-Pile je gagne, face tu perds. Enonça Alvis, incapable de cacher un sourire coupable.
-Hum …
-Un problème ?
-Je perds dans tous les cas non ?
-Ahah bien joué.
  Bien que la supercherie fut découverte, Alvis projeta quand même sa pièce d'une impulsion du pouce avant de la rattraper habilement. Il la garda dans son poing sans la dévoiler.
-Alors ? Demanda Maxime.
- Tu as gagné, allons à la crêperie.
-Tu ne voulais pas une glace ? Et le résultat ?
-J'ai changé d'avis, et puis c'était pile.
  Il tendit le dos de sa main gauche pour y déposer d'un sec la pièce.
  Pile.
-Faudra vraiment que tu m'expliques comment tu fais ça.
-Un jour peut-être.
  Il rangea sa pièce truqué dans sa poche et ils s'en allèrent pour la crêperie la plus proche.
- - -
  Alvis Renon était un élève sérieux, il aimait apprendre et cela se reflétait sur ses résultats scolaires. Bien qu’il n’avait pas encore de plan pour l’avenir, il se disait qu’il avait encore quelques années devant lui pour décider, alors cela ne le tracassait pas tant que ça. Le garçon aux cheveux d’argent, hérité de sa mère, n’avait que faire de concept comme la popularité, il ignora donc tous les groupes d’adolescent qui se formaient. Cette mentalité lui venait aussi de sa mère ; plus jeune encore, il avait eu de nombreuses discussions très sérieuses, voir même profondes, sur de nombreux concepts. Amitié, amour, vérité, mensonge, bien, mal, etc. Même si de nombreux instituteurs auraient pu trouver cette introduction au monde philosophique prématurée, il fallait avouer que le garçon avait très vite mûri. Une leçon en particulière avait longtemps fait écho dans son esprit.
"Quoi qu’il arrive, tu dois suivre ta raison et ton cœur. Il n’y a rien de plus véritable que cela."
  Une belle tirade sur laquelle l’on peut méditer une éternité sans arriver à en tirer toute la sagesse qu’elle implique. Mais dans cet esprit jeune et immature, le dicton fut déformé puis prit au pied de la lettre.
"Allier la logique pure avec un profond sens moral est le meilleur moyen de réflexion possible."
  Une erreur classique, un paradoxe évident venait d’être créé en plus d’avoir été associé à des termes bien trop complexes pour pouvoir être totalement compris à cet âge-là. Alvis n’était pas stupide, il comprenait bien qu’il était impossible d’agir comme une machine parfaite et un être humain à la fois. Alors il posa pour la première fois des questions à sa mère, dans le but d’essayer de comprendre réellement ce qu’elle lui avait dit. C’est alors qu’elle arrêta soudainement d’avoir ce genre de conversation avec lui ; elle avait réussi à faire ce qu’elle voulait de son fils, un individu qui se pose des questions. Dorénavant, il allait devoir trouver seul la réponse à ces questions. Une éducation plus que discutable, certes, mais existe-t-il seulement une bonne manière pour faire grandir nos enfants ? Voilà encore une question qui reste sans réponse.
  Alvis cogita longtemps avant de comprendre qu’il n’était pas suffisamment mature pour défaire le paradoxe, alors il trouva une solution temporaire.
"Je me laisserais porter et je réagirais à l’instinct, mais au moindre doute, le hasard choisira entre la logique et la morale."
  Il s’était avéré que le jeu du pile ou face était le plus binaire et le plus pratique de tous.
  Alvis était donc un garçon sympathique et solitaire qui n’avait eu que très peu d’ennui durant sa scolarité, contrairement à Maxime. Timide et un peu peureux, Maxime était un adolescent qui venait d’emménager avec ses parents sur Paris. Dès sa première année de lycée, il fut rapidement la cible de racailles et autres persécuteurs notoires. Alors qu’Alvis rentrait chez lui pour le week-end, il fut témoin d’une séance de raquette qui commençait à tourner au tabassage pur et simple.
La logique : "Je risque de me blesser si je m’y oppose, je n’ai rien à gagner là-dedans."
La morale : "Ces adolescents sont tous victimes de la société, ce n’est la faute de personne ici, je devrais les raisonner."
  Alvis lança-t-il une pièce ? Non.
  Il se lança dans la mêlée sans prévenir, frappant et mordant tout ceux qu’il pouvait. Alvis subit bien plus qu’il ne donna, mais au bout du compte, les crapules finirent par en avoir assez et s’en allèrent en crachant et en jurant. Tous deux bien amochés, Maxime et Alvis reprirent leur souffle pendant que l’adrénaline baissait, se fut le philosophe en herbe qui s’exprima en premier.
-Et bien j’ai surement loupé le dernier le bus, lança Alvis, nonchalant.
-Je … Je suis désolé … C’est ma faute, s’excusa Maxime, tout penaud.
-Ce n’est pas ta faute. Et puis ça fait du bien de se défouler de temps en temps.
- Il n’y a personne qui peut venir te chercher ?
  Alvis avisa son téléphone portable quelques instants, avant de le glisser à nouveau dans sa poche avec un air résigné.
-Non, pas ce soir en tout cas.
  Les bruits de la ville s’intensifiaient alors que l’heure de pointe arrivait. Des klaxons énervés retentissaient partout, un brouhaha s’élevait depuis les foules qui se pressaient sur les trottoirs. Cette cacophonie si propre à la vie urbaine combla momentanément le nouveau silence qui s’était installé entre les deux compères. Maxime proposa finalement quelque chose.
-Tu ne voudrais pas venir chez moi ce soir ? Je sais que tu ne me connais pas, mais …
-Ça ne va pas déranger tes parents ?
-Oh non pas du tout.
-Très bien alors allons-y !
  Maxime n’avait pas pu cacher plus longtemps son calvaire à ses parents. Le harcèlement avait cessé très rapidement une fois que la plainte et le témoignage d’Alvis furent soumis. Maxime retrouva la paix.
  Les deux adolescents devinrent inséparables et passèrent la plupart de leur temps ensemble. Alvis avait trouvé ici son premier ami, une personne avec laquelle il pourrait s’ouvrir sans jamais le regretter. Maxime, lui, le voyait comme un modèle. Il adorait la personnalité mature et décontracté de son ami et aspirait secrètement à lui ressembler un jour.
- - -
  Aujourd’hui, ils allaient manger des crêpes.
-Je me demande, commença Maxime
-Oui ?
-Tu lance toujours une pièce pour prendre des décisions, pas vrai ?
- Si, pourquoi ?
- Et bien … Est ce que tu as lancer une pièce aussi le jour où tu m’as défendu ?
  Alvis s’arrêta net.
- Un problème ? Demanda Maxime, intrigué.
- Je n’en ai pas lancé … Je ne m’en suis jamais rendu compte.
  Après réflexion, cette situation n'aurait pas dû faire exception à la règle, alors pourquoi s'était-il emporté de la sorte ? Il avait fait un choix qui s'opposait à tout le reste, mais il ne regrettait rien. Avait-il fait un premier pas vers la sagesse ? La violence était-elle la solution en toute circonstance ? Alvis ria suite à cette ridicule conclusion et s'approcha de son ami en lui donnant une tape amicale dans le dos.
- Arrête de traîner s'il te plait, je commence à avoir faim, dit Alvis.
- Mais c'est toi qui t'es arrêté ! S'offusqua Maxime.
- Continue comme ça et tu finiras par payer ta tourner.
- Hein ?!
- - -
  Un jour, la cacophonie urbaine se transforma en une immonde dissonance. Le béton et le goudron s'affaissaient dans une plainte tonitruante. Les cris d'un millier d'hommes et de femmes se mêlèrent dans la confusion, la terreur et le chaos. La voix de Maxime en faisait partie.
  Ce mois de mai, beaucoup de gens avaient pleurés. Que ce soit à cause de la perte de leurs proches, la peur d'un futur incertain ou de la sensation de précarité et de danger qui s'était installé, personne n'avait réussis à sourire honnêtement depuis. Alvis et sa mère faisaient partit de ceux qui croyaient à un nouvel âge d'or pour l'humanité et ils travaillaient avec ardeur pour tout reconstruire. Le coup grâce survint alors. Une maladie apparut de nulle part, transformant lentement les humains en monstres sanguinaires dénués de raison. Il était maintenant devenu impossible de penser positivement, le temps du désespoir, de la haine et de la mort était venu.
  La mère d'Alvis attrapa cette maladie et disparut rapidement après, sûrement pour épargner son fils de la peine de la voir partir doucement. Il comprit son attention, mais ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir. Alvis pleura alors à nouveau la perte d'un de ses proches, des êtres qui avaient été tout pour lui. Malgré la fin qui approchait, il s'accrocha à la vie autant qu'il put. Mais qu'importe à quel point la volonté de vivre nous anime, se débattre éternellement ne peut que ronger l'âme et affaiblir l'esprit.
  Fatigué, Alvis se tenait au bord du gouffre, celui dans lequel son seul ami avait disparu pour toujours. Il sortit sa pièce truquée, celle qu'il utilisait pour taquiner Maxime en prédisant l'issus du jet. Une des deux faces était pointée et permettait donc de deviner au toucher qu'elle serait le résultat avant de la dévoiler, tout simplement. Il ne lui avait jamais avoué le truc. C'est avec rage qu'il la lança au loin, dans l'abysse.
  La logique et la morale ne se manifestait même plus en lui, son esprit était vide. Il regarda longtemps l'abîme, cherchant une raison ou peut être des réponses, mais rien, les ténèbres qui avaient déjà tant prit ne remarquaient pas l'homme désespéré. Tant de vies et de rêves avait été détruit par un misérable trou.
  Pendant qu'Alvis repoussait encore et toujours l'inévitable, une femme s'approcha aussi du vide. Comme si elle était portée par un vent meurtrier et pervers, elle se laissa doucement tomber dans le précipice, mais une main se resserra autour de son poignet. Suspendue au-dessus du vide, elle vit un homme aux cheveux d'argents.
- Que fais-tu ? Laisse-moi partir, dit la femme avec une voix qui ne laissait percevoir aucune émotion.
- Je ne peux pas, souffla Alvis.
-Lâche moi ! S'énerva-t-elle.
- NON ! PAS ENCORE, PLUS JAMAIS ! S'écria-t-il, la voix déchirée et les larmes coulantes sur son visage.
  Surprise par autant de détresse et de peine, la femme observa cet inconnu, son dernier lien avec le monde des vivants.
- S'il te plait … Accroche toi …
  Elle sourit, la première fois depuis une éternité, et saisit cette main qui lui était tendu. Alvis la hissa de toutes ses forces, bien déterminé à la sauver.
  Mais le sol céda.
  Il tombait durant ce qui semblait être une éternité, une chute vertigineuse dans laquelle il n'arrivait plus à penser. Au milieu des ténèbres, son sang se mit à bouillir, sa tête était comme prise dans un étau, sur le point d'exploser. Il perdit connaissance.
  Puis il se réveilla, bien vivant malgré les circonstances. L'abysse se trouvait désormais au-dessus de lui et un sol dur et froid avait remplacer le vide sous son corps.