Au bord d'une rue du Palais des découvertes, Alvis massait les paumes de ses mains en évaluant l'étendu de sa guérison jusqu'à maintenant.

  "Je n'ai plus mal c'est déjà ça. Les baumes de Berry on eut aussi beaucoup d'effets, les cicatrices ne sont pas aussi laides que prévu, bien que quand même présentes…"

  Il enfila des gants de cuirs noirs et fins, un accessoire dont il ne se sépara pas avant un bon moment. Un comportement plutôt exagéré pour être honnête, les blessures n'avaient après tout pas autant enlaidis ses mains. Peut-être était-ce plus pour cacher les erreurs qu'il avait commis, la honte d'avoir failli perdre la vie bêtement et les remords d'avoir causé autant de soucis pour celle qui l'accompagnait aujourd'hui. Le freelance tourna la tête et gratifia sa dulcinée d'un sourire qu'il ne réservait que pour elle.

  -Tu vois ? Comme neuf ! Plus besoin de s'acharner dessus, le temps finira le travail, assura-t-il pour rassurer Berry.

  Il se pencha en avant et cacha derrière lui ses mains, cherchant à clore le débat une bonne fois pour toute.

  "Je vais bientôt pouvoir reprendre le boulot, Takeo a sûrement des tonnes de "commissions" de prévu depuis le temps. Espérons seulement qu'il ne m'envoie pas encore dans une caverne gelée au bout du monde."

  Alors… Qu'est-ce qu'on mange ce soir ? Oh oui, je voulais tenter quelque chose dans ce style, voyons voir…"

  Sortant une pièce de sa poche, il la lança et la rattrapa avec légèreté avant de dévoiler rapidement le résultat.

  Pile.

  -Très bien ce sera pot-au-feu ce soir, ça compensera le désastre du premier soir des vacances. Allons au marché pour commencer.

  En effet le frigo était vide, rien de plus normal après une semaine de vacance passé à l'étranger et même s'ils étaient fatigués après le trajet, il fallait bien manger. Le petit Gran aussi attendait sa pâtée, bien que le jeune homme suspectait Lin d'avoir été trop généreuse sur les friandises pendant leur absence. Ainsi ils s'engagèrent dans la partie plus "authentique" du Palais, le marché frais.

  Contrastant avec les vitrines criardes et les centres commerciaux gigantesques, ici les simples étales, en bois pour la plupart, transpirait l'honnêteté et la simplicité. Coloré et agité, on retrouvait dans cet endroit légumes, fruits et épices venant de tous horizons. Importés des grands champs de Caer Hrid, ou des potagers nocturnes de la Vallée, en passant par les cultures hydroponiques de Celestia, il y avait ici de tout, enfin presque. Le désert était absent, certes, et bien que cette région aride avait sûrement peu à proposer, il se pourrait que le commerce avec les réprouvés s'étende un peu plus dans les temps à venir…

  Alors qu'Alvis se penchait au-dessus d'un stand, celui qui gérait celui-ci plissa les yeux en voyant la jeune femme qui se tenait là. N'aimant pas du tout ces manières, le jeune homme le fusilla du regard, lui faisant comprendre que celle-ci était bel et bien accompagnée, mais le gérant s'obstina en interpellant ouvertement Berry.

Je scrute attentivement ses cicatrices encore un peu rouge, mais bien moins boursouflée et le souvenir de son retour de mission avec ses bandages couverts de sang me font froncer le nez. C'était vraiment une sensation horrible et je sais maintenant pourquoi c’était si terrible. J’étais déjà très attachée a lui, bien plus que je voulais bien m’avouer.

Alvis enfile ses gants. Ca lui donne un style...et puis je me suis habitué à leurs toucher quand on se donne la main en publique. Car OUI on se donne la main dans la rue comme un vrai couple et c’est grisant. J’ai un peu l’impression d’être une enfant qui apprend à aimer. On ne brûle pas les étapes, il n’y a pas de pression, on en est juste aux bisous... Et on s’en contente pour l’instant. Enfin moi ca me va même si j’ai du doubler mon utilisation de baume à lèvre!
La fin de nos vacances avait été très agréable et dieu merci, bien moins agitée que le premier jour. On a pu faire tout ce qu’on voulait et le retour a la Vallée fut sans aucun regret.

Son sourire est communicatif.

-Merci les classeurs de mamie Lin oui !

J’ai bien retenu ses petites recettes et je pense installer une étagère spéciale dans la boutique pour y présenter des baumes ou autre petites préparation médicinale. Rien de drastique, je n’ai pas la prétention d’être médecin, mais Alvis pourrait être un bon outil publicitaire !

J’entends sa pièce tinter en quittant ses doigts pour tourner dans les airs. Encore un choix au hasard ? Qu’importe le résultat me convient ! Un pot-au-feu ! Enfin !

-Elle n'était pas si désastreuse cette soirée. Elle a quand même particulièrement bien fini.

Je me pince les lèvres en repensant à ce baiser de cinéma sous la pluie alors que nous nous dirigeons sur le marché. Les étales me rappellent nos premiers pas en tant que fleuristes avec Lin .

J’ajuste sur ma hanche le grand panier en osier que j’avais pris pour nos courses en regardant les magnifiques étales colorées par la quantité de fruits et légumes qui les ornaient. Je fais confiance en Alvis, il est plus doué en cuisine qu’il le dit.
Je ne sens pas le regard insistant du commerçant.

-Berry ?

Je relève la tête pensant reconnaître un client, mais ce grand jeune homme aux cheveux blonds ébouriffé ne me dit rien. Je vais faire semblant de le reconnaître ça serra gênant sinon

-Bonjour !

Je dégaine mon meilleur sourire de commerçante.
Les yeux bruns de l’inconnu s’écarquillent et en trois grands pas, il se retrouve à côté de moi. Je n’ai pas le temps de m’écarter, il m’attrape par les épaules et je lance un regard de détresse à Alvis.

-L-lâchez moi s’il vous plaît !

Il fronce les sourcils.

Berry cita les classeurs que feu madame Lin avait laissé derrière elle. Cette pratique avait amusé Alvis, car celle-ci rappelait fortement la manière dont Zirkon créait ses documents qui portait sur une infinité de sujet. Il se rappela qu'ils s'étaient connus, dire qu'ils avaient été proche aurait été une exagération, mais peut-être avaient-il déjà échangé quelques connaissances à l'occasion ? Le freelance était d'autant plus curieux pour cette dame qui avait recueillis la jeune femme, et même si celle-ci semblait avoir réalisé son deuil, il avait peur de rouvrir des blessures un peu trop tôt. Après tout, il était bien placé pour savoir à quel point le passé pouvait être douloureux.

Elle fit aussi allusion à cette fameuse soirée qui avait été écourté par un incendie. Bien que désastreux, le tout s'était terminé sur une très bonne note. Depuis, ils étaient officiellement un couple, à la grande joie de Lin Amari qui avait bien évidemment vu cela à la seconde où ils étaient rentrés. La timidité de la fleuriste faisait craqué le freelance et l'incitait à la taquiner tendrement, de petits moments intimes qui se finissait en rire gêné ou en bisous esquimaux. Heureux de ce qu'ils vivaient, Alvis appréciait l'instant présent sans soucis.


De retour à notre énergumène sans gêne.

Il connaissait le nom de la jeune femme, alors peut-être était-ce tout simplement un ancien client ? Une chose qu'elle confirma en prenant son petit ton de vendeuse et en lui répondant. Les politesses ne semblèrent pas lui suffire et il agrippa la fleuriste par les épaules avec précipitation.

Soudainement furieux, le jeune homme n'eut pas besoin d'entendre la détresse de son amour pour intervenir. D'une de ses mains maintenant redevenu pleinement fonctionnel, Alvis saisit un bras du commerçant et le tordit douloureusement. Celui-ci recula d'instinct et se plia pour tenter d'atténuer la douleur, libérant ainsi la demoiselle de ses mains baladeuses. Histoire de bien faire passer le message de tout à l'heure, il maintint cette position quelques secondes supplémentaire, avant de le repousser en arrière sans ménagement.

Pour le jeune homme c'était la fin du rêve. Après un peu moins d'une semaine de bonheur, le voilà en train de violenter un inconnu pour lui apprendre les bonnes manières. Il était furieux, frustré et dépité que ce genre de chose puisse encore arriver ici-bas. Les bras croisés et le regard froid comme la glace, il cacha Berry derrière lui avec une épaule.

-Tu as intérêt à avoir une bonne excuse, lança Alvis au commerçant sur le ton évident de la menace.

Alvis vient à ma rescousse avec une violence maîtrisée. Mon « agresseur » est facilement éloigné de moi.

-Aïe aïe Aïe...

Il frotte son membre endolori et rabat ses cheveux blonds en arrière en faisant la grimace. Il toise mon compagnon de haut en bas et s’adresse directement à lui.

-On se connaît d’avant. On a été a l’école ensemble.

Ma mâchoire se décroche. Je n’espérais plus rien pourtant. Je m’étais faite a l’idée de ne jamais connaître mon passé et voilà qu’il me trouve sans que je cherche.
Je m’accroche au bras d’Alvis pour être sûr de ne pas vaciller.
Face à ma réaction inattendue , l’armoire blonde devant nous pointe un doigt sur son propre visage.

-Sam, Samuel. Tu ne te souviens pas ? Je sais que j’ai pas mal changé depuis la petite école, mais...

Je le coupe, la voix légèrement tremblotante.

-Je ne me souviens de rien.

-Comment ça ?

J’éclaircis ma voix. J’ai mille questions, mais je ne sais même pas par quoi commencer. Je ne suis même pas sur de comment je dois réagir.

-J’ai cogné ma tête en tombant il y a 5 ans, je me souviens de rien avant la catastrophe... Si nous étions amis, je suis vraiment désolée.

Samuel blêmit et il se frotte la nuque. Il réfléchit durant quelques secondes et soupire.

-On n'était pas vraiment amis non...

Je couvre ma bouche en écarquillant les yeux.

-On était ensemble !?

-NON ! Mon dieu, mais que ce qui te fait penser ça!? Non... C’est plus délicat. J’étais un vrai petit con à l’époque et...

Il hésite à parler, mais je pense savoir ou il veut en venir.

-On... Mon groupe d’amis et moi, on n'a pas été cool avec toi quand on était petits. À tel point qu’un jour, tu n’es plus jamais revenue à l’école.

Je n'imaginais pas que ma vie passée pouvait être aussi pathétique ahah... Mince... Tous les films que je me suis faits sont bien loin de la réalité en fait. Et je me tiens devant une personne qui me faisait la misère de je ne sait quelle façon quand j’étais petite.

-J’aimerais vraiment que tu m’excuses. À vrai dire je m’en suis beaucoup voulue de tout ca, je me suis rendue compte de ma bêtise tu sais.

Je lui réponds les yeux dans le vide.

-Vous pardonner d’un truc dont je ne me souviens pas ? Je connaissais même pas votre prénom y’a deux minutes.

Il rit nerveusement.

-Ce n'est pas faux... Je pourrais t’inviter à prendre un café un jour ? Rien de bizarre hein ! T’es devenue très mignonne, mais il me semble que tu as déjà trouvé ton chien de garde.

Il fait un clin d’œil à Alvis après m’avoir écrit ses coordonnées sur un bout de sac en papier.

-Je n’aime pas le café, mais j’ai quand même besoin d’en apprendre plus. À bientôt Samuel.

Je tire Alvis par le bras en m’enfonçant dans la foule qui commença à affluer dans l’allée du marché. Ma gorge est serrée.

-Ça fait cinq ans que j’attends ça... Et la première personne de mon passé que je rencontre me persécutait. Ce n'est pas vraiment ce que j’avais en tête.

Une bonne raison ? Non. Mais certainement une très bonne compensation. Il était devenu désespérer pour Berry de retrouver les fragments de son passé. Après tout, les circonstances de son amnésie et les nombreuses disparitions lors de la chute avait tout fait pour lui arracher son passé et effacer les moindres pistes potentielles. Du moins c'était le cas jusqu'à que Samuel se manifeste. Alvis réalisa ce que représentait une telle révélation et leva un sourcil tout en soutenant la jeune femme qui vacillait sous l'information.

-Vraiment ?! S'exclama-t-il sans trouver quoi ajouter d'intelligent.

Le freelance aurait pu oublier la transgression d'un peu plus tôt si ce n'était pour ce qui avait suivi.

"Du harcèlement… Je vais te surveiller de près toi…"

Malgré les excuses et cette histoire de rédemption que Sam aimait tenir, cela ne rassura en aucun cas Alvis et il fronça les sourcils face à la dernière remarque.

"Un chien hein ? Je ne suis pas du genre qui aboie je te préviens."

Secouée par autant de rebondissement, Berry tira le jeune homme dans la foule avant de confier sa déception. La mine sérieuse alors qu'il réfléchissait avec qu'elle manière il allait tirer les vers du nez de Samuel, Alvis serra d'un bras celle qu'il aimait et la rassura du mieux qu'il put :

-C'est vrai qu'on aurait pu rêver mieux, mais ça y est on a enfin une piste ! Peut-être qu'après notre "ami" Samuel il y aura de la famille ? Voir même un ex qui sait ? Hypothéqua-t-il en plaisantant.

Ils s'éloignaient de la foule pour donner un peu d'air à la jeune femme et cherchant peut-être un endroit où elle pourrait s'asseoir.

-Je sais que l'inconnu peut être terrifiant, reprit Alvis d'un ton plus doux, mais quoi qu'on découvre cela fait partie du passé. C'est toi, ici et maintenant qui compte, d'accord ?