Tes pieds se balancent dans le vide alors que tu décortiques la fleur chipée dans l’un des bouquets.
Une pétale, deux pétales, trois pétales.
Un coup d’œil vers l’homme aux cheveux blancs ; non il n’a pas tout à fait fini.
Quatre pétales, cinq pétales, six pétales, sept pétales.
Est-ce que les fleurs aussi souffrent quand on les torture de la sorte ?

Huit pétales, neuf-
Tu soupires en la laissant retomber à terre.
Elle n’a plus de forme cette fleur, elle ne t’intéresse plus.
Un peu comme les cadavres que tu laisses derrière toi : lorsque les émotions s’en vont des joues, tu ne les trouves plus aussi jolies.
Mais lui, il y arrive, à leur redonner un sourire, un semblant de larme.
C’est simple, c’est discret, c’est beau.

Tu te lèves de cette table où tu as élu domicile pour t’approcher, te fondre à son ombre. Tu ne veux pas le déranger, tu veux juste observer : ses doigts agiles, ses talents de magicien.

Cela fait plusieurs fois que tu reviens le voir, il y a comme quelque chose qui te pousse à revenir à cet endroit. Peut-être car s’intrigue, ce pouvoir qu’il a de sublimer la mort.

Tu t’approches un peu plus du défunt, regarde son visage si paisible, ces fleurs tranquilles. Ça apaise une partie de toi que tu ne pensais pas avoir : ça te rassure, de savoir que les morts peuvent aussi vivre dignement.

« Le tableau est fini ? »

Bientôt.
Elle n’est pas encore prête à rejoindre les cieux, cette petite habillée de saphir. Elle a besoin d’encore un peu de préparation avant d’entamer son grand voyage. C’est l’ange aux cheveux neige qui le dis.

Tu bois ses paroles, alors que ses mains embellissent de gestes sûre l’enfant qui n’est plus tout à fait vivante. Non, celles-là tu ne les égorgeras pas, tu les laisserais tout intacte pour lui, pour qu’il puisse finir.
Tu ne voudrais pas le ralentir. Tu ne voudrais pas non plus qu’il se fâche.

Elles sont belles, les fleurs que tu viens chercher avant de les redonner. Elles iront bien avec le reste, dans ce tableau en pleine création. Tu aurais presque envie de les garder près de toi, pour faire parti un peu de ce tableau toi aussi. C’est même ce que tu viens faire, d’une certaine manière, en gardant la dernière tout contre toi.

« Je suis venue les voir, les défunts. » Tous les défunts.

Car quelque part, même si tu exécutes de sang-froid, tu t’es toujours demandé où ils finissaient, ceux à qui tu ôtais la vie.

« Est-ce qu’ils font un bon voyage ? » ou est-il mouvementé, ce voyage vers les portes de leur nouvelle maison ?

Les fleurs tombent, une à une.
C’est encore quelques fragments de vie qui s’abandonnent, passent de l’autre côté.
Du côté dont on ne revient pas.

C’est quelqu’un de bien, cet ange blanc. Tu en es persuadée, Linn.
Peu de gens la supporte assez pour rester à ses cotées, cette mort aux lourdes chaînes. Oh non, les autres ne la supporte pas, détourne la tête dès qu’il la voit.
Toi tu n’es pas de ceux-là. Lui non plus.
Il est comme un barreur qui tient la direction jusqu’à ce pouvoir enfin les laisser s’en aller.

« C’est une jolie barque, où elle est venue se poser ».

C’est un souffle d’admiration qui sort de tes lèvres, toi qui pourtant n’est pas admirative de grand-chose. Mais il a cette façon de s’approprier l’au-delà que peu de personne ont.
Tu vas jusqu’au-devant de ce navire, regarde l’œuvre, regarde l’auteur. Il sourit. Il a ce sourire soleil quand la petite fille a le regard glace. C’est un beau contraste, de ce que tu observes en silence.

« Où est-ce qu’elle va aller maintenant ».

Tes mains sont posées sur le devant du cercueil alors que tu viens de poser la fleur que tu gardais juste au-dessus de sa tête. C’est un talisman que tu lui mets là, pour que tout se passe bien. Toi aussi tu aimerais que quelqu’un fasse la même chose quand ça t’arrivera.

Oui, il a raison. Elle doit être bien pour son voyage, la jeune fille aux cheveux jais et aux yeux de saphirs. Mais si elle ne l’est pas, bien ? Qu’est-ce qui arrivera ? Sera-t-elle maudit jusque dans l’éternité ? Sera-t-elle refusé devant les portes du paradis (enfers ?) Et si elle avait été trouvée dans le désert, que serait-il arrivé ?
Les questions s’enchaînent dans ton esprit. Ça danse et ça danse.
Toi qui côtoie la mort quotidienne, tu n’as pourtant pas finie d’en être passionnée.

« Qui je suis ? »

Une ombre, un mauvais présage.
Tu es le coup qui s’abat avant même d’avoir été senti.
Les yeux qui voient tout sans jamais être vus.
La main de quelque chose de plus grand, souvent,
une âme isolée, en rédemption, toujours.

Tu es « Linn » avec toutes les choses qui je sachent derrière.
Même toi parfois tu ne sais pas vraiment,
dans tes souvenirs il y a l’entité, un ancien masque.

« Est-ce que ça vous ait déjà arrivé d’ôter la vie ? »
Tu veux savoir, s’il est un peu comme toi.

La main tendue, tu accepte le bout de carton come un présent. De ceux que tu pourras réutiliser plus tard, comme un joker. Tes yeux parcourent l’écriture tout en boucle.
Onyx.
C’est doux comme prénom, ça va avec cet délicatesse de ses doigts.

Tes questions ont cette faculté de provoquer des émotions que tu ne comprends.
Car Onyx rit. Il rit la gorge déployé, laissant aller le si joli rire vers les monts célestes. Aux côtés des défunts.
Était-ce ta question ? Était-elle risoire ? Ou au contraire déplacée ?
Oh non, tu ne veux pas qu’il t’en vaille, l’ange aux doigts de fée.

« C’est une bien vilaine maladie. »
Qui transforme les agneaux en loup, les loups en brebis.
Eux tu ne les aimes pas, ils n’ont rien à offrir comme leur âme n’est plus là.

« Parfois, j’ai l’impression que la mort me précède. » regardez-la, elle a encore réussit son tour de passe-passe.

« C’est important, de se rappeler qu’elle vous guette, on l’oublie trop souvent au profit de la vie ». C’est pour ça que tu es là Linn. Pour te rappeler. Oui, te rappeler tout ce que tu enlèves.