C'est que la mort a de ces mystères qu'Onyx (il en était persuadé), avait toujours été le seul à vouloir découvrir. Il soufflait embaumeur, du bout de ses lèvres, et l'on ouvrait grand les yeux, l'on observait le profil pourtant charmant d'un homme malade. Mais ils ne comprenaient pas, non, qu'en côtoyant ainsi sa douce amie, il espérait simplement lui échapper plus aisément. Il n'avait pas compris en quoi quelques cadavres pouvaient bien importer, sinon à ces familles en deuil qui rêvent d'un dernier sourire. Mais la science avait d'important ce que les autres ne voyaient guère. Et il comprenait, maintenant, en marchant dans quelques couloirs, en réfléchissant aux arguments.

Il n'avait pas hésité à accepter cette offre. On lui avait demandé quelques corps de personnes ayant été touchées par la transcendance pour les analyser, il n'avait su dire non, avait trop vu de ces cadavres là pour nier une quelconque possible avancée. Si certains scientifiques étaient capables de trouver des raisonnements dans la mort, il offrirait ces jolis anges, il leur refuserait avec regret les portails des cieux pour les piéger sur terre (la faucheuse était mécontente, lui tournait autour, mais il lui tournait le dos, cette fois, pensait à Celestin).

« Désolé de vous importuner ainsi, j'espère ne pas trop déranger. »

C'est qu'il ne sait trop comment parler à Gabriel, Onyx, a laissé sa curiosité guider ses pas, mais, comme convenu, il en avait tout droit. Peut-être que rien n'avait avancé (du tout), peut-être verrait-il des corps martyrisés (et non dans ces belles robes blanches, bleues, indigos), peut-être irait-il regretter. Mais il n'en avait pas le droit, non, préférait demander quels espoirs ils pouvaient avoir vis-à-vis de cette maladie.

« J'espère que mes donations vous ont été un minimum utiles. »

Il sait, Onyx, que c'est faux. Il sait que les scientifiques ont de ces concentrations qu'il ne peut atteindre, de ces expériences qu'il faut mener à bien et à bout. Mais il sourit, parce que, malgré tout ça, sent que Gabriel ne ment pas sur le plaisir de le voir. C'est que leur marché fonctionne bien pour eux deux, c'est que les secrets sont bien gardés tant que l'on tient bien sa langue (dans sa poche). Le regard du jeune homme glisse sur toute la pièce, sur chaque détail, car il est curieux de savoir comment l'on créer ce savoir.

« Le plaisir est partagé, évidemment. »

Et il écoute les informations que l'on veut bien lui donner, il a l'oreille attentive il a l'attention captée sur cette forme drapée. Lorsqu'il lui dit qu'ils ont peut-être de quoi ralentir un peu la propagation, il acquiesce un peu, retourne le visage vers l'homme avec un air satisfait.

« Je n'attendais aucun miracle aussi rapidement, ne vous inquiétez pas. Je suis déjà bien heureux que ma contribution vous permette au moins d'avancer un peu, à petits pas. »

Il pointe le cadavre drapé d'un doigt, avant de lui demander, presque avec une curiosité enfantine, comme s'il parlait, non d'un homme mort, mais d'une simple poupée :

« Vous étiez en pleine recherche? Je suis toujours un peu émerveillé de savoir que vous travaillez presque seul, je dois avouer être admiratif. »

Un vaccin. Ces mots donnent un peu d'espoir, là où il y n'y en quasiment pas. Peut-être découvriraient-ils une solution à cette maladie, à cet enfer, à ces monstres sortis d'ailleurs pour les engouffrer dans la mort. Onyx se demande, oui, si la mort lui en veut, à lui aussi, pour lui avoir volé ainsi Celestin. Mais elle lui a offert cette vie ici, peut-être souhaitait-elle un sacrifice pour un autre bien. Alors il acquiesce, prie pour les scientifiques et leur gloire.

« Bien sûr, je comprends. »

Car lui non plus, n'accueille pas ses invités avec le sang sur les mains. Il les essuie, quand il prend les corps entre ses bras et pardonnes quelques excuses, bien bas. Mais ce n'est le moment de regretter les corps entassés, non, voit plutôt le progrès d'un nouvel œil. Il semble presque entendre les sous-entendus dans les paroles de Gabriel. Oh, oui, travailler sur des cadavres de ces pauvres gens, ça peut faire peur. Et s'il avait été scientifiques, lui, il n'aurait hésité à proposer son aide à cet homme, s'il le souhaitait. Mais il fallait se contenter d'observer, de loin, le vague.

« C'est vrai que le résultat est important. »

Quiconque aurait pu contredire Gabriel, mais pas Onyx. Car après tout, il se demande s'il ne faudrait pas quelques autres cadavres pour venir en aide à l'humanité. Peut-être était-ce le mieux (peut-être le pire), mais il fallait des héros de l'ombre et des immoralités pour comprendre les malheurs de l'univers.

« Peut-être méritez-vous cependant une pause, après tout. Il faut aérer les cerveaux pour mieux repartir. »

Offre un beau sourire, c'est pour repartir du bon pied, il en est persuadé. Alors ils pourront discuter plus légèrement de cette rancœur lourde qu'ils ont pour ces monstres d'ailleurs.

« Si vous aimez les sucré, j'ai apporté quelques pâtisserie faites maison pour vous combler. Nous pouvons bien prendre un thé, n'est-ce pas? »

Cela sous-entend forcément qu'il fera son curieux, mais Onyx est si courtois que l'on ne peut lui refuser ses demandes étranges.

Oh c'est qu'un thé est toujours le bienvenu, à la moindre pause, c'est sûr. Il s'installe au bureau comme on lui demande, sort une jolie boîte remplie de gâteaux faits maison. Au chocolat, quelques sablés (oui, il en a certainement trop fait et s'est dit qu'il fallait partager). Onyx, en bon amateur de thé (seconde dans le top trois du chocolat chaud/ thé/ café) sourit un peu, soudainement curieux de ce que cela peut bien dire du goût de sa prochaine boisson.

« Vraiment? Eh bien, je ne fais que supposer, mais ça vaut bien un ou deux cadavres clandestins. »

Il a peut-être le sens de l'humour un peu douteux, Onyx (oups), mais sourit de toutes ses dents à son compagnon, collègue, appelez le comme vous voulez. Il accepte la tasse d'un mouvement de tête, le remercie du bout des lèvres et décide de ne pas tourner autour du pot. Après tout, il n'est pas cachotier.

« Pour tout vous dire, quelques informations que vous m'avez déjà donné. Et peut-être aussi vous informer de quelques détails que je n'ai pas mentionné, pour éviter les soupçons. Il serait logique que je ne vous fournisse qu'une fois par mois ou tous les deux mois en fonction du stock, si vous êtes d'accord. Je ne peux pas tous vous les donner, c'est que les morts ne pardonnent pas. »

Ce qui représente, déjà, une bonne donation. (Parlait-il de cadavres comme de marchandises? Peut-être se refusait-il d'avouer qu'il en donnait à la science sans consentement, sans beauté.)

Onyx tend l'oreille à la réponse plus sèche. Il entend bien, il comprend bien, aussi. Mais il n'est l'âme la plus charitable qui soit, même s'il le laisse entendre, parfois. C'est qu'il faut croire que derrière ses beaux sourires se cache aussi le calcul. Et Gabriel ne comprend pas cela, visiblement. Il tire la tasse vers lui, Onyx, il observe le liquide à demi transparent et hume la douce odeur, prend son temps. Avant de répondre.

« Oh, il a été assez clair. Mais comprenez bien que ce n'est pour vous ralentir, que je dis cela, non, bien au contraire. Si notre marché se fait entendre, non par notre brave Donovan, non, mais par les familles en pleurs que j'accueille, sur les dépouilles, par ces gens que je côtoie dans les pompes funèbres qui découvriraient la disparition funeste de quelques cadavres; si tout cela s'ébruite, que croyez-vous qu'il arriverait? »

Il relève enfin le regard, il regarde Gabriel de ses yeux clairs avec une honnêteté surprenante. Lui non plus, n'a plus les sourires aimables, et, pourtant, il ne paraît froid ou distant pour autant. Bien au contraire, le voilà qui s'exprime avec le miel dans la gorge, avec la douceur d'un être qui a bien réfléchi, oui.

« Si l'on m'a accordé cette tâche, tous ne sont pas en approbation, ni même au courant. Nous agissons dans le dos de tant de personnes, et la réponse à ma question ne fait aucun doute : on me renverrait. Voire pire. Et vous n'auriez plus de marché du tout. Croyez bien à ma sincérité, lorsque je vous parle d'amitié, car je ne veux faire de vous un ennemi, mais il le faudra si nous ne nous entendons pas. »