all you need is a hero

Sans être spécialement superstitieuse, tu te disais que tu ne pouvais pas passer par le désert pour la toute première fois sans t’attarder près de l’arbre à voeux. T’avais pas trop de voeux à faire, tu voulais surtout le voir de tes propres yeux, te disant que tu trouverais peut-être quelque chose à souhaiter une fois sur place. Tu te connais pas assez pour savoir ce que toi, tu veux. T’aimerais sûrement te connaître un peu plus, déjà. Trouver ta place en ce monde. Savoir qui était cette femme qui rêvait de s’exprimer après avoir été étouffée si longtemps. Mais c’est sûrement pas ce que t’en viendrais à souhaiter. Parce que c’est ridicule. Parce que tu penses rarement à toi, toujours aux autres. Tu pourrais sans doute espérer obtenir les informations qu’on t’avait envoyé chercher, cette quête que tu avais entrepris pour en apprendre un peu plus sur ce soi-disant Leader. Tu pourrais aussi souhaiter que Laël se porte bien, que rien de mal lui arrive. Il y a Mephisto, aussi. Mephisto qui joue. Qui joue trop. Qui pourrait perdre.

T’as envie de dire que tu pourrais lui souhaiter de réussir. De gagner. Pas que la manche.
De gagner la guerre, peu importe ce qu’elle est. Ce qu’elle est supposée représenter.

Et c’est ce que tu fais. Un souhait que tu accroches à l’arbre. Un voeux. Qu’il l’emporte. Parce que ça, ça voudrait dire qu’il ne serait sûrement plus (autant) menacé. Que tu n’aurais pas à craindre de le perdre, à avoir peur qu’on te l’arrache. Puis parce que tu penses pas à toi, ce que tu veux n’a pas beaucoup d’importance. Lui veut jouer et toi, tout ce que tu peux vouloir, c’est qu’il continue de jouer.

Normalement, ta visite aurait dû s’arrêter là. Mais les choses ne sont jamais aussi faciles lorsqu’elles te concernent. Parce que le désert est dangereux. Parce que les gens ne sont pas aussi gentils que tu pourrais le croire, ils ne sont pas tous comme toi, animés d’une douceur évidente. Un homme t’arrête, un autre se tient derrière. T’as rangé une pochette contenant plusieurs pièces, une somme assez conséquente d’argent pour être honnête et semblerait-il que quelqu’un l’a remarqué. Toi, t’as juste voulu payer pour accrocher ton voeux, t’aurais sûrement dû y penser à deux fois avant tout ça. Parce que là, t’as des problèmes. Le genre de problème que tu pourrais sans doute pas te débarrasser aussi facilement.

- Si tu nous donnes ton argent, on te laisse partir. T’es pas obligée de nous rendre la tâche difficile, tu sais. Tu pourrais même ne pas être blessée.

Tu déglutis. L’homme est menaçant. Il s’est rapproché, aussi. Tu peux sentir son haleine à l’odeur de tabac. Ça t’écoeure un peu. Beaucoup, même. Tu grimaces. Ça te mérite une gifle qui te fait vaciller, le genre qui va s’imprimer un certain moment sur ta joue. Tu paniques un peu lorsqu’une main vient t’agripper le bras, lorsqu’il te souffle ses menaces au visage. Ton argent, sinon tu pourrais le regretter. Tu te débats, comme si ça pourrait changer quelque chose. Et tu pestes contre le soleil, celui qui brille haut dans le ciel et chasse toute ombre. T’es pas du bon côté de l’arbre. De ton côté, le soleil vous éclaire et les gens t’ignorent.

Et toi, tu ne peux pas fuir. Parce que la seule ombre à proximité, c’est la tienne et celle de l’homme. Rien qui te permettrait d’aller bien loin.

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Le courage n’est pas quelque chose que tu possèdes, Ingrid. Bien souvent invisible aux regards des autres, tu t’effaces et recules, pas le genre de personne à se lever pour protéger la veuve et l’orphelin. T’es pas une héroïne, t’es qu’une gamine perdue dans ce monde trop grand pour elle, ce monde qu’elle connaît pourtant si bien, avec ses vices et ses torts mais qui continue de l’affronter en gardant la tête droite. Tu le sais, que les gens sont mauvais. Égoïstes. Que ces derniers n’hésiteront sûrement jamais à s’en prendre à toi, pas si tu as quelque chose qu’ils convoitent. Et pourtant, t’oublies les risques, t’en soucies pas, parce que t’aimes pas t’attarder sur ce qui t’embêtes, sur des détails que tu considères comme désagréables. C’est pour ça que t’es dans cette situation, avec une main te serrant le bras à un point tel que ça en était douloureux. Ta joue s’enflamme, aussi, une marque s’y dessinant, des doigts s’imprimant sur ta peau pâle. Tu pourrais en vouloir à ceux qui t’entourent, ceux qui passent sans te regarder. Mais à quoi bon ? Tu ferais la même. Tu ne t’arrêterais pas.

Sauf si le regard d’un autre venait à croiser le tiens. Auquel cas, là, tu ne pourrais pas reculer. Tu n’aurais pas le choix d’agir, ne serait-ce que de tenter. Parce qu’aussi peu courageuse étais-tu, quand bien même voudrais-tu fuir, tu peux pas supporter l’idée de décevoir quelqu’un. C’est généralement ce qui te motive, ce qui te fait avancer, ce qui t’amènes à agir parfois contre ta volonté. Parce que c’est plus fort que toi. Parce que t’as besoin de plaire aux autres, quitte à mentir et effacer ta propre personne. Pas que ça changerait grand chose, tu sais même pas qui est cette personne, qui peux-tu bien être derrière ces couleurs ne t’appartenant pas ?

Il y a une voix finalement qui s’élève, qui se fait entendre au travers ces battements assourdissant que tu entends depuis quelques secondes. Ceux de ton coeur qui s’emballent alors que la douleur se mêle à la peur, la panique. Une voix féminine. Ton regard se tourne alors vers elle, inconnue qui semble vouloir se dresser pour t’aider. L’héroïne. Celle que tu n’es pas. Celle qui a le courage que tu n’as pas. Les compétences que tu n’as pas. Parce que tout s’enchaîne très vite. Du sable dans les yeux, un coup qui part, des menaces, des grognements. Puis l’inconnue désormais hors de ton champ de vision, derrière l’homme plus grand et plus large que toi, reprends les mots de ton assaillant. Te libérer, sans quoi il pourrait être blessé. Si seulement c’était si facile.

Toutefois, l’homme n’est pas seul. Un autre se tient non plus, sur ta gauche, sa droite. Un homme qui n’a pas vraiment bougé, qui ne semble pas avoir été tenté d’aider son ami. Jusqu’à maintenant. Maintenant, il s’approche de la demoiselle et toi, t’as pas le choix d’agir. Du moins, tu penses pas avoir le choix. Parce que tu pourrais tenter de défaire cette prise sur ton bras et prendre la fuite. T’es même tout particulièrement tentée de le faire. Mais ce serait la laisser seule avec ces deux hommes. Ce serait la mettre en danger, peut-être même lui causer du tort. Et si tu n’as pas une moralité bien définie, la seule chose qui te retient, c’est cette peur qui te prend aux tripes.

Celle qu’elle t’en veuille.
Celle de potentiellement la décevoir.

Alors tu disparais. Te volatilise. Tu t’enfonces dans l’ombre de l’homme qui te tenait, glisse dans cette de celui qui se rapproche avant de surgir derrière lui. Tu sais pas te battre. Toi, tu faisais du patinage artistique. T’es une danseuse. T’es douce, élégante. Tu possèdes cette grâce de celles qui se déplacent à l’aide de pas légers. Ça t’empêche pas d’essayer, de te rappeler du peu qu’on a pu te dire dans ces vaines tentatives à ce que tu apprennes à te défendre par toi-même. Dans son dos, ton pied frappe derrière son genou, faisant fléchir sa jambe et l’amenant à tomber vers l’avant.

- Merci.

Que tu lui souffles, à la jeune femme. L’instant suivant, tu as disparu, avant même que celui qui est tombé sur les genoux se retournent pour ne pas te voir là où tu aurais dû te trouver.

Tu sais que c’est pas une bonne idée. Tu vas te fatiguer. Tu pourras peut-être même plus fuir. Mais c’est ta seule façon de te défendre : disparaître. Tu te diriges vers l’inconnue, celle qui t’a aidé, traçant ton chemin dans le sable et t’éloignant des hommes. Puis tu réapparais, ta chevelure blonde dansant derrière toi, ton souffle se faisant court et tes joues rosies par l’effort. T’es pas sûre que ça ait été une bonne idée, d’utiliser ainsi tes dons, surtout que celui que t’as mis au sol se relève, plus agacé qu’autre chose. T’es tentée de fuir. Vraiment tentée de fuir. Il te suffirait juste de tendre le bras pour attirer l’inconnue vers toi, pour que vous puissiez fuir toutes les deux. Tu sais juste pas si c’est ce qu’elle veut. Si elle t’en voudrait pas pour tant de lâcheté.

Alors tu ne fais rien.
C’est tout ce que tu sais faire, de toute façon.

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Tu n’es pas forte. Fragile serait sans doute plus juste pour te décrire. Une taille fine et des gestes gracieux, tu es élégante plus que tu n’es brute. Peut-être qu’avec des patins, tu aurais pu faire quelque chose, abattre la lame tranchante sur ceux te voulant du mal, mais ce n’est pas le cas. Tu ne peux donc que tenter de te défendre sans grand succès alors que fuir est ta réaction première, celle que tu préfères. Chose que tu ne peux pas faire pour le moment, non sans t’assurer que la jeune femme ayant volé à ton secours en fasse de même. Et, de toute évidence, la fuite ne semble pas être une option pour elle, pas alors qu’elle se jette sur l’un des deux hommes, celui que tu avais tenté d’envoyer au sol. Elle, elle réussit, l’amenant à tomber à la renverse avant d’abattre son poing sur son visage, lui arrachant un gémissement de douleur.

Il faut que tu fasses quelque chose. Tu n’as pas le choix de faire quelque chose. Autrement, l’une de vous deux risquait d’être blessée. Et si toi, tu ne te soucis pas spécialement de ta propre personne, tu n’as pas envie qu’elle, elle le soit, par ta faute qui plus est. Alors tu serres la mâchoire, fronces un peu les sourcils, sans pour autant sembler très convaincante. Tu te sens déjà fatiguée, mieux valait donc que tu évites d’abuser et que tu utilises de nouveau tes pouvoirs pour le moment. Certes, tu ne les avaient utilisé que pour quelques secondes tout au plus, mais tu avais besoin de préserver ton énergie pour la fuite qui allait suivre. Parce qu’il n’était pas possible pour vous deux de venir à bout d’eux, la seule chose envisageable était sans doute de les ralentir assez le temps que vous disparaissiez.

Alors tu passes à l’attaque, toi aussi. Ça n’est pas très crédible, ça ne doit pas faire très sérieux non plus mais c’est toujours mieux que rien. Mieux que de rester debout, immobile, à attendre que les choses se passent. Pour une fois, tu ne te contenterais pas d’être spectatrice de ta propre vie. Pour une fois, tu allais agir. Tu t’abaisses pour éviter ce bras qui passe au-dessus de ta tête avant de te relever vivement.

Souple et agile, tu lèves une jambe rapidement, tournant sur toi-même pour venir abattre ton talon sur son visage. Encore une fois, tu te fis surtout sur ce que tu as pu voir à la télévision, ce qu’on a pu tenter vainement de t’apprendre. Ou pas si vainement que ça, finalement. Parce que tu parviens à le toucher, parce que tu sens quelque chose craquer sous ton pied et ce n’est pas toi. Ce n’est pas tant la force du geste qui a eu le plus d’impact mais la vitesse avec laquelle il a été exécuté. Un peu plus et tu te revoyais sur la glace, levant la jambe et venant la chercher au-dessus de ta tête en tournant rapidement sur toi-même. Sauf que tu n’es pas sur la glace, que tu ne te donnes pas en spectacle. Non. Tu es au désert, à tenter de sauver ta peau et celle d’une autre demoiselle dont tu ne connais pas encore le nom.

Te retournant vers elle, tu lui attrapes le bras, considérant qu’il s’agissait du bon moment pour fuir. Tu l’invites à se relever, l’obliges presque à le faire, en t’élançant dans une direction qui vous éloignerait tous les deux d’eux. T’es partagée entre l’idée qu’ils allaient peut-être finalement vous laisser tranquille et celle où, au contraire, ils allaient être tentés de se venger. Tu préfères donc envisager le pire, juste pour être préparée à toute éventualité et c’est pour ça que tu continues de courir, que tu l’amènes avec toi sans même vraiment y réfléchir, que vous puissiez toutes les deux être en sécurité.

- Tu vas bien ?

Le souffle court, les mots hachurés, tu lui demandes tout de même si elle va bien. Si elle n’a pas été blessée. Pour ta part, tu t’en es bien surtout, très certainement grâce à elle. Car seule face aux deux hommes, jamais tu aurais eu l’audace ou encore le courage de faire quoi que ce soit. Tu as cette fâcheuse habitude d’accepter ton sort sans t’y opposer. Au moins, cette fois-ci, elle a réussi à faire naître en toi un sentiment qui t’était, jusqu’alors, inconnu. Celui de vouloir te défendre.

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Tu ne sais pas où tu vas, tu ne sais même pas pourquoi est-ce que tu as pris les devants. Après tout, tu ne connais pas le désert, première fois que tu te retrouves dans ces terres hostiles. Tu es habituée à la tranquillité (très relative) de l’île aux délices. Là-bas, les hommes et les femmes y sont civilisés. Ils s’attaquent, se blessent, mais ils le font subtilement. Ils embauchent d’autres personnes pour le faire. Ils empoisonnent. Tuent dans le sommeil. Ils ne s’agressent pas aux yeux de tous, préférant les messes basses et les commentaires subtiles. Tu n’as donc jamais été habituée à te faire traiter de la sorte, là où les gens te touchent, s’agrippent à toi, plutôt que de laisser leurs regards glisser sur tes courbes. Alors tu te retrouves à faire ce que tu sais le mieux faire, à savoir fuir.

Finalement, la demoiselle que tu tires à ta suite prend les devants. Elle semble connaître l’endroit, te fait bifurquer vers la droite sans que tu ne poses quelconque question. Elle t’amène ailleurs, toi qui glisses légèrement sur le sable, avec cette même légèreté que l’on peut observer dans tes pas. Puis elle te fait signe de te taire, ce que tu fais en hochant de la tête. Tu as envie de lui parler, t’excuser notamment, mais tu ne fais rien pour de longues minutes. De très longues minutes. Jusqu’à ce que le soleil se déplace dans le ciel, que vos ombres commencent à changer de direction et que, finalement, tu en viens à la conclusion qu’ils ont peut-être abandonné la chasse.

- Je pense qu’ils vont nous laisser tranquille. Tu l’espères, du moins. Tu soupirs légèrement, soulagée de te savoir encore en vie, un peu fatiguée aussi. Tu n’es pas vraiment quelqu’un qui recherche l’adrénaline et force est de constater que c’est épuisant comme truc. Ta respiration est plus calme, ton coeur a cessé de débattre dans ta poitrine et, suite à tout ça, tu te sens juste vraiment fatiguée. Peut-être qu’épuisée serait plus juste, en fait. - Merci encore. Tu n’étais pas obligée mais je sais vraiment pas ce que j’aurais fait sans toi. Tout chez toi crie que tu n’es pas à ta place, ici. Toi, t’es protégée derrière la sécurité d’un royaume. Toi, tu n’as pas été laissée derrière lors des recrutements, ce qui t’a surpris autant que ça t’a fait plaisir. T’as même pu faire un choix, te réfugier derrière ceux qui te semblaient les plus forts une fois l’épée levée. Alors, vraiment, t’étais sérieuse dans tes paroles. Tu sais pas comment t’aurais pu t’en sortir sans elle.

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La remercier semble être la bonne chose à faire. Parce que sans elle, qui sait comment tu aurais pu te tirer de cette situation. Tu l’as bien vite remarquer que tes pouvoirs ne sont pas d’une grande utilité ici, au désert. L’invisibilité ne change rien si quelqu’un te retient et quant à pouvoir te cacher dans les ombres… Avec le soleil haut dans le ciel, c’est difficile pour toi de t’y camoufler. Donc, effectivement, sans elle, les choses auraient pu se passer différemments et sans doute bien plus mal. Toutefois, elle ne dit rien face à tes remerciements, se contentant de t’observer. Un regard pesant qui te met un peu mal à l’aise. Un regard rapidement suivi d’une question qui te surprend. Et pourtant, tu ne sais même pas pourquoi t’es surprise, parce qu’il est évident que tu n’as pas ta place ici, dans ce désert.

- Caer Hrid. Tu ne prends pas la peine de lui retourner la question, tu te doutes déjà de la réponse. Elle, elle a ce qu’il faut pour survivre ici. Elle a cette force que tu n’as pas, cette facilité à faire face à la menace. Tu ne sais pas trop ce que tu dois en penser, tu sais juste que ça t’intimide un peu. Te déstabilise. - C’était la première fois j’approchais l’arbre à souhait. J’en avais entendu parler à quelques reprises, depuis que je suis arrivée dans le désert. Tu ne sais pas trop ce que tu dis, t’essaies juste de faire la discussion. T’es pas très douée pour ça, toi qui es d’ordinaire assez discrète, toi qui limites tes contacts avec les autres. Mais bon, elle t’a sauvé, et t’as pas non plus envie de rester dans un silence gênant. Puis, tu sais pas trop ce qu’elle va en penser non plus. Peut-être qu’elle va regretter de t’avoir sauvé, maintenant qu’elle sait que toi, t’as eu la chance de te retrouver dans un pays, protégée par ce dernier.