Ça faisait un moment qu’il n’avait pas revêtis son usuel complet, signe qu’il n’était plus un fonctionnaire de l’état. Et pourtant, c’est un Pavel bien habillé qui franchie les portes du petit café décontracté du boulevard. Jetant un coup d’œil à sa montre, il lui sembla être arrivé en avance et avant qu’il ne puisse s’adresser à un serveur pour sécuriser une table ou encore s’occuper de son holokit qui venait de sonner, il se fit accoster. La rudesse le surprit, mais il n’en fit pas cas ; étant habitué aux multiples protocoles et  formules de politesse (l’hypocrisie) du milieu gouvernemental, il se dit que les entreprises plus familiale ne devaient pas se préoccuper de tout ce flafla.

« Euh… oui ? » vient la réponse qui se veut un minimum assuré. Ce n’était pas tant une invitation, mais plus un dîner d’affaire pour sécuriser un partenariat, mais si c’est comme ça qu’elle le qualifiait, qui était-il pour la contredire. D’autant plus, Pavel se dit que de rester dans ses bonnes grâces l’aiderait sûrement à scorer des points. L’ex-fonctionnaire jeta un regard circulaire et cibla une petite table juxtaposée d’une fenêtre donnant sur la rue passante. Disponible, il l’indiqua poliment à son invitée avant de s’y diriger à son tour.

Il s’assied, glissant expressément ses mains moites sous la table pour les essuyer le plus discrètement possible contre son pantalon. C’est qu’elle avait l’air intimidante, menaçante même. Il était toutefois heureux qu’elle ait sauté les formalités.

C’est alors que le silence s’installe qu’un serveur vient le tirer d’affaire, s’adressant d’abord à la dame, puis à lui.

« Bienvenu, comment allez-vous ? » Il glisse les menus devant eux. « Quelque chose à boire ? »

Ce à quoi Pavel répond : « Un café… noir, » avant de jeter un regard en direction de sa compagne du jour. Le serveur finit par prendre congé et, c’est drôle à dire, mais Pavel a l’impression qu’il était dix fois plus à l’aise lorsqu’il était présent. Au moins, il a le menu qui lui sert de barricade.

« Je… Merci d’être venue… d’avoir pris le temps. » Puis, il continue de lui servir des platitudes. « La route n’a pas été trop longue, j’espère ? »

Pavel sourit nerveusement; bien sûr, il s’était attendu à ce que la rencontre soit austère (y’avait de l’argent en jeu, après tout), mais il n’avait point anticipé à ce qu’un froid sibérien l’accompagne. Il ne fait qu’hoche la tête à la réponse sans développement, hésitant presque à poquer davantage, histoire de délayer de quelques secondes le principal sujet de leur rencontre. C’est un ‘ah bon’ sceptique qui manqua s’échapper d’entre ses lèvres lorsque son invitée lui mentionna qu’il lui avait dit qu’il ‘lui révèlerait tout’. Un miracle : il se retint, tentant de ne pas la contredire sur ce qu’il jugeait être une drôle de formulation.

« …tout, huh ? … » et il gratta l’arrière de la tête. « Tout, c’est… c’est un peu prématuré pour une première rencontre non ? Je doute qu’on ait le temps de… » D’éplucher les documents et d’y présenter une prévision budgétaire. Il n’eut le temps de finir : interrompu par le serveur venant leur apporter thé et café.

« Enfin, je crois qu’il serait mieux qu’on prenne notre temps » finit-il par dire,  s’adressant à elle, ayant terminé de donner de sa commande et attendant qu’elle fasse de même. « Apprendre à mieux se connaître avant de faire le saut. » Oui, parce que mine de rien, il n’allait pas chercher un partenariat avec une compagnie aux valeurs douteuses. «  Qu’elle est votre expérience dans le domaine? »

« Oui, oui, et je suis tout à fait d’accord avec vous, » dit-il rapidement, nerveusement en agitant les mains comme pour se racheter d’avoir dit une bêtise aux yeux de son interlocutrice. « C’est juste que… dans ce contexte-ci, je pense qu’y aller de façon hâtive… c’est… nécessairement mauvais, mais pas exactement… » Il espérait que son invitée comprenne où il voulait en venir malgré son baragouinage. Pavel noie l’hésitation dans une nouvelle gorgé de café et en profite pour regarder le paysage à travers la fenêtre, histoire de ne pas avoir à affronter –au moins pour quelques secondes, les yeux qui l’intimident tant.

«  Pas beaucoup de temps ? » répète-t-il un peu confus, avant de réaliser que cette dame devait faire partie de ceux vivant pour le motto : ‘le temps c’est de l’argent’. Sa confusion s’approfondie d’un niveau à la mention de son nom. À son souvenir, Linn, ce n’était pas le nom de la personne avec qui il avait pris rendez-vous, mais il fit taire son anxiété, tentant de trouver justification. Après tout, le texto reçu tout à l’heure pouvait très bien mentionner le changement de contact. Il eut envie de vérifier, mais s’interrompue dans son mouvement. Encore une fois, il n’était pas certain de comprendre le sens de sa question. « Je ne crois pas non ? J’imagine qu’avec le temps et à force de collaborer, un lien de confiance va se créer. »

Soit ça, soit il était très naïf. Mais de toute façon, Pavel était prêt à cette éventualité, car après tout, n’était-ce pas là le risque de se lancer en affaire ?

«  QUOI ? » qu’il cri un peu trop fort, manquant réserver sa tasse de café. « Oups, pardon- j’aurais pensé que vous seriez plus expérimentée… » Pavel rit nerveusement, une triste tentative d’enfouir sous le tapis ce petit manque de classe. « À vrai dire, moi non plus je n’ai pas beaucoup d’expérience… donc pour être honnête, je pensais apprendre un truc où deux, mais… » Et non l’inverse.

Ils se font brièvement interrompre par le serveur qui s’enquit de leur commande et repart aussitôt.

« Dans ce cas-là, je pense qu’avant de se lancer, c’est important de dresser un tableau de ce que vous cherchez…  avoir des objectifs clairs. » Elle lui fait un peu moins peur. « Par exemple, ce que je cherche c’est… une bonne base, des fondations solides… la tranquillité, mais aussi de la flexibilité. »  

Il ne sait pas comment, mais Pavel parvient quand même à trouver du réconfort dans le fait que lors de son renversement, la table ait épargné son pantalon. C’était là sa première préoccupation avant de se rencontre compte que les choses  avaient ‘escalated’ vraiment très très ‘quickly’. Ce qu’elle dit : du charabia. Il y a une déconnection autant dans ses paroles que dans le cerveau de l’ex-fonctionnaire qui tente de rabouter les fils, mais sans succès. C’est aussi qu’il se sent comme une souris, piégé entre les griffes acérées d’un chat, d’une tigresse plutôt et ça le rend nerveux. Il n’a pas besoin de prendre sa pression pour se rendre compte que celle-ci est en train de monter en flèche.

Mais c’est la vérité : il n’a pas beaucoup d’expérience, enfin si on ne prend pas en compte les cours de marketing 101 qu’on peut bien trouver sur l’équivalent youtube d’Althhea. Et ça, elle le savait déjà non ? Il avait passé de chien de l’état à jeune entrepreneur, pouvait-elle lui laisser une chance ? Sa pogne sur son col lui confirmait que non.

« Je… je pense qu’il y a quiproquo, » finit-il par couiner comme la souris qu’il était. Il y a un contact visuel et elle peut constater dans son regard (et tant qu’à faire, dans le tremblement dans sa voix, dans sa posture inconfortable et dans les dix milles autres signaux qu’il envoyait), il y a la crainte d’être frappé.  Pavel ne cherche jamais vraiment les ennuies, c’est les ennuies qui le trouvent. « Ca-calmons-nous, je suis certain qu’on peut arriver à s’entendre…  » Et le voilà, le rire nerveux indiquant que oui, il était totalement calme et non au bord de la crise de panique. «  À voir l’intérêt que vous portez envers, euh… mes ‘foutus’ tableaux… j’en suis venu à la conclusion que peut-être… juste peut-être vous n’êtes pas Madame Lyn, fournisseuses de semences… ? »

…

«  Ha ha… »

Et il se demande pourquoi parmi tous ces spectateurs, personne n’a envie de désamorcer la situation. Il était worldvlog, dammit, pourquoi personne ne voulait sauver leur héro ? Ah si, l’aura psychopathe de la dame en face de lui semble être un bon indicateur.

Pavel, qui entend les cloches de la fin retentir, se demande si Rachel va le pleurer. Il se demande aussi à quoi ressembleront ses funérailles et qui y assistera. Et s’il y a une certitude à avoir, c’est qu’il ne veut pas y voir son ancien directeur. Ça l’avait toujours fait tiquer : l’eulogie post-mortem de ceux qui n’en avaient rien à foutre, lorsqu’encore en vie. Avant l’impacte imminent, il ferme les yeux et un dernier regret lui vient (car ça serait pas vraiment Pavel s’il ne regrettait pas jusqu’au bout) : j’aurai du passer chez le notaire…

Mais, il est trop tard.
Sauf que le coup qu’il s’attend recevoir ne vient pas, plutôt remplacé par la poigne sur sa chemise qui se fait plus lousse. Les yeux s’ouvrent, plissent sous l’intensité des néons, il voit flou. « Je-je vis… ? » Un souple interrompu par le serveur tout aussi terrifié. Pavel ne trouve pas la force d’y en vouloir, lui-même incertain de ce qu’il aurait fait, si les places s’étaient inversées.

« No-no-no… non, ce n’était pas mon intention, » qu’il rétorque aussitôt, agitant les mains pensant peut-être que ça l’aiderait à plaider sa cause. « Parce que si j’avais su… » Et il s’arrête, retenant les mots qui dépassent sa pensée, pouvant être interprétés comme une nouvelle s’sentence. Parce que bon, s’il avait su qu’elle était comme ça, il lui aurait posé un lapin. « Désolé, vraiment désolé pour la perte de temps… » Il ramasse vite-fait ses documents. « Je vais tâcher de m’effacer de votre vu, hahaha… » Et il part vers la porte plus rapidement que prévu, espérant qu’elle ne le rattrape pas.