Les portes du cabaret s’ouvrent, laissent les foules impatientes se déverser dans l’antichambre. Ce soir c’est un soir de spectacle, un soir de magie qui vient arrêter le temps dans une bulle de paillette. On vient se changer les idées, conclure des affaires, montrer ses plus belles tenue entre deux cracheurs de feu ou danseurs de nuit.
Il est de ce là, Lazarus, en cette soirée qui vient de commencer. Bien habillé, bien coiffé sans un seul cheveux qui dépasse, il alonge sa canne à chaque pas à travers la foule. Il n’a pas trop de mal à se mouvoir, précéder par le cortège d’hommes et de femmes d’affaires qui le précédé. S’ils ne se démarquent pas plus que leurs congénères qui maintenant se pressent vers les portes, ils sont pourtant là pour une raison beaucoup moins festive. Ne doivent-ils pas tous se retrouve en ce lieux pour signer un contrat ? Ah, que cela aurait été plus simple à faire en fin de repas. Mais les Astres insistaient toujours pour montrer ce lieux de hautes festivités à leurs homologues venus de lointaines régions. L’équivalent d’un boudoir moderne en quelque sorte.

Ce soir, c’est la suite d’un diner d’affaires qui se poursuit : l’importation de tissus de la vallée aux pyramides. On l’a appelé en renfort pour venir apporter le poids du gouvernement dans la négociation, en présence du représentant de tissus de la région et d’acheteurs du désert.
Mais Lazarus aimerait bien s’échapper de cette soirée : car il le sait les personnes qui l’accompagnent finiront bien rondes à peine les premiers talons resonnant sur le parquet. Et le contrat ne se signera donc pas. Et il faudra être aux aguets le lendemain, à l’hôtel où leurs invités résidaient. Et il allait devoir recommencer une nouvelle journée de négociation.
Lazarus, Lazarus, Lazarus, tu aurais dû le prévoir, voilà que maintenant tu te retrouvais bloqué avec bien plus ivre que toi. Tout signe de replis aussi tôt dans la soirée étant bien évidemment considéré comme une lâche traitrise et un affront sans pareille.

Sa cane s’arrête.
Non, peut-être pas.
Peut-être y avait-il une solution de replis après tout ?

Car maintenant que la salle s’est vidé, il le voit, sa solution miracle, son splendide Bellamy sauveur des infirmes. Et il s’en rapproche, alors que son groupe attend d’être placé (à la meilleure place sans surprise).
La file avance, la solution aussi. Finalement, Lazarus peut enfin s’en approcher sans trop de soupçon.

« Bellamy ! Quel plaisir de vous voir, ah ces monsieur-dames sont impatients de voir vos spectacles dont ils entendent parler jusqu’aux pyramides. Préparez-leur votre meilleur table. Vous savez, celle sur le côté avec une vue imprenable et un aération (porte de secours) sans pareille »

Oh, il espérait pouvoir se faire comprendre ; c’est qu’il aimait bien cette table proche de sa porte de sortie préférée. Il allait les saouler assez jusqu’à pouvoir disparaître sans remarques. A moins qu’il ne se serve de Bellamy pour se sauver une fois assis (oui après tout, n’y avait-il pas des discussions importantes à avoir à propos des derniers fonds du gouvernement reçus ? Des discussions primordiales).

Il ne savait pas si c’étaient ses nombreuses visites au cabaret qui l’avaient fait connaître Bellmy ou si c’était Bellamy qui lui avait fait connaître le cabaret. Un peu des deux probablement, tant ils étaient liés. Propriétaire et lieu de représentation étaient rentrés rapidement dans la vie de Lazarus à ses tous premiers débuts dans la politique Althéenne et ne l’avaient pas quitté depuis. Caer à son opéra, Célestia son karaoké et la Vallée son cabaret.

« Oui, quelle bonne surprise. » dont il se serait passé (du moins, de sa traînée de costard-cravate).
Quoi qu’il en soit, sa relation amicale et cordiale avec Bellamy remontait aux fondations d’Althéa, si bien que l’illusionniste savait un peu trop bien lire dans les mouvements de Lazarus. Malédiction, ou chance, au moins l’ambassadeur obtenait ce qu’il voulait : sa table privilégiée dans un coin discret de la salle avec sortie à proximité immédiate. C’était le début du plan d’évasion. Ne manquait plus qu’une distraction (un peu plus d’alcool dans leurs verres) et surtout une bonne excuse pour pouvoir partir puis revenir le lendemain clôturer les négociations.  

La fameuse Lydia vient les chercher, et alors que les négociants s’en vont à leur table, Lazarus s’excuse un instant, prétextant des discussions de subvention.

Si Lazarus réfléchit à son plan de génie, son nouveau comparse vient l’aider dans ses plans d’évasion. « Ce n’est pas contre toi Bellamy, mais il n’y aucune utilité à ce que je reste ce soir. » Vouvoiement en public, tutoiement en privé, comme un plan bien trop souvent exécuté (un complice bien trop souvent embarqué). « Demain je dois continuer les négociations. » et je compte bien tirer parti de leur gueule de bois dans le process.  Peut-être pouvait-il même espérer faire un coup de maître le lendemain? Continuer à les saouler serait encore plus bénéfique que prévu.
« Et puis, si c’est le merveilleux spectacle qui est l’affiche du jeudi, je l’ai déjà vu la semaine dernière. » Raison de plus. Lazarus avait des choses à faire, un monde à sauver. Peu de temps à accorder à des divertissements sans résultats.

Il pose une main dans son dos, se met à faire quelques pas sur places de ses trois jambes. Ah, heureusement qu’ils étaient dans les derniers à rentrer, car voilà qu’ils bouchaient l'accès aux spectacles, plantés ainsi. « Non, non, ça ne va pas, je ne pourrai pas aller négocier demain si je fais semblant d’aller à l’hôpital. Il me faut un plan imparable, suffisamment fin pour ne pas éveiller leur soupçons, mais suffisamment fort pour m’en aller. Les nouvelles taxes de tissus de nos pays en dépendent ! »

Ah, il les voit déjà l’appeler à leur table.
« Tu ne pourrais pas mettre le feu à ton cabaret ? Un faux feu avec tes superbes illusions ? »
Peut-être y allait-il un peu fort. Mais si cela servait la cause commune, Lazarus n’avait pas honte de grand-chose.
« Dans un premier temps, servons leur généreusement à boire. »

Pas si terribles que ça…
Lazarus regarde à nouveau la table à laquelle il a le droit. Ça s’esclaffe, ça parle fort, parle mal. Oh il n’était pas un de ces dandys raffinés, plutôt capable qu’incapable de se fondre dans n’importe quelle situation sociale. Mais, car il y a un mais, il n’en faisait pas l’effort social quand cela ne lui semblait pas pertinent.
Et là, ce soir, ce n’était pas pertinent.
Bien qu’il ne ressente en aucun cas le besoin de se défendre face à sa lâcheté. Il n’en avait pas habituellement besoin, alors pourquoi chercher l’excuse devant Bellamy ?

« Ce n’est pas le fait que ce soit des représentants et marchants complètement saouls et sans retenus qui m’inquiète, non ça je sais gérer, c’est que ce soir je n’obtiendrais rien d’eux. » Il se parle plus à lui-même qu’à Bellamy, puisqu’il est déjà en train de réfléchir à son plan, encore et toujours. Il n’a donc pas entendu la pique, mais but sur le dernier mot prononcé.
Depuis quand devait-il se soucier de ce que Bellamy voulait ? Ne l’avait-il pas aidé à maintes reprises dans le passé ?
Lazarus regarde, hésite. Mais ce soir il avait besoin de Bellamy, alors pas besoin de s’offusquer, les sentiments passeraient après.
« Un spot publicitaire dans le journal d’Althea ça t’irait ? » inutile de préciser qu’il avait quelque contacts là-bas.

A son grand regret, le magicien ne veut pas utiliser de ses talents pour exécuter le génialissime plan de Lazarus. Le voilà même accuser à tord maintenant, et menacer de devenir un banni. Ah, non, non, non, il ne pouvait pas se le permettre, il aurait l’air de quoi lui s’il ne pouvait plus mettre les pieds au cabaret alors que ses partenaires d'affaires si ? « C’est pour le spectacle ! » se défend-il l’air de dire « c’est une blague », tous deux sachant pertinemment que Lazarus ne faisait jamais de blague. Le spectacle commence, au loin, amenant une nouvelle idée dans son sillon.« Et ça ce n’est pas possible ? De me faire monter sur scène et de me faire disparaître dans une caisse ? S’ils sont assez saouls ils vont m’applaudir et ensuite ne vont même pas s’en rendre compte. Mieux ! Le lendemain, ils en riront. »
Le regard de Lazarus croise celui d’une des invités qui, déjà, lui fait de grands signes en se levant dans leur direction (et de la pire espèce : de celle qui insiste pour le revoir en dehors des heures de travail). Ils devaient faire vite. « Ah je te donnerai n'importe quoi si tu arrives à me sortir de ton cabaret. »

Pas si terribles que ça…
Plus politique qu’homme d’affaires, Lazarus n’hésitait pourtant jamais à utiliser ses relations pour s’assurer un marché. C’était facile, rapide, et immédiat. Mais, quelque part, ce n’était pas quelque chose dont il aimait abuser. Un marché impliquait deux partis, dont lui. Il devenait alors tributaire d’une parole donnée, au risque de se déshonorer, ou pire, de voir ses plans échoués.
Mains serrées, contrat passé, le voilà qui ne pouvait plus reculer.
Heureusement que cela ne lui coutait pas grand-chose.

« Nous connaissons tous les deux mon excellente mémoire. »

Peu prompte à la blague, Lazarus, quand il s’agissait de vanter ses qualités (dont la modestie ne faisait apparemment pas partie). A quoi bon feindre quand l’honnêteté leur était à tous deux plus rentable ?

Il se tait pour laisser Bellamy réfléchir à sa proposition. Ne dit-on pas que la meilleure des sagesse vient à l’homme qui se questionne par lui-même ? Oui, il en est certain, Lazarus, que Bellamy sera capable de trouver une solution pour mettre à exécution son plan. Il est maître du Cabaret, après tout.
Sourire triomphant quand Bellamy revient vers lui avec la réponse positive.
Moins grand quand il comprend qu’il doit rejoindre les autres. Un mal pour un bien.

« Bellamy, Bellamy, Bellamy, que ferais-je sans toi ? Ah tu mérites ta place. »

Oui, toute cette histoire méritait bien un spot publicitaire après tout.

Avec un soupire, Lazarus regagne sa table jusqu’ici évitée. A peine assis, reçoit-il des sollicitons de tout genre, entre alcool et attention mal placée. Ah vraiment, il aurait dû se dégager de se bourbier plus tôt.