Il y a foule ce soir. Le monde s’amasse aux portes du cabaret comme des papillons face aux dansantes flammes. Bellamy observe depuis les coulisses, rien ne lui échappe. De la nouvelle et magnifique serveuse au rire enchantée, au barman et sa manie de faire voler les verres en passant par les danseurs du soir qui répètent une dernière fois leurs enchainements en coulisse, le rideau pour l’instant fermement baissé.  Sourire aux lèvres, Bellamy est fier, si fier de ce qu’il a ici pu entreprendre. Un habitué vient lui dire bonjour, bien vite parti retrouver sa table. L’irakien lui, ne bouge pas, sirotant paisiblement un cocktail aux lourdes vapeurs d’alcool et senteurs d’agrumes. Ne jouant aucun rôle dans le spectacle de ce soir, il s’octroie là une petite pause pour mieux apprécier le futur levé de rideau.

La foule commence à prendre place et l’illusionniste reconnait là presque chaque personne, chaque astres. Depuis 5 ans, il commençait à connaître la clientèle par cœur et il n’y avait ce soir aucun invité politique arrivant tout droit d’un autre coin d’Althea. Du moins d’après la liste.
Le verre trouve une nouvelle fois place contre ses lèvres, avant que l’hôte ne penche la tête, soucieux de trouver là son verre déjà vide. Et s’il était hors de question qu’il finisse saoul dans son propre cabaret aux heures de pointe, un verre de plus ne lui ferait certainement pas de mal. Le voilà qui traverse donc l’immense salle en direction du bar, souriant à quelques habitués, tapotant l’épaule d’un ou deux employés en guise d’encouragement ; car la soirée risquait d’être bien longue.
Il s’apprête à héler son barman lorsque son regard s’arrête sur un visage totalement inconnu. Oh celle-ci n’était pas d’ici il en mettrait sa main à couper. Une nouvelle arrivante au sein de leur merveilleuse Vallée des Constellations ? Peut-être. Bellamy pose son verre vide, délaissant pour un instant l’idée d’en commander un autre avant de s’avancer vers la jeune femme, sourire aux lèvres.

« Bienvenue dans le plus beau cabaret d’Althea ! Il ne me semble pas vous avoir déjà croisé ici, serait-ce votre première fois ? »

Car Bellamy appréciait particulièrement connaître chacun de ces clients et n’hésitait pas à accueillir lui-même les nouvelles figures.

Bellamy observe la nouvelle arrivante avec attention. Mignonne, ses cheveux en oreilles de chat lui donnaient un coté excentrique qui collait parfaitement au cabaret. Ici, entre les danseuses recouvertes de plumes multicolores, les paillettes dans les cheveux des serveurs et Bellamy, les yeux soulignés d’un infime trait de khôl, personne ne penserait à commenter. Heureux est le magicien, appréciant plus que tout les nouvelles rencontres, nouveaux spectateurs pour les show à venir.

La question le prend pourtant au dépourvu. Rechuter ? Oh non il ne cherchait pour l’instant pas à recruter. Il fronce les sourcils, conscient qu’il ne valait mieux pas brusquer les clients.

« Nous ne recrutons pas malheureusement… mais vous êtes évidemment toujours la bienvenue ici. D’où venez-vous ? »

Question sincère, même si une place se libérait, il se devait d’en connaître un peu plus sur cette jeune femme. Bellamy n’engageait jusque là que des Astres, préférant de loin voir ses employés travailler à temps plein et n’espérait aucunement les voir traverser tout Althéa pour chaque représentation.
Un CV et une lettre de motivation ? L’irakien hésite, passe inconsciemment une main dans sa courte chevelure noire en réfléchissant. Il ne pouvait décidemment pas la virer si celle-ci avait fait tout ce chemin simplement pour postuler.
Il soupire, pouvant bien faire un effort. Car l’illusionniste était parfois bien trop gentil pour ce monde.

« J’imagine que je peux tout de même regarder ça… mais je ne promets rien, nous avons sans cesse des demandes de ce genre. »

Ce cabaret n’était pas le plus réputé d’Althea pour rien.

« Suivez-moi. »
Et sans attendre, il fend la foule, passe derrière la scène bourrée de monde et ouvre une discrète porte. Son bureau. D’un geste galant, il l’invite à entrer.
« Mon bureau, nous seront plus à l’aise pour discuter. »
Un sourire agréable sur son doux visage.

Bellamy secoue la tête, les temps sont durs et il ne peut se permettre d’embaucher toute personne passant le pas de sa porte et peut importe la bonne volonté.
Le bureau de Bellamy ressemble à l’homme : bric-à-brac artistique où se perde quelques gros classeurs. Petits tableaux représentant divers paysages d’Althéa. Une peinture du désert ; son désert. Une Irak délaissée sur terre, il n’a plus que ces images (ses souvenirs) pour combler le vide qui parfois noue le ventre.
Chez lui et oh qu’il est si loin.
Bureau parfaitement propre illuminé par quelques lampes et lucioles magiques, Bellamy fait de la place et d’un grand geste de la main, invite la jeune femme à s’asseoir alors que lui-même prend place de l’autre côté du bureau.

« Ah je ne dirais pas non à une démonstration ! Mais commencez donc à me parler de vous, je ne connais même pas votre prénom… d’où venez-vous ? Que faites-vous en ce moment de votre vie ? Pourquoi mon cabaret ? Avez-vous déjà eu une expérience de travail similaire ? »

Le magicien endosse sa cape de pur professionnel, une main lissant sans s’en rendre compte sa fine moustache. Car il ne pouvait laisser n’importe qui entrer ainsi dans ses rangs.

Bellamy n’est pas peu fier de son bureau et de cette décoration acquise au fil des années. Il avait été bien difficile de trouver à Althea un artiste capable de peindre un paysage de chez lui mais cela en avait valu le coup. Un hochement de tête appréciateur, légèrement surpris de voir la demoiselle reconnaitre les lieux.

« Oui je viens de Bagdad. »

Rien de plus, s’il aimait son pays plus que tout, il le détestait tout autant pour ces guerres civiles sans fin et cette violence débordante.
Il préfère écouter avec une attention toute professionnelle cette Rosemary se présenter. Il écoute, hoche la tête de temps en temps et ne prend pas la peine de prendre des notes vu son excellente mémoire. La mention du désert des Oubliés le fait tiquer. Bien que celui-ci soit maintenant reconnu comme un pays, il n’appréciait pas forcément y être mêlé plus qu’il ne l’était déjà. Une espionne ? La jeune femme n’en avait pas l’air mais cela ne voulait absolument rien aussi Bellamy se méfiait-il un peu.
La mention du cabaret en France lui vaut pourtant un léger sourire. Cette jeune femme avait de la ressource ça c’était certain, les gestes gracieux et la voix qui accroche. Le charme indéniable.

« Tout ça est fort intéressant, vous avez dû commencer jeune à manager ce cabaret… »

Après tout n’avait-elle pas que 24 ans ? Il réfléchit un peu et finit par hocher la tête.

« Allons-y pour une démonstration. Vous avez carte blanche. »