Elle avait entendu parler de l’orphelinat à plusieurs reprises en ville, de quelques bribes, et de la directrice laissée pour compte. Si elle n’avait aucune idée des sentiments de cette femme qu’elle n’avait jamais rencontré, avec qui elle n’avait pu échanger que quelques messages par Holokit, elle s’en sentait étrangement proche.

Elle avait rassemblé avant de partir plusieurs sachets de graines pour les faire pousser la bas, il ne lui faudrait qu’un peu de terre et deux heures de temps, une solution plus pratique que de transporter le tout déjà à maturation. Habillée chaudement pour le voyage, elle partit à l’aube pour rejoindre le village congelé où se situait l’orphelinat.
Son cœur lui, la tiraillait trop. C’est que se voir souffrir de la solitude et de la perte des siens lui allait, elle s’en était accommodé au prix d’une sorte de rigidité émotionnelle, elle savait d’où tout venait, et à quel point elle avait été changée. Elle savait, elle acceptait, mais elle ne voulait pas pour les autres.

C’est pour ça, que lorsqu’elle avait du temps, elle aimait aller aider. A quoi bon se plonger en permanence dans des recherches pour le futur quand on pouvait déjà alléger le poids du présent ?
La matinée était à peine commencée lorsqu’elle arriva devant la porte du bâtiment avoir demandé son chemin à l’entrée du village. Elle n’avait pas pour habitude de flâner dans les environs, et à vrai dire, il était possible que même avec les indications qu’on lui avait gentiment fournies, elle se soit tout de même trompée.

Avant de toquer, elle tira de son manteau une cigarette qu’elle alluma en craquant une allumette. Pendant quelques minutes silencieuses, elle profita de cette atmosphère si calme, une paix rarement accessible lorsqu’on vivait à Polaris, bercée par le rythme de ses respirations et le son des cendres qui disparaissent.

Enfermant son mégot dans une petite boite, elle toqua à la porte, soufflant sur le côté comme pour essayer de chasser l’odeur du tabac. Elle essaya de parler un peu plus fort que d’habitude, comme pour s’annoncer, tout en priant qu’elle ne ne soit pas trompée de lieu.

“Bonjour, je m’appelle Amarante, je vous avais dit que je venais aujourd’hui, c’est bien l’orphelinat ?”

La porte s’ouvrit sur une face d’enfant interdite, qui prit la fuite comme un courant d’air. L’herboriste rentra précautionneusement dans le bâtiment, refermant la porte dans son dos. Elle entendait au loin les pas des marmots, tapant trop fort des talons, et la voix de celle devait être Mathilde prononcer son nom. Elle attendit patiemment dans l’entrée, un peu inquiète sans se l’avouer à l’idée d’effrayer d’autres enfants.  

La maîtresse de maison ne se fit pas attendre, et elle lui rendit sa salutation en inclinant légèrement la tête. Elle lui emboîta un pas raidit dans cet endroit inconnu, s’asseyant avec elle. Elle défit son manteau et son barda, les posant sur le bord de son siège.

“Oui, tout s’est bien passé sur la route, merci.”

Elle se versa une tasse fumante, proposant également à son hôte de la servir. Ses prunelles errèrent dans la pièce, l'atmosphère s'imprégnant sur elle. L’endroit lui rappelait les siens, et ramenait des images de ses sœurs facétieuses, et sa mère aimante. Des images qui rappelaient la tarte aux pommes à la cannelle.

Pour une fois, elle avait mis un pantalon, considérant que si elle avait à déblayer de la neige pour accéder à un jardin exploitable la tenue serait plus adaptée qu’une robe. Jaugeant celle face à elle, elle joignit les mains sur sa tasse, un peu génée par le silence qui s’installait. L’aura de Mathilde, elle était comme celle qu’elle voyait dans son propre reflet il y a 5 ans, et qu’elle croisait encore parfois.

Vous allez bien ?

La question, sincère, se répétait dans son crâne en écho, mais ne passa pas la barrière de ses lèvres. Elles auraient tout le temps du monde de dégager le lopin de terre si besoin, de faire pousser et de cuisiner les légumes, de dévorer leur repas et de s’occuper des enfants, et peut-être de parler entre elles. Elle espérait, peut être naîvement, pouvoir lui retirer plus que le poids d’un repas des épaules.

“J’espère vous être utile aujourd’hui, n’hésitez pas à me demander quoi que ce soit si je peux aider en plus de la cuisine.”

Elle inclina à nouveau la tête. Sa voix était calme, douce, se voulant bienveillante.

Les visages tournaient autour d’elle, et s'échappaient lorsque ses prunelles rencontraient les leurs, comme si ils voulaient voir sans l’être. Certains, moins timides, s’approchaient, ouvraient la bouche pour parler, tendaient une main incertaine vers les biscuits, avant de lancer furtivement des regards vers Mathilde et de se raviser, tournant les talons aussi vite que possible.
De petits gloussements résonnaient plus loin, et la scientifique baissa les yeux sur sa tasse fumante, ses mains l’encerclant doucement.

Elle voudrait dire qu’elle peut faire, qu’elle ne va pas partir en courant parce qu’il y a à faire. En répondant à l’annonce, elle n’attendait pas à simplement se faire inviter à boire le thé. Elle ferait ce pour quoi elle est venue, sans aucun doute.
Elle repensait aux graines qu’elle avait ramené, et réfléchissait déjà à ce qu’elle pourrait faire plus tard dans la cuisine.

La présence d’une serre l'aiderait grandement, elle pourrait grâce à la stabilité de l’environnement prévoir des pousses étalées sur chaque jour, et éviter de trop user de son cristal. Elle hocha la tête aux paroles de la femme, lui offrant un sourire.
Elle pourrait même prévoir des pousses lorsqu’elle devra s’absenter. Oui, une serre, c’était l’idéal.

Elle ne sortait pas souvent, et encore moins pour voir des gens, habituellement solitaire. Mais dernièrement, elle était secouée, réveillée en nage en pleine nuit, par des images qu’elle avait cru pouvoir simplement enfouir derrière d’épais mur mentaux. Sa psychée l’ébranlait, elle avait passé 5 ans à se tailler des habitudes dans la roche, solides, pour avoir l’impression qu’au moins certaines choses ne s'effondreront plus, pour finir par se rendre compte qu’elle vivait entre quatre murs blancs, dépourvu de tout décor.
Une prison de peur dans laquelle elle s’était volontairement enfermée.

Les lèvres fendues d’un rictus discret, elle baissa les yeux vers le liquide chaud entre ses mains, contemplant un instant ses traits dans le reflet, s’adoucissant. Soufflant sur la vapeur, elle dissipa ses pensées amères, avant de relever le menton.

“Je vous laisse me guider le temps que je prenne mes marques alors.”

Son sourire était franc, son timbre, paisible. Elle était vraiment heureuse d’être là. Elle avait la sensation de pouvoir être réellement utile, peut être que toute cette stabilité qu’elle avait bâti, elle pourrait l’employer à soutenir d’autre chose que ses propres chimères.

Elle hocha simplement la tête à sa demande, à laquelle elle savait pouvoir se plier facilement. Elle suivit son mouvement, l’imitant pour saisir un gâteau qu’elle avala sans plus de cérémonie, avant de s’enfoncer dans son siège, l’air plus pensive que quelques secondes plus tôt.

Des raisons, elle en était pleine, mais beaucoup d’entre elles ne passeraient jamais la barrière de ses lèvres, par honte, ou tout simplement par habitude de ne jamais vraiment partager ces choses là.
Ses recherches piétinaient, et lorsqu’elle était tombée sur Althea, continuer à essayer de faire ce qu’elle savait faire était la seule solution qu’elle avait trouvé pour ne pas sombrer. Il lui fallait du mouvement pour ne pas couler à pic dans un lac de désespoir.

Le temps était passé si vite, et n’avait amené avec lui que du vide. Elle s’en était rendue compte trop tard, mais au moins maintenant les choses pouvaient changer. Un peu.

“Ce n’est pas indiscret. C’est sûrement pour une raison bien peu éloignée de la tienne, je suppose.”

Elle marqua une pause, ses prunelles dorées perdues dans le reflet lisse du liquide dans sa tasse. D'un ton égal, elle continua, le visage détendu dans une expression paisible.

“J’ai du mal à avancer dans mes travaux, et un changement d’air par ici permettra de joindre l’utile à l’agréable, n’est ce pas ?”  

Elle savait qu’elle esquivait une réponse franche, mais quelque chose l'ennuyait dans l’idée de prononcer qu’elle voulait se sentir utile, peut-être parce que cela reviendrait à admettre qu’elle n’avait pas réussi à faire quoi que ce soit qui lui permettait de qualifier d’importante son existence. Elle releva le menton, les yeux posés sur la porte ouverte donnant sur un couloir, y remarquant des mouvements biens moins agités depuis quelques minutes.

“Il y a une question que je me posais, justement, pourquoi ici ? Tu n’aurais pas trouvé plus de bras en étant plus proche d’une des deux métropoles ?”

Finissant d’une traite le contenu de sa tasse, elle plongea son regard dans le sien, et l'observa plus attentivement. Beaucoup de ses questions trouvaient des réponses par déduction, mais pas celle-ci.