De plus en plus surprenant. Elle te déroutait complètement, dans son manque d'intention déguisée. Elle était franche et si tu avais toujours encouragé l'honnêteté et l'expression des émotions à leur état brut, tu demeurais une personne nuancée. Il fallait choisir son moment, pour exprimer ses sentiments : chaque chose arrivait en temps et en heure. Et Ingrid n'avait choisi ni le bon timing ni la bonne manière.

— « Détends-toi. Je ne vais pas te faire de mal, tu as ma parole. »

Malgré la douceur de tes mots, tu ne peux pas t'empêcher d'être un peu sur la défensive... passive agressive. Cette adulation qui glissait dans sa voix tremblante te mettait mal à l'aise. Tu ne te sentais pas légitime à la recevoir. Ingrid ne semblait voir que ce qui l'arrangeait, et omettait un de tes plus grands crimes : le premier, être une chef de guerre en temps de paix.

Un sourire un peu niais s'affiche faiblement sur ton visage, dans un moment de vulnérabilité, mais tu le perds lorsque tu tiques à la mention de ses "ouïes dires". Qui avait bien pu lui parler de toi ? Tu oubliais parfois trop que tu étais un personnage connu du décor de Caer Hrid. Fronçant les sourcils comme si la méfiance te gangrénait à nouveau, tu rétorques :

— « Qui t'a parlé de moi ? Qu'est-ce que tu as entendu à mon sujet ? »

Mais Ingrid continue son monologue, son adoration mêlée à un sentiment de crainte qui ne te laisse pas indifférente. Impressionnante, sans doute. Mais faisais-tu peur à ce point Isadora ? Même en situation de crise comme celle-ci, il fallait te remettre en question.
Tu t'écartes pour te coller alors au mur, en face d'elle.

— « Très bien, très bien. Respire. Je vais arrêter de te poser des questions. J'ai bien compris tes intentions, du moins je les espère sincères, et que tout ceci ne soit pas un piège grossier à mon encontre. »

Tes yeux sont un peu plus doux, mais demeurent froids. Ils la dévisagent avec attention. Vous ne pouviez pas continuer votre discussion au milieu de nul part.

— « Je vais t'escorter jusqu'à chez toi et prendre une chambre d'hôtel au casino. Tu habites ou, Ingrid ? »

Tu pouvais facilement reconnaitre les personnes malveillantes. Et elle ne l'était pas. Ta garde définitivement brisée, tu prendrais la responsabilité de ta magnanimité naive si jamais elle te trompait et cherchait à t'attaquer par derrière. Cependant, tu étais quasiment persuadée que ton intuition ne te trompait pas et que tu n'avais rien à craindre d'elle. Car elle aurait elle, toutes les raisons de te craindre.

— « Par là ? Très bien, alors je t'accompagne jeune fille. »

Au moins, tu auras la possibilité de la faire parler sur le chemin. Habile distraction que d'abuser de sa gentillesse et de son dévouement. Tu n'aimais pas spécialement profiter des gens, surtout quand tu n'avais rien d'indispensable à leur tirer, mais la compagnie de cette jeune Ingrid pourrait t'apporter des réponses à des questions que tu en avais marre de te poser : notamment un avis extérieur sur des rumeurs que tu ne pouvais entendre.

— « Je suis respectée ? Intéressante ? C'est vraiment ce que tu as entendu ? Tu es sûre ou cela est sujet à des interprétations ? »

Tu te saisis de son bras pour la faire marcher au même rythme que le tien. Ce petit geste intime suffirait peut-être à la faire parler, à instaurer une complicité.
Tu ne relèves pas le prénom qu'elle a failli prononcer, ne te doutant absolument pas qu'elle puisse avoir des liens avec le démon que tu fréquentais.

— « En tout cas, que tu dises vrai ou non, merci de croire en moi. Même s'il y a d'autres raisons d'exprimer son admiration envers quelqu'un qu'en le suivant à la trace le soir. Mais on va pas revenir la dessus, je crois que la leçon est comprise, n'est-ce pas ? »

Tu soupires. Qui était-elle vraiment ? Quand elle énonce la vérité dantesque que peu de gens semblent te connaitre, tu penses intérieurement "tant mieux" car cela préservait ta figure d'autorité, mystifiée par tes secrets.

— « Peu ont à me connaitre, je rectifie. Par contre... si je te dis que tu m'intéresses toi aussi. Pourrais-tu me dire qui tu es ? Hormis l'identité de surface... Ingrid la serveuse. »

Elle ne semble pas vraiment à l'aise de ta compagnie. Etait-ce vrai ? L'impressionnais-tu, ou bien se sentait-elle encore honteuse et coupable d'avoir été surprise sur le fait ?
A son sourire timide, tu tentes de te décoincer un peu et de lui offrir un bref retour, étirant un rictus glaçant au coin des lèvres. Fais un effort, Isadora, ou on pourrait croire que c'est toi qui la suit de manière menaçante.

Tu lui demandes sur le chemin de parler un peu plus d'elle, te cachant (et te voilant la face au passage) derrière l'excuse de la récolte d'informations. La réalité, c'était que tu étais curieuse de qui elle était, avant la chute et avant les royaumes. Tu étais curieuse de connaitre ses aspirations en dehors de son métier et de ce qu'elle répondait à tous le monde surement comme couverture.

— « Patineuse ? Voilà qui est surprenant. »

Les sportifs, les passionnés même ! étaient les plus passionnants. Tu lui enviais cette passion passée, toi qui n'en avait jamais eu aucune. Mais d'un autre côté, tu compatissais à sa perte. La fin du monde tel que vous l'aviez connu avait forcé les survivants à se reconstruire et parfois à abandonner leurs rêves pour s'en créer des nouveaux.

— « Je suis désolée de l'apprendre, Ingrid Nygård, si tant bien même je dois l'être. J'espère qu'avec les années vous retrouverez une passion égale qui puisse vous faire retrouver vos sensations d'antan. »

Une fois arrivées devant l'immeuble qu'elle avait désigné du doigt, tu avais croisé les bras sur ta poitrine.

— « Drôle d'habitat. M'enfin, je suppose que vous n'aviez pas réellement le choix. »

Tu t'assis sur un des rebords, l'incitant à faire de même. C'était bien trop gênant de la laisser repartir aussi vite.

— « Tu te plais ici ? Ou rêves-tu d'une vie plus confortable ? »