Journée ordinaire à Polaris pour le rat, rien à signaler ce matin. La ronde habituelle s'était déroulée comme prévue - mis à part qu'il avait failli se retrouver coincé dans un des locaux à poubelles mais passons. Après avoir ramené son véhicule au dépôt et pointé comme un employé modèle, Nezumi s'était tiré à la vitesse de l'éclair avant que son chef ne mette la main sur lui et ne lui demande quelles étaient ces rayures sur la carrosserie de son camion (est-ce sa faute si les ruelles de la capitale sont si étroites ?).

La combinaison tombée jusqu'à la taille (pas d'inquiétude, il a un sweat à manches longues dessous voyons), mains dans les poches, il s'apprête à sauter par-dessus les portiques du métro, puis se souvient que Tatsuya l'a pris sous son aile parce que c'est un type bien. Et les types biens ça paye les transports en commun. En plus il a un abonnement le con. C'est qu'il n'a pas l'habitude de faire comme les gens normaux.
Donc comme les gens normaux, Nezumi met son cerveau en mode off dans les escalateurs, sa musique à fond les oreilles quand il arrive sur les quais, tapotant le sol avec ses baskets sales et contrefaites (genre Nuke pas Nike) en rythme avec sa playlist préférée. Et puis entre deux refrains de Nicki Minaj (my anaconda) son regard glisse sur un des passants assis sur un banc en face des rails (don't). Attendez ces tatouages (my anaconda), ce style impeccable (don't), ce charisme god-tier (want none)... Ce serait pas ? (of this)

Dérapage contrôlé à 180 degrés (unless you got), Nezumi entame une manoeuvre de retraite anticipée (buns, hun) qui serait presque parfaite si dans son empressement il ne se mangeait pas une maudite poubelle (boum) placée par un mauvais retour de karma pile sur son trajet de fuite.

YEAH YEAH YEAH YEAH YOU F..... WITH SOME WET-A...-P... BRING A BUCKET AND A MOP FOR THIS... (Vous avez compris). Comme si le bruit de chute ne suffisait pas, son casque non seulement se débranche mais en plus son holokit passe à la chanson suivante et décide de hurler au grand public son bon goût musical et les paroles plus que distinguées du dernier hit de Cardi B et de Megan Thee Stallion.

En terme de discrétion, on a vu mieux.

Le choc de cette rencontre non prévue avec la poubelle couplée aux rugissements furieux de l'holokit plongent Nezumi dans un drôle de semi-coma : il voit de petites étoiles twerker devant ses yeux alors que ses oreilles sifflent au rythme du rap de Megan. Il pourrait presque se sentir fier d'avoir trouvé une nouvelle façon innovante d'écouter de la pop quand surgit à nouveau le terrifiant visage d'un type qu'il aurait préféré ne pas revoir.

▬ B-b-boss ?! Qu'il s'exclame en bondissant sur ses pieds aidé par Alessio. L'idée lui vient de sauter sous les rails pour couper court à la discussion mais l'ex-yakuza se fige comme un lapin pris dans les phares lorsque l'homme lève la main. En un quart de seconde, Nezumi voit toute sa vie défiler devant ses yeux (et ce n'est pas très intéressant) tant et si bien qu'il bondit presque quand on lui touche simplement l'épaule pour lui indiquer que peut-être que toute la station de métro n'apprécie pas autant que lui le talent de Cardi B. Ah... Ah oui b-b-b-ien sûr !

Sans perdre une seconde, Nezumi se jette dans un magnifique plongeon sur l'appareil et dont il smash le bouton pause. Et puisqu'il est déjà par terre, il s'écrase à nouveau aux pieds d'Alessio, le salue la tête bien bas comme il avait l'habitude le faire sur Terre.

▬ P-p-p-ardon Boss ! C'est l'choc d'vous avoir reconnu ! Toujours prostré, sans oser relever la nuque et sans d'ailleurs se rendre compte qu'il se donne en spectacle, il continue : Mort ? Oh non les gars sont v'nus m'récupérer après le Kamikakushi ! Et moi j'croyais qu'vous étiez sur Terre avec M'dame Beatriz ! Snif j'suis content d'voir qu'vous allez bien Boss, si vous saviez !

C'est totalement faux mais la tradition exige qu'il en fasse des caisses en signe de respect. Comme un bon petit chien qui fait la fête à son maître.

Pas un yakuza ? Nezumi ne comprend pas, il jauge les tatouages et l'oeil de verre avec un air à mi-chemin entre la terreur et l'incompréhension. Ah oui bien sûr ! Alessio n'est pas japonais c'est pour cela qu'il ne considère pas comme yakuza, il respecte la culture nippone ! Quel chic type ! Pourtant aux yeux du rat c'est tout comme. Le gars était respecté par ses comparses à la surface plus que n'importe quel étranger donc c'est peut-être pas un vrai yakuza mais ça reste son supérieur.

▬ Aaaaaaah... Glapit-il quand on l'empoigne par le col pour le trainer jusqu'à un wagon. Le japonais proteste mollement : Mais moi j'voulais aller dans l'autre sens, snif. Trop tard. Pouf. Son derrière s'échoue sur un strapontin alors que les portes ne se referment et qu'Alessio reprend ses explications en le toisant de haut derrière ses lunettes (très jolies lunettes d'ailleurs, wow, il a vraiment la classe le Boss).

Nezumi ne peut que écarquiller des yeux devant la proposition qu'on lui fait. Si on peut réellement parler de proposition. Parce que le ton de l'italien ne laisse pas vraiment de place au refus. De l'argent ? Évidemment que Nezumi a besoin d'argent ! Qui n'a pas besoin d'argent ? Ce n'est pas avec un maigre salaire d'éboueur qu'il va se trouver une petite femme et pouvoir payer les études de leurs futurs enfants et le prêt de leur maison de campagne ! Toutefois, le rat a l'air perplexe. Il fronce les sourcils dans une expression grotesque, signe qu'il réfléchit.

▬ Rien dire à M'dame Bea ? Comprends po. Et oui j'ai un travail mais... Nezumi est un type loyal. On ne refuse rien à un ancien camarade surtout quand c'était son patron. Et puis soudainement, ça lui frappe comme le nez en pleine figure. Il clappe des mains et s'exclame, enjoué : Oh vous voulez faire la surprise à M'dame ! C'est son anniversaire bientôt c'est ça ? Bien sûr que j'vais vous aider Boss ! Et puis pas besoin d'argent, j'le fais gratos ! En souvenir du bon vieux temps ! Hochant la tête, très fier de lui-même il ajoute : Elle va être trop contente M'dame Beatriz, c'est moi qui vous l'garantis !

L'avantage d'être idiot c'est que ça permet de facilement détourner la conversation qu'on le veuille ou non.

S'il y a bien quelque chose que Nezumi aime plus que les poubelles les retrouvailles surprises ce sont les anniversaires surprises ! Le japonais est tout excité à la perspective de participer au machiavélique plan d'une embuscade festive.

▬ C'est une bonne trop idée Patron ! Il gigote sur son strapontin, imaginant déjà les ballons en forme de coeur et les banderoles avec marquées « Happy birthday Beatriz ! ». Et le gâteau ! Oh le gâteau, qu'est-ce qu'elle aime Madame Beatriz ? Plutôt fraises ou chocolat ? Non Madame est une femme de goût, avec des envies sophistiquées, il lui faudrait quelque chose de délicat, peut-être le gâteau à l'ananas rose qu'il a vu dans Masterchefs ! J'connais une super pâtissière pour la pièce montée si vous voulez ! Il a déjà en tête le joli sourire de cette adorable blonde qui a ouvert boutique pas si loin de chez lui.

Mais le temps des rêveries ne dure pas longtemps, Alessio est un bon chef : il sait rester concentré.

▬ Euh aucune idée Patron mais si vous êtes là j'suis sûre qu'elle est pas très loin ! Tout bon patron qu'il est, Alessio reste subordonné à Beatriz et si cette rencontre impromptue lui prouve bien quelque chose, c'est qu'on ne se débarrasse jamais complètement des vieux serments. Mais laissez-moi vous aider ! J'ai un ami qu'a un ami avec un super cristal de localisation ! Comme ça Madame Beatriz pourra bientôt avoir le meilleur des anniversaires c'est sûr. Comptez sur moi ça va être mortel ! Dans tous les sens du terme.

Même s'il n'est pas forcément jouasse de tomber par surprise sur un fantôme de son passé, Nezumi se souvient qu'il appréciait tout autant qu'il craignait Alessio. Alessio lui a toujours bien parlé et lui donne toujours des ordres très simples. C'est un patron qui fait les choses bien, de façon efficace et sans prise de tête. Ce serait bien d'avoir réellement Alessio en patron...

▬ Oui Boss ! À vos ordres Boss ! Trouver et suivre Madame Beatriz mais ne rien lui dire, c'est noté ! Qu'il aboie aussitôt.

Et puis quelque chose s'allume dans son crâne, l'alarme qui lui rappelle qu'Alessio a beau être un chic type il reste un truand. Et Nezumi ne veut plus être truand, il veut une vie simple, une vie honnête, une vie qui ferait plaisir à Tatsuya et même si préparer un anniversaire ça n'a rien d'illégal, son instinct (à défaut de sa perspicacité) lui souffle que trainer à nouveau avec Alessio c'est bel et bien s'attirer les ennuis.
Toutefois, ce bref instant de lucidité est rapidement évincé par les presque douces paroles de son nouveau supérieur. Parce qu'il est incontestable qu'Alessio lui est supérieur sur tous les points.

▬ Oh euh merci Boss... Bredouille alors le japonais, soudainement ému qu'on puisse lui faire confiance lui qui ne demande qu'à être utile. Et Nezumi veut ça aille dans les deux sens, veut pouvoir suivre aveuglement un nouvel Alessio reconverti avec pleins de plans aussi géniaux les uns que les autres et des compliments gentils. Alors pour faire taire cette toute petite voix qui lui dit de sauter du wagon à la prochaine station, il se permet de timidement demander : Mais dîtes vous faîtes quoi maintenant Boss ? Enfin je veux dire... Il se penche un peu, baisse la voix : Rien de pas honnête pas vrai hein Patron ?

Et en vrai, Alessio pourrait lui dire qu'il est devenu jongleur équilibriste au cirque de la Vallée, que Nezumi le croirait sans se poser plus de questions.