était déterminé à montrer à sa nouvelle employée qu’il savait quand même cuisiner tout seul.
Un peu.
Mais finalement, il faut se décider. Un grand sourire à la vendeuse, certain de son charme inégalé bien que vieillissant et le voilà avec un grand sac de choux à la crème au creux du bras.
Si l’espionnage devait passer par la gourmandise, il voulait bien se sacrifier Rosario.
.
Ne lui restait plus qu’à déguster tout ça ; puis critiquer. Aucun doute que ses propres choux devaient être bien meilleur n’est-ce pas ?
Un regard aux alentours, cherchant un lieu ou se poser quelques minutes tout en pouvant observer les vas et viens de la boutique.
Et puis soudain
un masque
de ceux qu’il a passé une bonne partie de sa vie à observer d’un œil critique pour finalement s’en amuser. Oh son esprit ne fait qu’un tour, son cœur manque probablement un battement. Si les doppelgängers n’existaient pas comme il aimait le supposer, il n’y avait qu’une personne sur terre (Althéa ?) capable de porter un masque de façon aussi étrange et adorable.
Et puis bon
qui serait-il pour ne pas reconnaître son propre fils en un regard…
Ah le sachet dérape presque de son bras, rattrapé in extremis parce que de la nourriture par terre, c’est un blasphème.  
Les pas sont légers quand il s’approche vivement du banc.
« HECTOR ! »
Un cri presque militaire bien que le grand sourire de Rosario ne laisse pas place au doute. Pas le temps d’attendre une reconnaissance (Hector étant parfois un peu lent c’est ainsi) qu’il se jette littéralement sur son fils pour le soulever dans une étreinte d’ours polaire en riant bien trop fort, et tant pis s’il l’autre mourrait étouffé par l’amour.
« AH je savais bien que les zombies ne t’avaient pas encore dévoré !! »

La clémence est divine, tout comme sont sensés être des retrouvailles. Hector. Le nom résonne dans la rue, dans la ville, sous-terre qui est un monde. C'est son prénom. Le sien. D'une voix qui lui dit quelque chose. Qui est trop récente pour avoir été oublié. Connue toute sa vie durant.

Mais le jeune homme est connu pour être lent. Il ne réagit pas aussi bien que les autres gens. Pas aussi rapidement. Au contraire de ces bras forts qui le soulèvent de son banc. Qui le porte vers les cieux. Vers les dieux. Des mains qu'il aurait apprécié tenir jusqu'à un certain point. L'attraper et le faire suivre. Il s'en souvient un peu, Hector, des drôles de promenades qu'il voulait faire petit. Déjà masqué, en quête de divinités. Sur terre, avec son père.

Et ici bas, à Althéa, entre ses bras.

Il n'a pas écouté la seconde phrase. Déjà les mains d'Hector se colle contre les joues. Il se demande si elles ont changé. Il se demande combien de temps a passé. C'est un rappel de là-haut qui le frappe. Et c'est un masque de bois qui cogne le front du père. Car Hector, sans réfléchir, a voulu coller son front à celui de son géniteur. Son Zeus personnel, bien qu'il n'en ai pas la grâce.

Lui-même n'a pas mal et parle tout haut, pour ne pas changer, bien que sa voix ne traduise pas de surprise, ou bien même de la joie. C'est sa voix habituelle, celle qu'il a toujours utilisé pour lui parler. Au fond, c'est comme si le temps ne s'était pas écoulé.

PA. PA.

Les doigts qui ne quittent pas le grain de sa peau. Une envie inconsciente de se raccrocher à quelque chose qu'il connait. Un être de chair. Et comme un secret, il demande.

Est-ce que toi aussi tu cherchais les portes des enfers ?

Rosario a le bonheur flagrant, de retrouver sa propre chair, son propre sang. Il avait bien souvent imaginé le corps sans vie de son fils dévoré par les transcendés ou n’ayant pas survécu à la chute. Mais s’il l’a un instant imaginé, ce n’est maintenant plus qu’un lointain cauchemar alors qu’il sert Hector contre lui tel le plus heureux des pères.  
Si le gosse est lent, au moins finit-il par reconnaître son géniteur et lui donner le genre d’affection qui lui est propre. Un coup de masque et les voilà réunis. Ah Rosario aimerait bien le lui enlever ce foutu masque et ainsi revoir la douce bouille de son enfant. Connaît pourtant trop bien Hector pour s’aventurer là, malgré des années à essayer de comprendre ses excentricités. Aujourd’hui le voilà qui se dit qu’un Hector vivant, même sous un masque reste un Hector vivant.
C’est tout aussi bien.

Ah et les premiers petits mots, juste pour lui. La façon si caractéristique de prononcer les syllabes, avaler les mots comme un extra-terrestre.
Au moins cela n’a pas changé, il est toujours aussi étrange. Pour le plus grand bonheur de son père qui n’aurait échangé ses bizarreries pour rien au monde. Au moins le gamin avait-il le mérite d’être original.
Les paroles suivantes le font éclater de rire.
Les enfers évidemment. S’imagine déjà le pauvre petit se jeter dans le trou avec l’espoir de rencontrer les vils démons du monde.
Il le repose sur son banc, ne s’éloignant pourtant pas, se contente de lui ébouriffer les cheveux et de réajuster un peu le masque sans perdre son sourire.
« Non je te cherchais ! »  Bon ce n’est pas tout à fait vrai. « Tu ne veux pas plutôt chercher les portes du paradis ? On en aurait bien besoin. »
Il adore ça, rentrer dans le jeu et suivre les chemins tout tordus que pouvait bien arpenter son fils. Mais s’il cherche les enfers, il pouvait bien un peu l’aider.
Et puis finalement, vient le reproche, léger mais vibrant. Rosario fronce les sourcils.
« Ta mère est morte d’inquiétude ! Est-ce que tu a pensé à nous avant de te jeter dans ce fichu gouffre ?? Oh non évidemment tu réfléchis à l’envers ! »
Le père gronde un peu, ce n’est pas méchant mais oh comme ils se sont tous inquiétés là-haut !