Entre le message qui lui sembla davantage être un S.O.S d’un pauvre homme en détresse, échoué sur son île déserte et l’heure tardive du message, annonçant l’aube d’un jour nouveau, Pavel ne savait pas ce qui fût le plus alarmant.  Peut-être était-ce son pessimisme mal placé, mais à son souvenir, Alekseï n’avait pas coutume de le convoquer à une soirée de buverie ; la plupart de leur rendez-vous n’étant que le fruit du hasard. Or, le fonctionnaire regarda son holokit d’un œil sceptique, hésitant à répondre à l’appel. Il fallait dire qu’il était plutôt confortable, assis sur le canapé du salon, regardant sans attention une émission bidon et à flatter Pollux comme le ferait le vilain d’un mauvais signe d’espion.

C’est un non saupoudré de sucre et tremblotant qu’il s’apprêta à pianoter sur le clavier avant de se souvenir que si ç’avait été lui, Alekseï aurait sans doute répondu à l’appel. Alekseï, l’ange gardien, celui qui s’était pris ses reflux gastriques en pleine gueule sans jugement… ou presque. Bref, le gamin avait été là pour lui lorsqu’il était à son plus bas, et Pavel, ayant peu d’amis, n’était pas aussi fantasque que de bécher le code d’honneur de l’amitié.

Il soupira avant de retirer délicatement le chat de ses genoux et de se diriger vers sa chambre pour s’habiller et sortir.

C’est avec réticence que Pavel poussa la porte du pub, ne sachant dans quel était allait-il retrouver le blond. Peut-être qu’il s’en faisait pour rien et qu’encore une fois, il s’était laissé emporter par ses scénarios teintés de négativisme et qu’il allait bien, Alekseï. Pas qu’il souhait du malheur à son ami, mais si c’était le cas, il allait être dégouté.

Pavel regretta aussitôt ses pensées lorsqu’il vit la carcasse échouée du suédois prenant appuie contre le bar. C’est un ‘oooook’ mentale qu’il eut la décence de retenir avant d’avancer prudemment comme on le ferait avec un petit animal sauvage. Il avait une bien triste mine, Alekseï, et Pavel eut ce sentiment de déjà vu, de déjà vécu, et ça le frappa : à quel point il avait eu l’air pathétique, sans vie et détruit.

Il prit silencieusement place à côté de l’épave, jetant un œil inquiet à la bière, ou plutôt aux bières déjà vidées de leur contenu. Oof.

« Euh… je t’écoute, » dit-il avec toute la compassion qu’il pouvait invoquer.

Pavel, habillé d’un jogging et t-shirt monochrome était prêt si jamais Alekseï devait lui rendre la pareil.  

Lèvres pincés et regard fuyant, Pavel ne savait visiblement pas sur quel pied danser. Il se sentait comme le protagoniste d’un visual novel, confronté à un arbre de choix dans lequel il ne savait déterminer la bonne réponse. Pas qu’il croyait que s’enfarger dans les fleurs du tapis ferait en sorte que la relation avec le gamin au bord du gouffre à ses côtés change drastiquement (parce que pour ça, il faudrait qu’il se souvienne de sa soirée), mais plutôt, le fonctionnaire avait le désir de soulager (du moins quelque peu) la douleur virulente qui accablait son ami.

Après tout, il était le reflet de ce qu’il avait lui-même été, quelques mois auparavant : une baleine échouée sur la rive, agonisante et attendant que l’alcool lui donne le coup de grâce.

C’est un feu d’artifice en verre qui captive son attention, et Pavel, toujours inquiet, mais attendant que le gamin s’ouvre, hésite à poser une main réconfortante sur le dos courbé. Une hésitation qu’il tue, se décidant finalement à tapoter doucement le jeune homme, puis arrêtant lorsqu’il se souvient que le blondinet avait déjà plus d’un verre d’engloutie.

Il se doutait, Pavel, que le vomit arriverait tôt ou tard, et si on lui laissait le luxe du choix, il préférait que ce soit tard. Pas qu’il avait lui-même laissé le choix à Alekseï lorsque fût son tour, mais il avait quand même espoir de passer le début de la soirée sans trimbaler l’odeur nauséabonde de poisson pourrie. Ou de peu importe ce que son ami avait bien pu ingérer au préalable. Si c’était le cas.

Était-ce vraiment une bonne idée de l’encourager à boire ainsi, pensa Pavel, échangeant un regard avec le barman qui se contenta de hausser les épaules.

Son regard s’élargie à la mention de son don. Jugeant le moment inapproprié pour se la jouer condescendant, il se retient de dire qu’il avait bien du mal à y croire, après tout, sa malchance avait causé un homicide involontaire (bon, dans les faits, c’était une légitime défense, mais il avait encore du mal à s’en convaincre). Il se demanda que dire, que faire et quand il finit par se décidé, c’est le bruit d’un front contre la surface de bois qui le coupa dans son élan.

Pavel opta finalement pour un sourire, un mélange de malaise et de compassion. Il n’avait pas vraiment faim, mais il ne pouvait pas ne pas accompagner l’ange gardien dans sa déchéance.

« C’est plutôt moi qui va t’inviter… » Aux bières déjà englouties, c’était naturel qu’il lui sauve au moins le repas pour deux. Pas qu’il pensait qu’Alekseï bénéficiait d’allocations sociales pour subvenir à ses besoins, mais un salaire d’homme à tout faire ne devait pas voler très haut non plus. Avant de se retrouver confronter à une quelconque résistance, il ajouta : « j’insiste. »

Puis, il fit signe au serveur qu’ils étaient prêt à commander. Et une fois réglé, il confronta Alekseï et son regard de chat botté.

« Donc, qu’est-ce que tu as fait qui puisse être si terrible ? »

Pavel remarqua bien que son compagnon n’insista pas avantage. De toute façon, à boire comme il le faisait, le fonctionnaire se doutait bien que cette histoire de facture tomberait dans l’oubli. N’empêche, il se demandait qu’avait-il pu arriver pour que le suédois soit dans un si profond émoi. Par expérience (et ayant passé par là), il s’imaginait que le tout était probablement lié à une histoire de cœur. Il y avait eu tant de dénouements depuis leur dernière rencontre que si le suédois lui annonçait qu’il avait eu quelques aventures, puis s’était fait largué… Eh bien, Pavel ne serait pas surpris.

Pavel renifla une fois, puis deux, histoire d’agrémenter le silence ponctué des bruits de goulot du jeune homme. Alekseï le faisait languir. Et c’est avec une curiosité non-assumée que le rouquin avait envie de le presser, mais ! Dans un état si lamentable, c’était toutefois sans cœur et égoïste de ne pas lui laisser la luxure du temps.

Il espérait tout de même que le suédois déballe son sac, car en plus du petit malaise qui s’installait, Pavel ne savait plus où poser le regard. Puis, elle vient, la délivrance. Sous la forme d’un vomit verbale auquel Pavel cligne des yeux, incertain d’avoir bien assimilé la déferlante d’information.

Pavel renifla une fois, puis deux, seul moyen efficace de barricader le ‘tu as fait quoi ?’ à la porte de ses lèvres. Bien qu’il se montrait accidentellement indélicat par moment, le fonctionnaire avait la décence de ne pas frapper un homme (déjà bien frappé) littéralement à terre. Pavel se raclât la gorge, brisant le contact visuel et s’apprêta à l’examen visuel du plafond, des mures, du barman… bref, n’importe qui n’était pas l’imbécile devant lui. Connu pour son expressivité faciale, il voulait au moins lui éviter le jugement suintant des pores de sa peau.

Heureusement pour lui, tout ça sembla inutile, considérant que son ami venait de péter une durite.
Il prit une grande respiration, passant une main sur le dos du jeune homme et commença à la tapoter doucement.

C’était là, le moment de retourner sa langue sept fois dans sa bouche.

« Tu, euhm… Tu as commencé par la base ? » Pavel fit une pause, remerciant le serveur venant déposer leur plat et reprit. « C’est-à-dire, tu t’es excusé ? »

Pavel se garda bien de donner son avis sur si ces actions étaient bels et bien excusable et poussa son bol de poulet pop-corn vers Alekseï.

« Nous sommes tous différents, mais je pense que la première étape serait de te mettre à sa place. » Un morceau de poulet trempé dans une mayonnaise épicée, et il continua : « Comment réagirais-tu si les rôles étaient inversés ? Qu’est-ce que t’aimerais que l’autre fasse pour se faire pardonner ? Je pense que t’as un exercice à faire… En fait, il n’y a pas de solution miracle, peu importe ta conclusion, tu vas devoir mettre les choses aux clairs. D’ailleurs, pourquoi as-tu cru que c’était une bonne idée ? De faire ça ? »

Pavel se mordit la lèvre, pesant que ça suffirait à faire taire le jugement qui ne cessait de croître au fur et à mesure qu’Alekseï racontait son récit. Visiblement inefficace, il choisit de noyer le tout à grandes gorgées d’eau. Bien qu’il n’aimait pas voir son ami ainsi torturé, Pavel ne pouvait s’empêcher de penser que le suédois était l’artisan de son propre malheur. Il voulait lui faire comprendre, qu’il avait dit, tentant de rire, comme si ç’allait alléger le poids sur ses épaules. Loin d’être étranger aux effets débilitants de l’amour et de l’envie d’être remarqué, le fonctionnaire pouvait facilement se mettre dans les chaussures de son ami, et ainsi, comprendre les raisons qu’il l’avait poussé à agir dans les extrêmes, par contre, ce qu’il n’arrivait pas à saisir… Et bien, comment Alekseï n’avait-il pas pensé aux conséquences ?

Ça lui semblait logique, à Pavel.
Pas parce qu’il était anxieux de nature et qu’il avait ce besoin d’anticiper le futur, mais parce que… ça semblait naturel. De penser aux conséquences de ses actions.

Or, exprimer tout haut ce qu’il pensait tout bas n’allait pas aider à la progression de la situation. Alors, il se contenta de garder les lèvres pincées, cherchant du regard le server afin de lui communiquer visuellement qu’il aimerait bien qu’on remplisse à nouveau son verre d’eau.

« On fait tous des erreurs, ce qui est important, c’est la façon dont tu vas réparer les pots cassés. »

Après tout, qui n’a jamais fait quelque chose de stupide lance la première pierre. Lui-même était coupable de bien des offenses, toutefois, Pavel s’assurait (ou du moins, essayait) de recoller les morceaux. Puis, il se permit un petit sourire à la tentative de blague.

« Un casque de hockey devrait te protéger… Non, plus sérieusement, essaie de tâter le terrain avec un texto ? »  Bon, peut-être qu’il était déjà bloqué, mais ça ne coutait rien d’essayer. Le sujet glissa vers Rachel et Pavel se passa une main dans les cheveux, les ébouriffant davantage avant de répondre rapidement : « ça va. » Une question de relativité, car comparé à ce que le suédois vivait, sa situation avec Rachel allait bien, même très bien.  

Ne voulant pas voler les projecteurs, Pavel changea subtilement de sujet.

« Tu as pensé à ce que tu allais écrire ? »

Était-ce vraiment cheap? Pavait était d’avis que sa dépendait entièrement de la situation et du contexte. Personnellement, il percevait le texto comme un premier pas vers la guérison d’une relation meurtrie. Puis, utiliser ce moyen de messagerie était plus rapide qu’envoyer un pigeon.

« Tu sais, ce qui rend le texto ‘simple’, c’est le contenue que tu vas y mettre. » Ce à quoi Alekseï ne tarda pas à répondre. Pavel tendit la main vers l’assiette de nachos et en retira une chip, laissant le fromage s’étirer de façon satisfaisante du plat à sa bouche. « Considérant ce que tu as fait, et la façon dont il a peint ton visage, je ne crois pas qu’un ‘désolé’ va être très bien reçu… »

S’il y a de quoi, Pavel supposa, ça sonnait davantage comme une incitation à la colère, une nouvelle claque au visage et un testament que son jeune ami ne prenait pas la situation très à cœur. Enfin, des suppositions, mais en même temps, Pavel était de ceux très ‘ok’ avec une simple excuse ; un mixte d’empathie et d’usure à servir de carpet.

« Écrit-lui un essai. » Une pause suivit d’une gorgée de sa boisson, histoire de jauger la réaction du blond. « Je blague, » rajouta-t-il comme si ce n’était pas évident. « Je crois que tant que t’y vas avec le cœur, ça devrait passer. » Cliché oui, mais efficace.

Pavel poussa son bol de poulet vers Alekseï, l’invitant à y piger.

« Si tu veux, tu peux te pratiquer avec moi. Sens-toi aussi à l’aise de refuser. »