Tout commence dans une poubelle, la benne à ordures d'un quartier chaud à Osaka dans laquelle vient fouiner un clodo qui s'inquiète d'entendre ladite poubelle chouiner.
« Quel drôle de rat ! » s'exclamera le sans-abri tout fier d'avoir repêché un nourrisson tout beau, tout neuf. Tout commence dans une poubelle donc.

Nezumi est un orphelin comme il y en a tant sur la planète. Pas d'enfance particulièrement malheureuse, rien qui ne vaille en fait la peine d'être particulièrement raconté dans ses premières années non plus. C'est un enfant paumé, rêveur, volontaire mais terriblement, terriblement nul dans tout ce qu'il fait. Gamin gentil mais gamin à problèmes il est bête, mais bête cet enfant. Ce n'est pas sa faute s'il ne comprend rien à rien, car ce n'est pourtant pas faute d'essayer. Depuis tout petit Nezumi c'est un peu la tête de turc, l'ami idiot qu'on garde près de soit pour se sentir intelligent. Tout le monde l'aime bien mais pas assez. C'est pas triste, mais c'est pas heureux non plus.
« Il y a pire petiot ! » lui dira le clodo qui l'a sauvé des ordures. Cet ancien salaryman est un monsieur admirable, son modèle de vie qu'il dira même si ça fait rire tout ses camarades. Nezumi s'en fiche, il voue un profond respect à ce sensei qui a continué à prendre de ses nouvelles depuis qu'il l'a déposé à l'orphelinat. C'est ce qui se rapproche le plus d'une figure paternelle jusqu'à ce qu'un hiver, un groupe de jeunes alcoolisés ne lui casse la gueule en saccageant son campement. Il mourra de froid et d'hémorragie interne au milieu de janvier. Décidément oui, on trouve toujours plus malheureux que soit.

Sans surprise, Nezumi est en décrochage scolaire : il passe plus de temps dans les rues et les bornes d'arcade que dans les salles de classe. Il ne tarde pas à trainer en bandes avec des jeunes paumés comme lui. C'est le schéma classique de la vermine désoeuvrée : un jour t'es un rat des bois, un autre t'es rat des gangs. Les yakuzas ont toujours besoin de petites mains comme lui. Des cerveaux pas bien remplis, de la chair malléable qu'on appate avec trois fois rien. Nezumi commence à gagner sa vie en faisant le guet pour eux d'abord, puis en passant des sachets blancs. Et puis aux petites passes, petite sentinelle devient grande, veut faire comme les adultes, rentre dans le clan. Ça se traine jusqu'aux menaces des commerçants du coin, jusqu'aux esclandres pour un bout de quartier. Il ne sait pas comment ça a dégénéré. Tout ce qu'il sait c'est qu'il était heureux de gagner sa croûte, de défendre son quartier, d'avoir un chez soit. Dans son territoire, on ne tabasse plus les clochards. Que les vraies ordures.

Tout commence dans une poubelle donc. Celle qui dégouline de rouge, celle où il met les lunettes cassées alors que son estomac se retourne. À travers le plastique noir pourtant opaque, il peut sentir la paire d'yeux bouffis l'observer. Il peut y voir la peur, les mains qui tremblent, le couteau qui tranche, odeur de sang, regard qui s'éteint. « On s'y habitue » lui dira son mentor, une main pleine de bagues sur son costard reprisé. « La prochaine fois enlève ta veste, ça t'évitera de la tacher. »
Nezumi ne s'y habituera jamais. Il a le coeur trop tendre pour être yakuza. Et pourtant il veut bien faire. C'est pas faute d'essayer. Il aime son boss comme le père qu'il n'a jamais eu, il aime ses collègues comme ses frères d'armes. Merde il aime même les prostituées du bordel qu'il surveille comme ses soeurs et les clients relous du pachinko où il travaille comme ses cousins. Il peut pas décrocher, la thug life il l'a dans les veines, sur la peau. Des tatouages sur les avants-bras, les cheveux décolorés, la gueule amochée. Qui est-il sans son boss ? Qu'un rat. Un rat sans clan, sans rêves et sans argent. C'est pas une vie ça.

« Nezumi j'ai une faveur à te demander. » Le chef n'a même pas le temps de s'expliquer, Nezumi lui dit « oui chef, tout ce que tu veux chef ». Il s'agenouille devant lui, la figure écrasée sur le tatami. Il s'en fout, il veut juste plaire. Se racheter une rédemption. Il sait qu'il est redescendu en bas de l'échelon, que c'est un honneur pour lui de reparler au patron. Ce patron qui lui a donné une chance, chance qu'il a jeté aux ordures.
20 ans de prison pour l'homicide volontaire qu'il n'a pas commis. C'est pas beaucoup il pense. « On viendra te chercher » lui a promis le boss. « Très bien chef, oui très bien, merci ». Nezumi est content de porter le chapeau pour la famille, pour le gang. La prison c'est pas facile mais quelque part c'est pas pire que l'orphelinat. C'est tranquille. Et puis on lui écrit plus souvent maintenant. Nezumi aime bien qu'on lui écrive. En plus les détenus s'occupent de travailler dans un centre de recyclages de déchets. Les poubelles ça le connait, ça c'est chouette ça lui change pas trop de paysage.

Le boss viendra le chercher bien plus tôt que prévu. Dès 2019 quand la terre s'écroule et que le chaos enflamme tout le Japon. Bon peut-être que ce n'était pas Nezumi en particulier dont il avait besoin, plus des autres gars du clan enfermés à ses côtés, mais lui s'en fiche. Il était content de retrouver le chef, les gars, la rue.
Très vite le patron a réorganisé Osaka. Pas de désordre dans la ville même sans gouvernement : les yakuzas ont veillé. Bien sûr tout n'était pas tout rose, pas tout tendre mais l'ordre était là et Nezumi trouvait son boss juste parce que boss a toujours raison. Même quand il s'agissait d'exécuter sans sommation les nouveaux contaminés par la Transcendance. « On s'y habitue ». Non toujours pas.

Quand les barrières entourant les capitales s'ouvrent, boss y voit l'occasion d'étendre son territoire. Être le premier à régner sur Tokyo c'est cool non ? Mais il n'y a plus de Tokyo. Seulement un gouffre béant. Nezumi y est envoyé pour confirmer les dires.
Il s'est penché par-dessus la faille en gueulant comme un gosse parce que fondamentalement émerveillé par le paysage d'apocalypse qui s'offrait devant lui. Il ne sait pas qui l'a poussé dans le vide ni pourquoi : il s'est senti chuter dans le vide, il a hurlé de plus bel et s'est finalement réveillé en Althea.
Savez-vous qu'un rat peut chuter plus de 15 mètres sans se blesser ? Maintenant oui.

On ne se refait pas. À son arrivée, seule Celestia est intéressée par son profil. Nezumi accepte direct sans réfléchir, pas question cette fois de redevenir un paria. Il développera par la suite une admiration sans borne (à la limite du fanatisme) pour Tatsuya qu'il voit comme son sauveur et son nouveau chef (même s'il ne lui a jamais adressé la parole). C'est presque pour lui qu'il est content de s'occuper des poubelles de Polaris car nettoyer les rues de la capitale c'est un acte citoyen. Éboueur c'est aussi le seul job qu'on lui a proposé, Monsieur n'ayant ni diplômes, ni expérience professionnelle qui vaille ! Peu lui importe, sous terre Nezumi veut être quelqu'un d'honnête ! Mais qui dit qu'il échappera aussi facilement à l'appel de la rue...