Tout ce petit groupe te laissait hautement indifférent. Même Kiana qui t’apparaissait comme une petite chose fragile qui espérait encore que le monde soit beau, soit gentil. Enfin, tu ne la connaissais pas, mais tu l’avais bien vu du coin de l’œil ronger son ongle, ce qui avait toujours été un signe de nervosité.
Tu n’avais pas bougé de ton emplacement, tout en persistant à les regarder du coin de l’œil. Parce que tu n’étais jamais capable de baisser ta garde, parce que tu avais toujours besoin de savoir ce que les autres faisaient autour de toi pour ne jamais laisser place à la surprise. Tu n’aimais pas la surprise, tu n’aimais pas laisser l’imprévisible te prendre de court. C’était dangereux pour ta survie, n’est-ce pas ? Alors tu continuais de garder ta garde haute et ta vigilance parfois trop haute, parfois dans la paranoïa. Mais ça te convenait (tu étais épuisé).

Tu les avais observé tour à tour après avoir parlé, prêt à entendre ce qu’ils avaient à dire sans considérer que ce pourrait être intéressant, que ça pourrait changer le cours de ta vie.
Parce que tu continuerais d’être le fantôme de leur existence, de l’existence de tous ceux vivant dans ce désert, de ceux faisant appel à tes services même. Tu n’avais besoin que de ça. Ce petit groupe ne t’intéressait pas plus que ça, tu étais ici parce que tu te disais que ça pouvait toujours te rapporter et aussi parce que quelque part, Andy continuait de t’intriguer. Mais clairement, ta loyauté n’allait à personne, seulement à toi.

Silence .

Le silence s’était légèrement prolongé alors que Nemesis n’avait pas pris la peine de relancer tes paroles, de dire quoi que ce soit de plus. L’autre personne présente à cette réunion avait proposé de buter le Leader avant qu’il vous bute et tu ne pouvais être que d’accord avec lui. Tuer avant d’être tué, tuer ou être tué. N’était-ce pas la loi de ce Désert ? C’était celle que tu continuais de suivre dans le but de survivre. Pourtant, tu savais que trouver le Leader ne serait pas évident, et que le tuer le serait encore moins. Tu n’étais pas idiot, tu n’étais pas naïf.
Vide seulement. Et peut-être un peu con, si on pensait à ton altercation avec Laël dont le nom ne provoquait toujours pas le moindre écho en toi.
Seulement un étrange goût amer que tu ne pouvais nommer et que tu préférais laisser de côté.
Un jour, tu te rappelleras.

Un jour, tu te rappelleras de l’importance que Laël avait eu dans ton existence, un jour, tu te rappelleras de toutes les sorties et les mauvais coups que vous aviez faits ensemble. Un jour, ça reviendra dans ton esprit. Mais je pense que ce jour-là, on te perdra.
Tu n’étais déjà plus rien.

Tu avais relevé les yeux de ton petit jeu avec ta dague, de ta légère distraction, quand Andy s’était de nouveau exprimé. Personne n’allait mourir ? C’était bien ton but. Enfin, ton but était de ne pas mourir plus exactement. Les autres ne t’importaient pas plus que le grain de sable sous tes pieds. Ta vie, c’était une toute autre histoire. L’intérêt que tu accordais à ton existence était la raison pour laquelle tu respirais encore aujourd’hui. Ça n’allait pas changer de sitôt.
Ta main se serra légèrement sur ta dague quand elle laissa entendre qu’il était armé et que fallait éviter de se déplacer sans moyen de défense. Tu n’allais nulle part sans cette dague qui t’assurait une possibilité de réagir moindrement on tentait de s’en prendre à ta personne.

« Je tâcherais d’ouvrir l’œil. » Jamais de promesses, de mots mal pensés. Tu n’avais jamais dit que tu trouverais des informations à coup sûr et on ne pourrait point te reprocher de ne pas y parvenir dans le cas de figure où tu ne trouverais rien. Tu te protégeais en permanence, même oralement. Tu ne trouvais pas ça lessivant à la longue ? Non. C’était devenu un état constant. Une vie. Un trait de caractère. Un trait essentiel à ta survie. Et t’imaginer autrement n’était pas vraiment possible.
Tu haussas très légèrement les épaules à son autre question. Tu avais, en effet, eu une altercation avec Laël pendant que tu tentais de mener à terme un contrat – tu l’avais mené à terme d’ailleurs. Mais de cette confrontation, rien d’utile n’en était ressorti si ce n’était que Laël se surestimait en sous-estimant à peu près tout le monde autour de lui. « Rien qui ne puisse être utile. »
Penser que tu puisses t’étendre sur des sujets, c’était très mal te connaître. Toujours aller droit au but, ne jamais parler plus que nécessaire.

La suite de la discussion ne venait point capter ton attention. Elle ne t’était pas dirigée, elle ne te concernait pas. Alors tu retournas à l’observation des alentours tout en laissant une partie de ton attention traîner autour de ce qui se disait pour ne rien manquer d’important.
Mais quelque chose te fit réagir, te fit poser ton regard sur celui qui s’appelait Chronos. Tu avais attrapé son nom à la volée au fil de la discussion. Le pauvre se répugnait à achever une vie ? Tu avais l’impression de voir un enfant devant un chevreuil lors de sa première partie de chasse. Mais toi, le chevreuil, tu l’avais achevé rapidement, à plusieurs reprises, traqué pour lui retirer la vie. Tu avais souvent observé la vie partir de corps qui n’avaient rien demandé. Alors une autre âme de plus ou de moins dans ce monde ne venait pas t’émouvoir. En fait, rien ne venait t’émouvoir avec le vide demeurant dans ton être, prenant toute la place, étouffant toute morale possible.

« Tu peux compter sur moi pour une offensive, Andy. Me salir les mains ne m’a jamais dérangé. »
Tuer n’a jamais été un problème et ne le sera pas aujourd’hui. Tes mains, elles étaient tâchées de la vie que tu avais maintes fois arrachée. Alors bon, tu ne laisserais pas Andy tenter d’achever quelqu’un seule. Au moins, elle pourrait compter sur toi. Pour le moment, en tout cas.