Parfois tu as vraiment beaucoup de chances. Tu te concentres, tu laisses ton esprit se rappeler des détails du lieu vers lequel tu voudrais aller. Les reflets des meubles dans le miroir que tu aimerais emprunter. Et lorsque tu plonges dans le tien, tu ressors du bon côté. Ces jours-là tu les bénis. Ils sont si rares ! Pourtant même quand tu prends le risque de sortir d'un mauvais miroir, ce n'est pas si dramatique. Parfois même, il te suffit simplement d'attendre cinq petites minutes dans la chambre vide d'un inconnu et te voilà repartie !

Et il y a ces jours où tu empruntes la mauvaise sortie une fois. Puis deux. Puis treize. C'est la panique à bord, tu n'arrives plus à rien et tu passes encore et encore les mauvais miroirs. Si seulement tu pouvais te retrouver dans le désert ... Mais non ! C'est toujours dans les pays que tu te retrouves ! Le pire qu'il pourrait t'arriver, ce serait de tomber nez à nez avec un dirigeant ... Heureusement pour toi, ce n'est jamais arrivé. Sinon tu ne serais plus là pour essayer de rentrer chez toi.

Tu reprends ton souffle et tente une énième fois de passer un miroir pour te retrouver chez toi. Ca te fatigue au bout du compte et lorsque tu ressors de l'autre côté, tu loupes le cadran et te retrouve étalée de tout ton long devant le miroir. Gémissant de douleur et certainement de dépit, tu te redresses sur les coudes pour tomber nez à nez avec un ... pied. Deux jambes se trouvent devant ta mine inquiète d'avoir dérangé l'occupant des lieux. As-tu mentionné le fait que ledit occupant ne portait pas grand chose sur lui ? Décidément tu es devenue la meilleure pour atterrir chez les gens nus.

Réagissant au quart de tour, tu viens déposer ton visage dans tes mains pour ... te cacher ? Eviter de regarder le corps d'un homme ? A vrai dire, tu ne le sais pas toi-même. La seule chose dont tu es sûre, c'est que ton visage a carrément viré au rouge. C'est bien joli tout ça, mais du coup t'es quand même allongée par terre, m'enfin c'est pas ce qui te dérange le plus pour l'instant.

L’avantage d’être le patron de n’importe quel établissement, c’est d’avoir son bureau. Mais lorsqu’on est celui d’un cabaret on a parfois la chance de même avoir sa propre loge, ce qui est le cas d’Hee-Jun bien évidement.
Aujourd’hui, c’était la première d’une représentation exceptionnelle, celle où toute la troupe participerait même de manière succincte. La chorégraphie avait été longuement réfléchie puis travaillée en équipe, de même que les jeux de lumières, les illusions ainsi que la magie de manière plus générale. L’homme était très fier de ce qu’il allait présenter, non pas parce qu’il serait en dernière partie dans un final éclatant mais bien parce que ce qu’ils allaient présenter serait l’œuvre de l’intégralité de ce collectif et que chacun apporterait sa pierre. Un sourire accroché à ses lèvres abîmées il rit doucement. Même si la représentation décevait le public, la satisfaction serait optimale sur scène et c’était le plus important... pour cette occasion du moins.


Le jeune homme aux cheveux blancs se prépara avec soin, sorti de la douche, se sécha les cheveux et enfila un pantalon avant de s’apprêter à faire de même avec le reste de sa tenue. Mais avant de pouvoir attraper son t-shirt et de l’enfiler il entendit un bruit sourd derrière lui.
« Curieux », pensa-t-il, « je n’ai rien percuté ». Tandis qu’il tournait le buste pour observer ce qui avait chu dans son dos, il pu rapidement se rendre compte que ce n’était pas un objet mais une personne qui était sur le parquet de sa loge.
Il poussa un soupire de soulagement. Ouf rien de casser, c’est juste une femme dans mes quartiers... attendquoi ? Qu’est-ce qu’elle fout là cette rousse ?

Écarquillant ses yeux, stupéfait d’être ainsi surpris alors même qu’il sortait de la douche, Hee-Jun se demanda alors: « C’est une fan ? Nan une stalkeuse ?! Ah merde... je savais que j’aurais du prendre un garde du corps ! Merde j’espère qu’elle veut pas me buter »
La femme avait l’air rouge et totalement à la masse, ce qui ne confortait pas l’ancienne (et actuelle d’ailleurs) star dans sa crainte d’être victime d’une maniaque. Reculant petit à petit vers la porte, il dégluti difficilement en disant:

« Écoutez mademoiselle... je ne sais pas comment vous êtes parvenue jusqu’ici... mais on est pas obligé d’en arriver là... »

A l’aveugle, l’artiste chercha à attraper n’importe quoi qui pouvait lui servir d’armes.
Dans la panique il avait d’ailleurs oublié qu’il n’utilisait pas le don d’illusion comme à son habitude, c’est à dire pour améliorer son apparence. Il avait donc un air méconnaissable comparativement à aux affiches que l’on pouvait trouver dehors, peut être même perturbant pour une personne n’ayant jamais rencontré quelqu’un portant les séquelles d’une trop longue addiction.

En l'entendant paniquer, ta première réaction est de soupirer de soulagement. Il a plus peur de toi que tu as peur de lui ... non ? On dirait bien que oui, tu te redresses légèrement pour l'observer à travers tes mèches rousses et à le voir ainsi à chercher quelque chose et à reculer autant de toi c'est qu'il te pense plus dangereuse que tu ne l'es. Est ce que tu en profites ou tu lui fais comprendre que t'es pas plus dangereuse qu'un reflet ? Tu finis par t'asseoir à même le sol, visiblement mal à l'aise. Tu redresses tout de même la tête, lui envoyant un léger sourire pour l'apaiser.

« Je suis vraiment désolée je ... le chemin n'était visiblement pas le bon. »

Tu pointes, le doigt tendu vers le miroir derrière toi, une expression désolée vissée sur le visage. Tes yeux scrutent les siens alors que quelque chose semble te déranger. Et puis la lumière se fait dans ta tête. Son visage est abîmé, portant quelques séquelles antérieures. Et comme tout ce qui n'est pas parfait, ça te rebute au premier abord sans pour autant le montrer à l'extérieur. Ton visage a si bien appris à mentir qu'il le fait sans y penser à présent. Petite poupée si bien huilée, tu te frottes tout de même le bras comme si tu avais soudainement froid. Ou est-ce la gêne de ne savoir que dire à présent, alors que la situation devient de plus en plus gênante suivant le silence qui s'éternise ?

« En fait je peux pas repartir par là tout de suite ... J'ai besoin de me reposer, je ne compte plus les échecs aujourd'hui. »

Un léger rire passe tes lèvres, un rire qui meurt dans ta gorge et qui vient souligner le ridicule de la situation. Et toi tu ne peux détacher tes yeux des siens, de peur de loucher sur son visage. Il va vraiment finir par te croire folle, ou pire qui sait ? Y a-t-il du monde derrière cette porte, prêts à te jeter en prison à la première occasion ? D'ailleurs où est ce que tu peux bien te trouver à présent ? Sûrement pas au désert en tout cas.

Apres quelques secondes à expliquer sa situation, la rouquine sembla tout de suite un peu moins dangereuse à Hee-Jun qui n’avait pas pour autant totalement baissé sa garde. Après tout cela pouvait être une tentative de le mettre en confiance pour mieux l’attaquer en traitre. Il plissa yeux afin d’observer l’intrus: une chevelure de feu étonnamment longue posée sur un visage fin, de petits yeux brillants à l’air apeuré et une attitude plus que réservée...
Le coréen pensa que si elle disait vrai c’était en effet un peu perturbant de se retrouver face à un inconnu... surtout à moitié nu. Et encore elle avait eu de la chance de ne pas arrivé dix secondes plus tôt, cela aurait été bien plus gênant pour eux deux.
Quoi qu’il en soit le jeune homme chercha à reprendre un peu de contenance. Après tout il lui suffirait de franchir une porte à située quelques mètres à peine de lui pour s’échapper, ou d’utiliser ses dons pour la perturber assez longtemps pour avoir une opportunité. Dans l’immédiat, mieux valait ne pas trop montrer sa faiblesse. Passant sa main dans ses cheveux puis sur sa nuque, l’homme se détendit quelque peu avant de  s’exprimer:

« Donc vous vous êtes trompée de miroir... j’imagine que la surprise est partagé... »

Il lui tendit la main pour l’aider à se relever, toujours légèrement sur ses gardes afin d’être prêt à réagir si nécessaire. La rouquine ne le lâchait pas du regard et il fit de même. Il cherchait la véracité de ses paroles à travers les deux émeraudes posés au dessus de ses joues, lui qui était si expressif à travers ces dernières. Il surenchérit d’ailleurs avec un sourire et en disant:

« Mais où sont mes manières, je manque à tous mes devoirs ! Hee-Jun Kim, responsable du Nouveau Monde. »

En prononçant ses mots, la fierté reprit le dessus sur l’appréhension de l’homme aux cheveux blanc. Une fierté qu’il ne portait pas sur lui à proprement parler, mais qui lui donnait une certaine assurance, une prestance. Il était donc là, tout sourire, torse nu et plus assuré aussi bien par sa voix que ses actes.

Finalement personne ne défonce la porte pour te jeter en prison et mieux encore, l'homme que tu viens de surprendre te tend une main pour t'aider à te relever. Tu la prends donc et te redresse sur tes deux jambes. Soupirant de soulagement mais ne le lâchant toujours pas du regard, tu lui offres un sourire plus avenant.

« Merci. Kiana, je suis enchantée de vous rencontrer Hee-Jun. »

Tes bonnes manières reprennent le dessus, comme si tu n'avais jamais quitté l'ancien monde. Et la façon de faire du jeune homme n'aident en rien. Tu as l'impression d'avoir été mise en relation avec un des collègues de travail de ton père.

Tu te secoues, de peur de replonger dans un monde que tu ne voulais plus apercevoir. Et pourtant tu y retournes dès que tu le peux. A croire que tu ne sais pas vraiment ce que tu veux.

« Le Nouveau Monde ...? »

Cette phrase résonne étrangement dans ta tête. Le responsable d'lAlthéa ? Tu ne savais même pas que c'était possible. Comment peut-il y avoir un responsable alors que les quatre pays n'arrivent pas à s’entendre ? Ou alors il se fiche de toi ? Tes yeux lâchent enfin les siens pour observer ton nouvel environnement. La pièce te semble si familière pourtant tu n'es jamais venue ici. Peut-être est-ce la faute à tout ces accessoires rangés un peu partout autour de toi. Ta main vient traîner sur un costume qui n'a rien à voir ave ce que vous pouvez tisser à l'atelier. Le désert manque cruellement de tout. Heureusement pour toi, ton don te permet de voyager aux quatre coins d'Althéa. Même si tu ne vas presque jamais là où tu veux c'est déjà ça. Tu peux ramener quelques petites choses avec toi, comme de la nourriture lorsque tu en manques. Voler ? Non, tu empruntes les autres, ce n'est pas tout à fait pareil.

La demoiselle s’appelait donc Kiana… Un beau nom s’il en est.
Les présentations maintenant effectuées la jeune femme n’était plus sûr la défensive, comme le montrait ce qui fut certainement un soupir de soulagement. Un nouveau sourire laissa également à Hee-Jun le sentiment qu’il avait eu la bonne impression et qu’elle paniquait moins. Comme quoi il suffisait de prendre un peu sûr soi afin d’éviter tout incident. Car oui si vous lui demandez : tout était sous contrôle et il n’avait pas du tout craint pour sa vie… bien que nous sachions tous que cela est faux.
Si le coréen ne fut pas blessé par la répétition du nom de son établissement, c’était car il était persuadé de sa renommée, ainsi il prit la réaction de la rouquine pour une sorte de fascination dissimulée. Après tout, c’’était un lieu assez inédit dans Althea… Bon sans doute moins inédit que l’intégralité des vestiges et endroits chargés de magie de la Vallée des Constellations ou bien même ce que le sable déterrait parfois du Désert cachant les Oubliés… mais ce n’était pas un énième bar où l’on pouvait se soûler et brailler comme des sagouins. C’était un établissement prestigieux ; bien qu’abordable. Il continua donc :

« Bien sûr et pour tout vous dire je ne me contente pas d'en avoir la charge. Je participe moi-même aux réjouissances que j’orchestre. Le costume que vous touchez en ce moment va même me servir ce soir... Un grand moment en perspective. »

Tout sourire, il ne se rendit bien évidement pas compte qu’il y avait méprise. D’un point de vue extérieur et sans contexte, il venait dans le plus grand des calmes et avec un large sourire, d’énoncer qu’il dirigeait tout Althea dans l’ombre et se mêlait parfois aux « simples citoyens ». Ah, et qu’il avait un grand coup ce soir… et bien évidemment un homme « aussi haut placé » ne laisserait jamais de témoins s’échapper de là où ils se trouvaient.
Hee-Jun finit cependant par lâcher la main de la jeune avant de lui dire, un brin gêner :

« Je vais peut-être finir de m’habiller... La représentation ne devrait plus tarder et les autres vont se demander ce qu’il se passe si je ne suis pas sûr scène à l’heure prévue… Oh, j’y pense. Puisque vous ne pouvez pas repasser par le miroir pour le moment. Ça vous dirait une place aux premières loges ? »

Il avait toujours les meilleures intentions. Bien accueillir les personnes se rendant Au Nouveau Monde (bien qu’involontairement dans le cas présent) était l’une des premières règles qu’il devait suivre après tout.
Seulement il risquait de courir à la catastrophe. Bien qu’il eût ajouté dans sa seconde intervention quelques mots du champ lexical du théâtre, la situation était redevenue floue et il faudrait sans doute éclaircir tout ça sous peine de voir quelqu’un fuir l’établissement en criant à l’aide… ce qui lui ferait une sacré mauvaise publicité.

Déjà bien silencieuse en temps normal, tu ne dis plus un mot. La bouche à demi ouverte tu l'écoutes confirmer ce que tu ne pensais pas possible. Les oubliés sont tellement loin des autres qu'ils ne sont pas au courant d'une chose si importante ? Personne n'a eu la décence de vous en parler ! Mais à quoi tout ces gens jouent-ils ? Surtout que par tes voyages tu n'as jamais entendu qu'il y avait eu un renversement des dirigeants ! Toi qui les pensait montés les uns contre les autres, les voilà réunis sous la même bannière ! Impensable.

Etant dans la même pièce que cette éminente personne, tu décides ne plus toucher les objets qui t'entourent pour éviter de faire une gaffe. De toute manière tu as appris à te tenir tranquille, ce n'est pas le plus compliqué. Ramenant les bras dans ton dos pour éviter de toucher autre chose, tu te tournes de nouveau vers lui. Heureusement que tu as évité de le mettre en colère ! Ô malheureuse si tu savais.

« Oh, oui oui bien sûr, je ne vous ai même pas laissé finir de vous habiller. »

Et puis tu as un arrêt. Hésitante tu perds un peu de ton sourire. Tu as peur de passer pour une imbécile et puis tu n'es pas certaine que ce responsable aime les oubliés. Et seuls ceux-ci ne doivent pas être au courant certainement. Et pourtant ... sur scène ? Aux premières loges ? Soit tu as loupé un morceau de la conversation, soit tu n'as rien compris du tout.

« Puis-je vous poser une question ? Ca va certainement vous paraître bête mais ... Pourquoi un homme qui dirige le Nouveau Monde doit-il monter sur scène ? »

Avant d'accepter ou de décliner son invitation tu préfères être certaine d'une chose. Et puis avec cet air dubitatif, tu n'iras pas très loin. D'ailleurs, tu n'es plus autant focalisée sur son visage. Tu as fini par t'y habituer un peu. Même si, lorsque tes yeux passent par inadvertance sur les zones abîmées, tes doigts se serrent par automatisme dans ton dos. Tu aurais presque envie de gommer ses traits pour lui en faire d'autres. Frotter tes doigts sur ces points pour les faire disparaître. Mais pour le moment tu es focalisée sur autre chose, tu te maudira plus tard de ne pas supporter les choses imparfaites.

L’artiste n’avait pas attendu qu’elle l’y autorise pour attraper sa chemise ainsi que la veste qu’il porterait par-dessus. Assez large pour être à l’aise à l’intérieur en dansant mais suffisamment près du corps pour ne pas avoir le fameux effet voile de bateau, la veste qui surplomberait l’habit blanc serait elle, rouge et noire. Il porterait également une cravate, elle aussi noire, qu’Hee-Jun noua en double windsor en quelques secondes à peine.
Puis vint la question fatidique. Pourquoi lui, le patron du cabaret passait-il sur scène. Une question qui n’était pas dénuée de sens, après tout une inconnue ne pouvait pas se mettre à sa place sans connaitre son histoire… mais il n’avait pas de temps à perdre en longues palabres. Il lui raconterait sans doute ce qu’il fallait savoir sur lui et sur l’établissement une fois la première partie du show terminée mais il ne disposait pas de ces précieuses minutes pour le moment. Il tacha cependant de lui apporter une réponse claire, avec un brin de poésie bien sûr :

« Je ne peux plus me venter d’être le plus habile en danse ou en chant de la troupe, c’est évident. Cependant même la plus étincelante des étoiles sembles ternes seule. A l’image de ce pays, c’est une constellation qu’il est agréable d’observer… et puisque j’ai réuni toutes ces étoiles, pourquoi ne pas me mêler à elles de temps à autres ? »

Vérifiant son ensemble dans le miroir afin qu’aucun détail ne soit oublié, l’homme réalisa que le plus important des accessoires n’était pas en place : son visage.
Expirant d’effroi en réalisant qu’il avait laissé sa disgrâce transparaitre devant la rouquine, il s’empressa d’utiliser son pouvoir afin de retrouver ce qu’il avait perdu quelques années auparavant. Le visage plus ferme, les lèvres lisses et vierges de toute morsure compulsives, les yeux moins creusés et le teint plus chaleureux, l’homme pu enfin se regarder sans honte… quand bien même cette dernière ne disparaitrait pas pour autant de s’être laissé observé dans cet état par une inconnue sortie de son miroir.

« Je n’avais pas réalisé que j’avais perdu… enfin… hum… »

Le garçon aux cheveux blancs tenta de changer de sujet afin de changer ses idées plutôt que celles de Kiana. Souriant à nouveau, presque de manière forcée il enchaina immédiatement :

« Donc oui. Avant d’être directeur de cabaret je reste un artiste et j’apprécie la compagnie de ceux qui m’ont rejoint…  Autant que le feu des projecteurs d’ailleurs, haha. »

Il ferma les yeux avec ce rire. Comme pour échapper à sa bourde et pour l’oublier. Décidément cette soirée ne se passait pas comme prévue et cela avait le don de le perturber. Ah. Le Don…

La lumière se fait enfin dans ta petite tête. Tu aimerais rire de ta bêtise et de la scène impossible que tu t'es faite dans ta tête, mais tu lui offres le même sourire poli que la première fois. Tu ne vas quand même pas te rendre ridicule devant cet homme qui dirige donc un cabaret. Il te paraît plutôt gentil mais hors de question de te rendre ridicule. D'ailleurs son visage à présent est parfait. Tu pensais que tu aurais plus de facilité pour le regarder mais au contraire ça te chamboule bien plus que ça aurait dû. Son visage arbore maintenant des traits presque parfaits ! Passer de ce visage repoussant à ça ... pour sûr, tu ne t'y attendais pas. Mais tu restes courtoise et applaudit des mains pour lui signifier ton empressement. Tu n'as jamais été très éprise du théâtre mais bon ... Pourquoi pas une petite distraction ? Et puis ça sera gratuit pour toi non ? C'est bien ce qu'il vient de te proposer ? Autant profiter de cette petite pause pour faire le plein d'énergie. Ensuite tu te plongeras dans son miroir et tu pourras retourner chez toi. Facile !

« Oh je vois ! Eh bien cher Hee-Jun, je serais ravie de voir votre prestation. Si vous voulez bien me montrer par où je peux sortir pour trouver un siège, je vais vous laisser vous préparer ? Je ne veux pas être dans vos jambes pour vous gêner avant votre spectacle. »

Tu es devenue bien trop formelle, et pourtant un long frisson te parcourt. Ca te rappelle trop bien ta vie d'avant la chute. Les repas auxquels tu étais invitée, les discours polis et plein d'enthousiasmes que tu livrais aux autres ... Pourquoi tu détestais tout ça déjà ? Alors que maintenant tu fais tout pour singer ton toi d'avant ! Tu serres les dents sans te départir de ton sourire pour ne pas alerter ton hôte. Pour qui tu te prends tout à coup ? Tu n'es que Kiana, tisseuse du désert. Tes vêtements ne valent pas ceux des autres pays qui ont le droit à la technologie. Et pourtant tu pourrais presque te prendre pour quelqu'un d'important.

Tu te tournes vers la seule porte disponible et l'ouvre en regardant de tous les côtés. Puis tu jettes un coup d’œil derrière toi pour attendre ses instructions. Plus vite tu seras descendue sur terre, mieux ce sera.

Il avait retrouvé son calme, sa contenance, son naturel même. Oh pour sûr il n’était pas serein, plutôt honteux pour tout avouer mais il faisait très bien illusion. C’était son métier de jouer un rôle après tout. Est-ce pour cela qu’il décelait un brin de mal-être dans la voix et l’attitude de la demoiselle ?
Peut-être était-ce simplement son esprit qui lui jouait des tours. Une paranoïa due à sa propre gêne d’être à jamais marqué par ses erreurs passées, même des années sans n’avoir rien consommé.

Il ne lui reste plus que quelques ajustements à faire. Des vérifications autour de la scène et une annonce au public à travers les hauts parleurs avant de lancer le spectacle, rien qui ne prendrait bien longtemps mais la volonté de Kiana à lui laisser un peu d’espace était bienvenue, sans doute pour elle aussi.

« Je vous remercie Kiana, d’ailleurs vous pouvez m’appeler Jun. C’est plus simple et l’on s’embarrasse d’une manière de moins… ça peut-être assommant parfois. »

Un petit sourire en coin s’ajouta au coin de ses lèvres. Sans même savoir la réciprocité de la demoiselle ou même le lui signifier plus en détail, il trahissait son inconfort avec toutes ces fioritures de gestes et de paroles que l’on s’échangeait comme les banalités d’une lettre de motivation.

En dehors de la scène il évitait cette attitude, présentant simplement son établissement avec tout le respect nécessaire envers son art mais également ces employés et camarade. C’était une fierté à la limite de l'orgueil et non une tentative de se montrer cultivé… ou je ne sais quoi.

« D’ailleurs, ne vous forcez pas à rester si vous êtes attendu quelque part ou que vous ne souhaitez pas regarder la représentation. Je ne vous en voudrais pas le moins du monde. »

Son ton avait presque changé, comme si imperceptiblement et sans le réaliser il avait compris l’aversion de la jeune femme pour les mondanités. Il chercha ses mots pendant une poignée de seconde avant de se raviser et d’ajouter.

« Les premières loges ne sont pas occupées de la soirée, vous serez au calme… Première à droite, puis à gauche une fois l’escalier descendu. Si vous souhaitez sortir je vous raccompagne ; les costumiers pourraient vous prendre pour quelqu’un de la troupe et vous faire enfiler une robe avant de vous envoyer sur scène… vous n’avez sans doute pas envie de vivre le scénario très original d’un tas de films américain. »

Une pointe d’humour pour détendre l’atmosphère et un second sourire, au combien sincère. Le genre de sourire qui sert de modèle à tout ceux qu’il pouvait feindre. Le genre de sourire impossible à vraiment imiter.