Tu ne peux pas nier la pointe d’anxiété qui se fait sentir toujours un peu plus au fur et à mesure que tu te rapproches de la boutique où tu es attendue pour une première journée de travail. Si on t’avait demandé comment l’entrevue s’est passée (et sans doute Lizzie l’a-t-elle fait même si dans ton état de panique post entrevue t’as pas du donné une réponse satisfaisante), t’aurais pas été très optimiste. Mais te voilà engagée, en route vers ton nouveau lieu de travail. Ça fait bizarre, il faut l’admettre. Il y a aussi une partie de toi qui se dit que faire demi tour serait une bien meilleure idée, une partie de toi qui serait près de l’emporter si ce n’était du fait que t’as trop peur de décevoir. Décevoir qui ? Ton nouvel employeur, Lizzie, l’humanité. Oui bon, peut-être pas l’humanité, tu doutes que ta première journée en tant que commis chez un fleuriste changerait vraiment la donne pour qui que ce soit.

Mais voilà.
Ça ne change rien à la petite dose de stress qui gonfle dans ta poitrine jusqu’à ce que tu sois devant la boutique. Tu sais pas trop ce que ça implique d’être fleuriste à vrai dire, de travailler non plus d’ailleurs. T’étais un peu trop jeune quand le Kamikakushi a eu lieu et après….
Disons qu’après il y avait d’autres priorités.
Tu soupires, rassemblant tout ton petit courage pour toquer doucement à la porte de l’établissement avant de l’ouvrir. Tu supposes qu’il t’attend, malgré tes quelques minutes d’avance sur l’heure convenue. C’est quelque chose que ton père t’a appris (une des rares choses d’ailleurs) : être à l’heure c’est être en retard. Donc t’es en avance, tu sais pas trop si c’est une bonne chose. « Monsieur Pavel ? » Ta voix tremble un peu, trahissant ton état d’esprit. T’essaie de te reprendre, d’au moins esquisser un mince sourire alors que tu poursuis sur ta lancée. « C’est Ophelia. Je suis là pour ma première journée. » Oui bon, ça il doit déjà le savoir, mais ça ne coute rien de le dire. Tu restes postée près de la porte - comme si ça te permettrait de fuir face à un danger inexistant. C’est pas comme si tu t’étais trompée de journée ou quoi que ce soit, c’est juste des mauvaises habitudes qui se perdent mal, même dans un lieu aussi sécurité (en théorie) qu’australes.

C’est un peu par réflexe que tu te fais plus petite lorsque Pavel s’avance vers toi. Tu t’efforces de ne pas trop laisser paraitre ton anxiété (un échec) ou ta gêne (un autre échec). Tu laisses même un mince sourire se dessiner sur tes traits dans un autre effort. « D’accord… » Est-ce que tu risquais de continuer sur ta lancée ? Probablement, t’es trop habituée à une politesse forcée pour ne pas offusquer qui que ce soit. Mais bon, s’il te dit que tu peux laisser tomber, tu essaierais de le faire. Est-ce qu’il fallait que tu le tutoies aussi ? Dans le doute, tu décides de ne pas le faire, s’il voulait que tu le fasses, il l’aurait surement précisé. Oui voilà qui te semble logique. T’hoches quand même la tête à sa question. « Oui oui… » Bon t’as pas l’air pleinement convaincue, mais t’es vraiment en pleine forme, juste… « Un peu stressée pour être honnête. » Que tu ajoutes d’une voix plus basse. C’est rare que tu te montres franche, surtout pour ce genre chose, mais ça ne devrait pas faire de mal. Autant le dire maintenant plutôt que le stress te pousse à faire une erreur. « Et vous ? Vous allez bien ? » Petite question à laquelle tu n’espères pas avoir une réponse du genre "je regrette déjà de t’avoir engagée".

Mais bon, surtout, il faut que t’écoutes les indications qui te sont données. Indications assez simples à comprendre, autant l’admettre. T’hoches la tête pour signifier que tu comprends bien - en même temps il n’y a rien de transcendant (sauf mauvais jeu de mots). « Non ça va, c’est clair. » En même temps, tu supposes que c’est un peu la base de tous les emplois du genre (pas que t’aies eu l’occasion d’en avoir un avant l’apocalypse). T’es un peu surprise qu’il ne soit pas dérangé par ce que tu fais quand il n’y a rien à faire (les séries t’ont appris que les patrons étaient généralement sévère à ce niveau-là).
Enfin, de toute façon, ce n’est pas ce qui te tracasse le plus. « Par contre, pour les commandes, je n’ai pas beaucoup d’expérience avec les plantes donc pour les réaliser… » Pas très utile pour travailler pour un fleuriste, peut-être que c’était vraiment une mauvaise idée qu’il t’engage. Quoi qu’il est au courant que tu es tombée assez récemment, il faut juste qu’il ait le bon sens de réaliser que t’as pas eu l’occasion de préparer des arrangements floraux là-haut.

Tu hoches la tête lorsqu’il chasse le tutoiement de la même façon que le monsieur. Tu ne sais pas si t’es pleinement à l’aise à l’idée de le tutoyer alors que c’est ton patron, mais bon, puisqu’il te le demande. Puis, il a l’air vraiment content que tu sois là (il ne regrette pas encore son choix) donc autant t’assurer de continuer sur une bonne voie. Si ça se trouve tu fais déjà une erreur en faisant remarquer ton manque criant d’expérience en matière d’arrangement floraux. Tu pourrais expliquer en long et en large les raisons derrière ça, mais tu supposes qu’un peu de bon sens suffit à ce niveau là en fait. Ça ne t’empêche pas d’appréhender sa réaction, comme s’il y avait vraiment une possibilité qu’il te vire sur le champ après ton aveu.

Autant dire que tu retiens à peine un soupir de soulagement lorsqu’il t’assure que ce n’est pas grave, encore mieux lorsqu’il parle d’une formation. « Ah ça va, j’ai eu peur un instant. » Pas que tu pensais qu’il était un patron incompétent (pas que t’as un point de référence à ce niveau non plus), mais simplement, t’as eu peur qu’il te pense plus compétente que tu ne l’étais. Mais bon, si les clients préfèrent des arrangements déjà faits c’est tant mieux, tu penses pas que procéder à une transaction est si compliqué que ça. « Dans ces cas là j’imagine que c'est surtout bien noter la commande ? » Ça t’apparait être évident, mais bon, autant vérifier que t’es bien sur la même longueur d’onde que lui.

Pour ce qui est d’avoir une démonstration, il n’y aucun doute que ça t’arrangerait bien. T’hoches la tête à nouveau avant de répondre à la question. « J’aime bien les marguerites. » Est-ce que c’est vraiment ta fleur préférée ? Tu sais pas trop, disons qu’il te faut encore réapprendre à vivre normalement, à te poser tes questions aussi simples sur tes goûts. Disons que là-haut ce n’était pas une priorité, ça ne devait pas l’être. Autant donner une fleur que tu trouves jolies et qui (normalement) ne doit pas être si rare que ça… Mais au cas où : « Mais ça peut être n’importe quoi. » Oui parce que bon, tu ne voudrais pas trop déranger non plus, trop lui imposer de contraintes alors qu’il t’aide.  

Bon ça va, ça n’a pas l’air trop compliqué comme travail. C’est juste histoire d’être un minimum diligente et ce n’est généralement pas un problème te concernant. Bon, ça te cause beaucoup (trop) d’anxiété, mais tu as l’habitude de ça. T’emboites donc le pas de ton nouveau patron pour apprendre tout ce qu’il faut sur les arrangements floraux. Est-ce que ça t’empêcherait de regarder mille et un vidéos sur les internets althéens ? Absolument pas, mais c’est un début que tu prendrais volontiers. Après le début des explications, tu sors ton holokit pour prendre quelques notes au passage. Oh, c’est rien de si compliqué, mais t’as trop le souci de bien faire pour faire confiance à ta mémoire, donc les notes dans l’holokit sont nécessaires. Tu le ranges pour t’essayer avec l’outil de travail. Tant que tu te coupes pas un doigt c’est bon non ?

Les sécateurs, les feuilles, le produit pour préserver les fleurs plus longtemps. Ce n’est rien de compliqué, mais au final, il y a autre chose qui t’intéresse sur le coup. « Vo-tu as un cristal d’eau ? » Ça t’impressionne, comme la grande majorité des cristaux peuvent t’impressionner lorsque tu les vois à l’oeuvre. Mais bon, il faut admettre que c’est pratique pour un fleuriste. Tu l’observes lorsqu’il commence à placer les oeillets, essayant de mémoriser l’idée générale. Ça ne t’aiderait probablement pas de le faire, mais t’as pas envie qu’il pense que tu ne fais pas attention. Au final ça n’a pas l’air très compliqué, ça semble un peu instinctif. Ça ne t’empêche pas de stresser un peu plus lorsqu’il te tend les marguerites pour que tu les insères dans l’arrangement. Tu le fais quand même, faisant tourner le vase pour les insérer à des endroits qui te semblent bien. Tu te tournes vers lui lorsque tu as terminé, attendant son jugement avant de poser une question. « C’est n’importe quel feuillage ou il y a des sorties précises pour certain bouquet ? » Parce que bon, du feuillage c’est un peu flou.

Tu reportes ton attention sur l’arrangement. « Mais c’est assez simple, ça va. » Est-ce que t’essaies de lui montrer que tu comprends ou de te rassurer en te disant que ce n’est pas quelque chose qui peut vraiment être raté ? Qui sait, mais tu lui adresses quand même un beau sourire pour montrer que vraiment, ça va.

Tu ne peux que t’émerveiller lorsque Pavel utilise son don à nouveau. Parce que pour toi, c’est encore somme tout assez récent, parce que t’as pas encore eu l’occasion de voir beaucoup de dons à l’oeuvre. Tu connais tes dons, ceux de Lizzie, mais sinon… C’est tout nouveau. Ça ne t’empêche pas d’esquisser un petit sourire lorsqu’il souligne ce que tu as toi-même pensé : que c’est pratique pour un fleuriste. « Au moins tu es certain de ne jamais avoir chaud. » Ce qui est une autre utilité. C’est bien plus utile que les tiens en tout cas, plus versatile, ce qui ne t’empêche pas d’apprécier les dons qui t’ont été donnés. Tu te concentres un instant et des petites boules lumineuses apparaissent autour de vous. Elles n’illuminent pas grand chose, mais ça donne une certaine ambiance. « Je ne les maitrise pas très bien, mais je suis contente oui. » Les boules de lumière disparaissent aussitôt, t’as bien compris que c’était épuisant. « Je peux aussi contrôler le volume. » Ce qui au final, t’arrange bien dès que quelqu’un hausse le ton devant toi. Mais oui t’es satisfaite de tes cristaux, même s’ils ne sont d’aucune utilité pour être fleuriste.

Pas que tu en es besoin semblerait-il puisque Pavel estime que tu as fait un arrangement correct. Ça te fait sourire, une petite pointe de fierté venant chasser une part d’anxiété. Tu ne penses pas avoir fait un travail extra, mais si c’est un bon début tu t’en contenteras volontiers. « Ah oui ? Tu sais c’est quoi pour la marguerite ? » Toi tu n’y as pas du tout pensé, t’as jamais su que les fleurs avaient des significations, sauf peut-être pour le côté romantique des roses et encore. « Si tu veux je pourrai aider avec les fiches ! » Parce que bon, même si tu sais rien de la signification des fleurs, s’il te dit que google peut aider, ça entre quand même dans tes compétences. Plus que les arrangements en eux-même en tout cas.

Tu regardes le vase rempli, puis le bouquet que te tend Pavel. Ce qu’il dit découle d’une certaine logique, tu supposes que tu la comprendras avec un peu d’expérience. « Je vois… De toute façon je pourrai te demander si je n’y arrives pas ? » Enfin, tu n’abuserais pas de son aide, trop terrifiée à l’idée de le déranger, mais tu souhaites quand même t’en assurer. T’aurais sans doute d'autres questions, qui ne te viennent pas sur le coup, et qui sont de toute façon interrompu par ce qu’ajoute ton patron. Tu le regardes, surprise, avant de retourner vers votre oeuvre. « Tu es sur ? » Ça doit être trop parce qu’il est trop moche pour être vendu, mais ça ne te fait pas moins plaisir pour autant. T’espères qu’il plaira aussi à Lizzie. Tu verrais bien en rentrant.

En attendant, tu te permets. « Je peux te poser une question ? » Bon en soit, t’en poses une en lui demandant cela, mais t’as besoin de sa permission parce que c’est un peu plus personnel que savoir quel feuillage il faut mettre dans un bouquet.