Le temps est doux mais tu supportes facilement ta veste bleue sur tes épaules. Tu n'as pas accepté la maladie mais aujourd'hui tu te sens particulièrement bien. Alors tu as décidé de faire une petite surprise à ton mari. Le temps est passé si rapidement depuis l'annonce de ta maladie, pourtant tu as l'impression que c'était hier que tu te mariais au plus beau et au plus fort de tous les hommes. Ton homme à toi.

Tu lui as donné rendez-vous dans le jardin de votre nouvelle maison. Par désespoir peut-être, toutes tes économies y sont passées. Mais ton sourire ne quitte pas tes lèvres roses alors que tu t'assois sur le banc.


Tu regardes encore ton holokit avec humeur. Il n'est pas encore en retard. Tu sais qu'il avait rendez-vous à l'hôpital pour vérifier l'état de ses jambes mais tu ne peux t'empêcher de t'agacer de l'attente. Alors tu souffles, et tu détournes les yeux de l'écran pour les plonger dans ton reflet sur la vitre de la baie vitrée. Tu as maigri, Fenrir ne va pas être content mais l'appétit n'est pas au rendez-vous lui non plus.

Tu aurais pu l'accompagner au sien d'ailleurs. Mais cet endroit te fait péter un câble, au sens littéral du terme. C'est pourquoi tu vois ta médecin en dehors, elle passe voir comment tu te portes quand ton mari sort. Tant de secrets alors que tu rêvais d'une vie simple. Plus rien ne l'est.

On est début décembre et comme absolument chaque mois de décembre à Celestia, il fait froid. Moins que d'habitude, peut être, parce que c'est dans les nouvelles plaines de la région que Fenrir et Eolia viennent d'acheter une maison. Ils y ont mis tout ce qu'ils avaient, mais dans leur situation, pouvait on vraiment leur reprocher de vouloir construire ensemble rapidement ?


Il tire dessus comme un abruti et avec la force déployée, se retrouve les fesses par terre. Il grogne parce que ses jambes ne tiennent plus grand chose, depuis l'attaque aux Villas. Il se redresse difficilement, utilise son cristal de soin sur ses jambes autant qu'il peut et reprend sa marche de papy.


Il fait le tour de la maison, blouson sur les épaules et bonnet sur la tête. Lentement, il entre dans le jardin par le côté et viens se poser à côté d'Eolia avant de jeter une de ses béquilles, de rage.

"J'te jure j'ai jamais vu un truc aussi nul ! On est capable de construire des dômes pour contrôler la météo mais je me fais mordre deux trois fois et je peux pas marcher pour Noël."

C'est leur premier Noël ensemble, d'ailleurs. Il grogne encore un peu puis se retourne vers elle et la regarder dans les yeux. Soudainement, toute haine et toute crainte disparaissent. Il lui suffit de la voir pour oublier sa douleur. Il attrape sa main et vient l'embrasser.

"Coucou toi !"

Il est redevenu mignon comme un marcassin.

Tu lis les messages consécutifs qui arrivent sur ton holokit, sans pouvoir retenir ton rire. Comment est ce que Fen arrive toujours à se mettre dans les pires situations ? Ou alors c'est uniquement une excuse pour son retard, ou alors c'est pour te faire rire. Dans tous les cas il ne met pas longtemps à arriver en grognant et bougonnant. Il vient s'assoir près de toi et retrouve son sourire, tu ne peux t'empêcher de venir le taquiner.

« Pourtant c'est bien ce que tu viens de faire pour arriver non ...? Marcher un peu. »

Petit sourire en coin, vite effacé par l'apaisement que te procure la vision de ta nouvelle maison.

« On sera bien ici pas vrai ? Pour me reposer. »

Ou y reposer.

Tu ne l'ajoutes pas à l'oral car tu sais que ça touche Fenrir quand tu dis des choses pareilles. Mais tu es au clair avec ton état et la maladie évolue bien plus que vous ne l'auriez souhaité.

« Et si on achetait un animal ? Un chaton ? Un chiot ? Pour nous tenir compagnie ! Qu'est-ce que tu en penses ? »

Et pour lui tenir compagnie quand tu ne seras plus là. Tu vois large, peut-être mais c'est la seule chose que tu peux gérer.

Il est plutôt content de l'achat, quand il voit la maison. Il se dit qu'à Australis, les choses seront plus calmes qu'à Polaris. Peut être que ça ralentira la maladie et qu'il pourra vivre toute sa vie avec elle. Peut être qu'en venant ici, il calme un peu la rage qu'il traîne depuis cette journée de merde qui devait être la plus belle de sa vie.

"On sera bien, oui. On a eu de la chance de pouvoir s'installer ici."

Parce qu'ils sont jeunes, parce qu'elle est malade, parce qu'il se blesse très régulièrement ces derniers temps. Alors pouvoir acheter une maison, c'est plus que ce que ses parents ont pu faire en 50 ans.

"Notre premier noël ensemble, t'imagines !"

Elle propose une bonne idée. Il hoche la tête et se tourne vers elle.

"On devrait prendre un chiot. On le sortirait ensemble ! Toi, ça te ferait te balader un peu pour prendre l'air et moi ça m'aiderait à récupérer mes jambes."

Puis de toute façon, il a jamais été team chat. Il passerait probablement ses journées à grogner contre lui. Il veut un chien. Un gros qui court partout et avec qui il pourrait aller faire son jogging journalier, quand ses jambes seraient revenues à la normale.

"J'ai de la chance de pas avoir été infecté par je sais quoi avec leurs morsures ! J'ai eu peur pour ma vie."

Et il savait bien qu'il aurait pas du quitter Eolia, même pour une soirée.

Tu as envie de pleurer de toute ton âme. Penser à ses larmes alors que tu ne seras plus là. Tu t'y es fait et pourtant oh pourtant comme ton cœur saigne de plus belle à chaque fois que tu y penses. Tu ne seras plus là pour le consoler, alors qui le fera à ta place ? Le voisin qui trouve Fenrir bizarre et qui apporte des tartes ? Tu essuies tes yeux embués alors qu'il est trop occupé à regarder le jardin, la maison. Tu peux au moins faire ça pour lui, garder le sourire alors que ton corps pourri un peu plus chaque jour. Cacher la gangrène sous tes t-shirts amples et la perte de muscle qui va avec le manque d'appétit. C'est moche tout ça, alors vaut mieux lui montrer le soleil plutôt que la puanteur.

« Allons-y. Maintenant ! Allons trouver ton meilleur ami, il t'attend déjà j'en suis sûre. »

Il va falloir un très gros chien pour supporter Fenrir et sa cadence infernale. Un bon gros toutou qui pourra être là quand ta présence s'effacera des draps de votre lit. Tu as toujours voulu enfouir ta tête dans une grosse boule de poils. Mais le chiot ne sera pas assez grand, tu le sais bien. Peut-être que tu devrais le préparer, l'aider à accepter l'inacceptable alors que tu es encore là ? Mais tu voudrais le voir sourire encore et encore, jusqu'à la fin.

« Comment on va l'appeler ? »

Tu l'aides à tenir avec ses béquilles pour le mettre debout. Direction l'animalerie.

Il voit rien de tout ce qu'elle essaie de cacher. Tout ce qu'il voit, c'est sa beauté naturelle. A l'intérieur comme à l'exterieur. Il est pas aveugle, il sait bien qu'elle perd du poids, mais il fait tout pour se dire que c'est des kilos qu'elle reprendra quand elle ira mieux. Et il capte pas qu'elle parle que de lui, pour le chien.

"On l'appelera Cheeseburger."

C'est le seul truc qu'il dit avant d'attraper ses béquilles et de se lever difficilement. Ils sortent du jardin et Fenrir sort son holokit pour commander un VTC. Parce qu'avec ces histoires, il ne se déplace presque plus que comme ça, les béquilles aidant pas.

"T'as une idée de ce que tu cherches ? Je m'dis qu'on pourrait peut être plutôt essayer d'adopter un chien, non ? Un qui profiterait de la maison et du jardin plutôt que d'être dans une cage."

Parce que les cages il a déjà vécu ça dans des matchs en cage et c'est une vision assez désagréable. Et puis qui ils sont pour mettre un animal en cage, hein ? Il aimerait pas qu'on lui fasse ça, Fen. Le véhicule arrive, il ouvre la porte pour faire entrer Eolia en première et s'installe avec elle.

"Alors ? Animalerie ou Refuge ?"

Tu lui tiens le bras en soufflant. Qu'importe, du moment que vous adoptiez un chien non ?

« Ce que tu veux. Refuge j'imagine puisque ça te tient à coeur d'en sauver un. »

Tu as l'air un peu agacée, bien vite effacé par ton sourire alors que le véhicule arrive. Tu aides Fenrir à monter dedans et tu t'assoies à ses côtés en indiquant l'adresse au chauffeur.

« Cheeseburger ... Le pauvre tu ne veux pas lui trouver un nom digne de lui plutôt que de la nourriture ? »

Tu dis ça mais au fond de toi tu ris, ça lui ressemble tellement de choisir un nom pareil. Tu aurais pu le parier, tu serais devenue riche. Enfin, tu pourras rien en faire de tout cet argent puisque tu ne seras bientôt plus là.

« C'est bien Cheeseburger. »

Ce sera son chien, pas le tient. De quoi tu te mêles franchement. Tu ne pourras pas être embarrassée en le promenant et l'appelant ainsi puisque ... Oh ça suffit. Tu serres la petite boule qui se trouve dans la poche de ton manteau comme te l'a conseillé ton médecin. Serrer, desserrer. Se focaliser sur la boule qui reprend sa forme, l'écraser de nouveau. Tu contrôles ça, tu peux te contrôler toi.

« Ah, nous y voilà. »

Quand Eolia parle de refuge, le conducteur démarre au quart de tour. Qu'elles sont cools, les voitures de Celestia ! Il prend sa main pendant le trajet et hausse un peu les épaules. Lui, il aimerait un gros chien qui court partout. Et même si elle a pas l'air très contente pour le nom, au final, ça semble lui aller, ce qui va à Fenrir, du coup.

"Bien sur que c'est très bien Cheeseburger !"

Ils sortent tout les deux de la voiture et avancent rapidement dans les allées du refuge. Fenrir n'est pas très à l'aise, enfermé entre toutes ces cages, alors il sort voir dans ce qui ressemble à un grand parc. Une cage pour éviter que les chiens s'enfuient, mais pour les protéger.

"POUSSEZ VOUS !"

C'est une voix inconnue qui semble hurler à Fenrir et Eolia de se déplacer. Une voix qui vient d'un homme qui vient de s'écrouler au sol, tiré par un gros chien blanc. Le gros chien blanc s'élance sur Fenrir, qui le rattrape et se fait lécher le visage.

"EHHHHH AHAHAHA."

Fenrir devient Fen-rire et se laisse lécher le visage avec plaisir avant de soulever le chien qui pèse son petit poids, quand même. Il le garde dans ses bras alors que l'homme -qui s'avère être un bénévole du refuge- vient s'excuser. Fenrir lui fait un signe de tête et regarde le chien.

"Par le plus grand des hasards, il cherche pas une famille, le gros léchouilleur ?"

Le bénévole semble soulagé de voir que les deux ne comptent pas l'attaquer en justice et heureux de voir que quelqu'un s'intéresse à Cheeseb- au chien.

"Lui ? Vous rigolez ? C'est la deuxième fois qu'il revient au refuge. A chaque fois, on nous dit qu'il court trop et qu'il est inarretable."

La phrase du bénévole n'est pas encore terminée que Fenrir tourne la tête vers Eolia avec un regard qui veut dire "s'il te plaît s'il te plaît s'il te plaît". Et que le futur Cheeseburger fait la même chose.

Sortir de la voiture.
Serrer la balle.
Aider Fenrir.
Desserrer la balle.

Et puis observer Fenrir. Sa joie, sa bonne humeur. Tu délaisses la balle dans ta poche et tu souris. Tu as l'impression d'emmener un enfant choisir son premier animal. Ce que tu es contente d'avoir eu cette idée. Ca ira, tout ira bien.

« Att- »

Tu n'as eu le temps de rien. Mais ton mari gère déjà la situation avec le monstre. Enfin le chien. Et au vu de leur regard il vient de se passer quelque chose entre eux. Avec un rire qui te caractérise plus que tes sautes d'humeurs, tu hoches la tête.

« J'ai bien compris. C'est le coup de foudre ? »

Tu t'approches et tu poses ta main sur la tête de cette grosse bestiole qui semble avoir le même air que Fenrir. Ses grands yeux qui ne demandent que de l'amour. Tu caresses sa tête poilue et tu viens poser ton front contre cette boule de poils et d'amour. Le chien ne tient pas longtemps en place, bouge la tête de sorte à lécher ton visage et avec un nouveau rire, tu recules.

« Bonjour, Cheeseburger. Je crois que ton papa te ressemble beaucoup. »

Et il saura l'aimer, lui faire oublier.

Cheeseburger s'entend bien avec Eolia, c'est parfait, tout est absolument parfait. Fenrir est convaincu que c'est le début d'une nouvelle ère et d'un nouveau moment. Alors il s'empresse de suivre le bénévole, en hochant la tête lorsqu'on lui demande si c'est le coup de foudre.

"Il va trop bien s'entendre avec nous. T'as vu comment il est câlin ? Il sera la pour te remonter le moral quand je serais au boulot !"

Au boulot, comme si il parlait d'un bureau. Lui, il aurait voulu qu'Eolia y participe, à son boulot. Il aurait voulu la voir briller devant les lumières, lui apprendre les ficelles du métier. Il aurait voulu pleurer lorsqu'elle souleverait son premier titre, faire la fête toute la nuit lorsqu'ils gagneraient tout les deux en équipe. Mais c'est différent, ce qui s'est passé. C'est l'amertume d'une vie qui aurait pu être magnifique.

"Il est absolument parfait. Je veux plus jamais le lacher."

Et Cheeseburger non plus ne veut pas lâcher Fenrir. Il lui lèche encore le visage alors que Fen vient transformer son nez en groin et le renifler devant le chien émerveillé.

"Il va falloir, par contre ! Le temps qu'on s'assure que ses vaccins sont faits. Et qu'on fasse les papiers à vos noms. Revenez après-demain, d'accord ?"

Fenrir comprend bien, mais il avait envie de repartir avec. Il repose le chien qui court partout, qui vient renifler Eolia puis frotter sa tête contre ses jambes. Il a l'air encore plus heureux que son maître, c'est pour dire.

"Après demain, à la première heure ! Cheeseburger mérite sa toute nouvelle maison !"

Ils laissent leurs papiers, ils laissent de quoi tout payer et Fen attrape Eolia par les hanches et la soulève pour la porter comme une princesse, heureux de l'idée de ramener un animal chez eux.

"C'est comme ça qu'on va construire notre future famille ! D'abord, Cheeseburger."

Sourire aux lèvres, transcendance presque oubliée.