Coupe de champagne à la main, Sasha a ce sourire charmeur accroché au visage. De sa longue robe grenat coulant sur sa peau et ses cheveux relevés en un chignon presque trop élaboré pour être réel, elle veut ce soir être reine. De la scène, des cœurs et de sa propre tristesse bien dissimulée sous une couche de rouge à lèvre carmin.
Comme une seconde peau. Comme une carapace.
Un rire léger pour une blague qu’elle n’a pas écouté, feignant de s’intéresser à la désastreuse conversation. Une soirée bien mondaine pour lui changer les idées, Sasha n’a ce soir pourtant pas la tête à s’amuser. Regrette déjà son choix, peut-être aurait-elle dû changer ses plans à la dernière minute, partir sur un coup de tête s’élancer sur les pistes de dance des luxueuses boites de nuit d’Australis. N’avait pourtant pu refuser cette invitation, Sasha se devait de se montrer un minimum. Peur qu’on l’oublie, peur de devenir cette femme insipide dont tous oublieraient le nom. Alors un grand sourire pour se savoir apprécié, ce n’était pas cher payé.

L’alcool coule dans la trachée alors qu’elle se retient de grimacer.
Champagne bon marché.
S’imagine un instant ce que Raphaëlle en dirait, probablement grimacerait-elle tout autant. Petit sourire triste avant que son masque tout en charme et séduction ne reprenne sa place. Ah devait-elle rappeler la femme qui faisait battre son cœur ?
Oui, non.
Le chaos dans sa tête empêchait tout bon résonnement, aussi faisait-elle l’autruche depuis un bon moment déjà. Sa technique préférée.
On lui pose une question, ah elle n’a pas écouté. Un homme rit de son égarement aussi sourit-elle pour lui faire plaisir. Un sourire de glace, le regard tuerait s’il le pouvait. Lasse de cette conversation qui ne l’intéresse pas, la russe avale le contenu de son verre d’une traite avant de s’éloigner.
Il allait lui falloir une dose d’alcool bien plus importante pour supporter cette affreuse soirée. Une nouvelle coupe de champagne vient remplacer le verre vide, certes bon marché, mais Sasha avait ses priorités.

Un regard ennuyé parcourt l’immense salle de réception jusqu’à s’arrêter sur un audacieux fléau.
Bảo.
Décidemment, la soirée ne semblait pas s’améliorer. Encore une gorgée d’alcool, peut-être deux (ou mille) et là voilà qui s’approche, faussement désintéressée. Peut-être trouvera-t-elle là petite distraction à son royal ennui.  

Bảo a du charme, elle ne saurait le nier. Fallait-il donc ruiner tout cet attrait par une affreuse coupe mulet ? Comme une fausse note glissée au sein d’une partition, une vulgaire tache de couleur sur une toile blanche ; la composition n’en ressort que plus désastreuse. Alors Sasha ne voit maintenant que ça ; l’homme restera cette insurmontable fausseté dans le long fleuve de sa tranquille (ah elle peut bien se voiler la face) vie.

Mais bien engagée sur l’irrégulier chemin de l’hypocrisie, elle lui offre son plus beau sourire factice ; ou trônent épée de glace et langue de vipère. La russe aurait préféré être seule conquérante de cette soirée. Aurait préféré le voir disparaitre de la grande scène qu’il ne cesse d’accaparer.
Evidement, le plaisir semblait partagé.
« Bonsoir Bảo. Cette soirée est d’un ennui mortel. »
Et seules quelques piques bien placées relanceraient son entrain. Sourire charmeur du cobra qui patiente, elle balaye la silhouette de l’autre d’un regard consterné.
« Et vous, vous devriez vraiment commencer à revoir l’esthétique de toute votre personne. A commencer par vous raser le crâne. »
Non vraiment, cette coupe de cheveux, elle ne pouvait pas.
Longue gorgée de sa fraiche boisson, Sasha se demande bien combien de verre il lui faudrait pour supporter tout ça.
Beaucoup, assurément. Autant commencer tôt, alors elle enchaîne avec une autre gorgée pour la peine, peut-être Bảo lui semblera-t-il alors assez flou pour qu’une telle erreur capillaire passe au second plan. Peut-être.

Sasha donne au présentateur une petite moue faussement perplexe. Une compagnie agréable oh vraiment. Quel horrible menteur. Un faux sourire enjoué placardé sur le visage, la russe vient s’accrocher à son bras tel une fan un peu trop collante.

« Oh Bao il fallait le dire si vous m’appréciez tant ! Ma compagnie peut parfois se montrer piquante, mais je suis ravie de savoir que vous me trouvez agréable. »

Petit battement de cils pour son public. Plus tard, peut-être devra-t-elle passer en vitesse aux toilettes y vomir ces mots détestables. Ah et ce ton mielleux ! Une fois, pas deux. Elle en ferait presque des cauchemars cette nuit.
Enthousiasme bien vite redescendu face aux paroles suivantes. L’effigie de Lorealth ? La voilà bien jalouse, elle se recule en grimaçant.

« Hum. Peut-être vos chaussures. »

A vrai dire, elle n’avait pas grand-chose à critiquer dans la tenue de l’autre. Il s’habillait bien et avait un certain charme elle devait l’avouer. Croisant les bras sur sa poitrine, la polarienne est pourtant bien décidé à cracher son venin.

« Mais évidemment il n’y a pas que l’esthétique qui compte n’est-ce pas ? Je ne vous pensais pas si obnubilé par le physique, je suis presque déçue. »

Un regard envieux vers le verre isolé. Encore plein.

« Vous ne buvez pas ça ? »