Sa routine du samedi soir, une organisation réglée comme du papier à musique, le fil des secondes un métronome. Son équipe sautille d’une tâche à l’autre dans un ballet de fils électriques dont ils sont les petits rats, Bảo n’a qu’à se laisser porter par la vague pour se concentrer sur son propre travail : être beau, aiguiller l’interview. Il se délecte d’ors et déjà du dimanche à venir et du fait que ses secrétaires ne l’ont pas encore informé d’une quelconque soirée à laquelle assister.

En deuxième partie de l’émission, il accueille la vainqueure de Masterchef, programme qu’il avait bien entendu dévoré, enroulé dans sa couette. L’occasion approchant de goûter le fameux gâteau à l’ananas rose le rend d’humeur excellente après l’interview du politicien rébarbatif précédant la jeune fille.

Alors qu’il s’installe en face d’Athena, une petite table entre eux garnie de rafraîchissements, ses spécialistes s’affairant autour de lui pour les dernières retouches de poudre et de laque, elle s’adresse à lui, toute nerveuse. Il congédie les visagistes d’un hochement de tête et dirige vers elle un sourire éclatant.

“Merci à vous d’être venue, Athena. Je me sens très chanceux que vous m’ayez choisi.” Il pose une main qu’il espère rassurante sur son bras. “Ne vous inquiétez pas pour votre voix, le micro est fait pour ça. Et il n’y a pas de limite de parole chez moi.” Un clin d’oeil, sa signature. Les lumières se tamisent, la direction annonce la reprise du tournage.

“Soyez vous-même, tout va bien se passer,” lui chuchote-t-il pendant le décompte. Celui-ci terminé, il se tourne vers la caméra, exsudant charisme et assurance. “Bienvenue dans Bảo de Nuit à nouveau. Vous reconnaissez sûrement notre nouvelle invitée qui a fait une entrée fracassante sur vos écrans cette année.”

Il reporte son attention sur la jeune fille, menton dans la main. “Athena, vous êtes la grande gagnante de Masterchef, l’émission qui a battu des records d’audience jamais enregistrés à Althea. Je suis jaloux,” taquine-t-il, suscitant les rires du public. “Avant de parler de cette expérience, j’aimerais commencer par votre quotidien. D’où vous est venue la vocation de pâtissière ?” lui demande-t-il, comptant sur un décollage en douceur pour la mettre à l’aise.

Décidément, cette petite est adorable, Bao se retient de pousser des exclamations charmées à chacune de ses phrases. Professionnel, il est professionnel ; et quelle satisfaction de la voir ainsi détendue après quelques minutes de direct, malgré les pénibles sujets abordés. C’était un risque de commencer dans ce sens, mais il se réjouit du résultat.

“Design graphique ? J’aurais dû m’y attendre, les décorations de vos gâteaux sont de véritables oeuvres d’art.” Dans son oreillette, des voix familières le préviennent d’un défilé de photos, la vitrine de la pâtisserie, l’étalage de sucreries. Il désigne d’un geste désinvolte l’écran devant eux. “Preuves à l’appui ! Vous sentez que vos études vous ont aidé dans vos confections ?”

Bien sûr, son récit des années passées à la surface le touche. Seul son talent d’acteur lui évite d’avoir à se servir en mouchoirs. Depuis l’année dernière, il se sent incroyablement reconnaissant d’être tombé lors de la catastrophe. Il n’aurait jamais pu survivre de telles conditions, et chaque témoignage le conforte dans cette gratitude.

Il décide de ne pas s’attarder sur cette partie de l’histoire ; post-apocalypse, le public veut des rires, pas des larmes, lui rappelle le réalisateur au creux de son oreille.

“Je pense que tout Althea ne peut que vous remercier d’avoir pris cette décision. Vous êtes désormais domiciliée ici, à Australis. Quelle chance pour nous !” Les spectateurs partagent son avis, à en croire les applaudissements et les “wooh” encourageants. “Le changement d’emplacement n’a pas été trop dur ?” Il lui sourit, espère avoir évité les sujets trop lourds, autant pour la jeune femme que son audience.

Il se félicite d’un si bon travail, les traits détendus de son invitée en attestant. Ce sont ces émissions qu’il préfère, quand il présente au monde les histoires touchantes, doucement extirpées de la bouche des intéressés.

“C’est une très belle pensée, Athena. L’édition de Masterchef a justement inspiré beaucoup de gens à se lancer dans la pâtisserie. Pensez-vous un jour aider les gens dans ce sens, peut-être par le biais d’ateliers ?” Il cultive un fantasme qu’il espère prédiction : vêtu d’un tablier brodé Best Dad, il aligne des gâteaux encore chauds devant Han-Gyeol et leurs petits-enfants.

Il détecte une hésitation par la suite, mais Athena finit par répondre avant qu’il n’ait à changer le sujet ou lancer une boutade. “Il n’y pas plus technologique comme endroit, c’est certain. Les trajets sont très agréables, n’est-ce pas ? D’ici à votre boutique, c’est seulement six minutes en métro,“ remarque-t-il, pétillant. Encore une bonne nouvelle, car il ne manquerait pas d’y passer souvent. Page de publicité imminente, il se tourne vers la caméra.

“On se retrouve tout de suite pour passer à la démonstration du gâteau à l’ananas rose. Restez avec nous, car je ne manquerai pas de demander tous les détails de l'émission Masterchef.” Un clin d'oeil, et coupé. Les techniciens s’affairent autour d’eux.

“Vous avez été parfaite,” lui dit-il, la pure vérité. “Comment vous vous sentez ? N’hésitez pas à vous servir en rafraîchissement.”

Il désigne de la main le plan de travail qui les attend, garni de tout le matériel nécessaire. Un gâteau déjà cuit patiente sous la table, prêt à être décoré après la recette. “C’est là que vous allez pouvoir accomplir votre magie. J’avoue que j’ai attendu une part de ce gâteau toute la journée,” rit-il.