all you need is a hero

L’arbre à souhait. Tu ne croyais généralement pas à tout ça, pas très superstitieuse comme personne, et pourtant, cette fois-ci, tu as eu envie de faire un souhait. Pas pour toi. Évidemment que ça n’était pas pour toi. Parce que tu ne souhaitais pas grand chose, rien de bien important, ne connaissant pas encore celle que tu étais, celle que tu voulais être, pour faire un choix sensé sur la question. Alors tu avais fait un voeu pour Mephisto, celui que tu craignais décevoir, celui qui te jeterait peut-être si tu rentrais en ayant échoué la mission qu’il t’avait donné. Ça te fait peur, l’éventualité d’échouer. Tu as peur de décevoir, peur de ne pas être à la hauteur. Peur de ne pas être assez. Peut-être que c’était le souhait que tu aurais dû accrocher, à cet arbre.

Être assez pour les autres.

Secouant légèrement la tête après t’être perdue dans tes pensées, tu relèves ton regard vers la jeune femme, esquissant un sourire. Tu hoches ensuite de la tête, lui faisant donc comprendre que tu avais eu le temps d’accrocher ton souhait. Peut-être sinon aurais-tu dû souhaiter ta propre protection, ça t’aurais peut-être évité cette situation, ou celle qui allait suivre, bientôt, mettant ainsi ta vie en danger, mais tu ne penses pas à ce genre de choses, n’attaches pas assez de valeur à ta vie pour que ça ait une réelle importance à tes yeux. - J’ai eu le temps d’accrocher mon voeu. Mais c’est gentil. Tu es sincère lorsque tu dis ça. - Et toi, est-ce que tu y étais pour accrocher un souhait ? Était-ce ce qu’elle faisait, là-bas ? Est-ce qu’elle aussi souhaitait quelque chose ? Quelque chose de plus égoïste ? Peut-être se tirer de la misère que rencontrait ceux qui vivaient au désert ? C’était rapide comme jugement mais, du peu que tu en avais vu ces derniers jours dans les environs, ça te semblait juste. C’était dangereux. Terre hostile dans laquelle tu t’avances à l’aveuglette, inconsciente des dangers qui rôdent tout autour de toi.

- Moi c’est Ingrid. Parce que tu réalises que tu ne lui as toujours pas donné ton nom et que ce serait peut-être une bonne chose de le faire. Ou pas. Tu sais pas trop comment font les gens, ici. Mais alors qu’elle s’est relevée, sans doute prête à partir, alors que toi, t’es encore assise dans le sable, t’as eu la soudaine envie de te présenter. Qu’elle sache au moins qui venait-elle de sauver, une jeune caerienne ayant sans doute fait preuve d’imprudence.

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Une oubliée. C’est triste, quand même, comme façon de se voir, de se reconnaître. Elle était de ceux dont les différents pays n’avaient pas voulu, ceux laissés de côté sans un regard vers eux. Ceux dont personne ne voulait. Et toi, ça te désole. Tu en as rencontré quelques uns, des oubliés. Certains qui t’ont plus marqué que d’autres. Certains que tu ne voulais pas, justement, oublier. Parce que tu les aimais bien. Parce qu’ils étaient des amis. Ou, tout du moins, tu voulais les voir comme ça. Des amis, tu n’en as jamais eu beaucoup. T’en as pas eu le droit, par le passé. Tu le faisais maintenant et ce serait mentir que de dire que tu ne trouvais pas ça agréable. - Enchantée. Tu dis ça avec le sourire, fais preuve d’une certaine sincérité. Tu mens beaucoup, Ingrid. Tu prétends, surtout. Mais pas maintenant. T’es enchantée de l’avoir rencontré.

Quant à tes questions sans doute indiscrètes, elle lui répond. Elle n’était pas là pour faire un voeu, elle était là pour les exaucer, pour ainsi avoir de quoi s’acheter à manger. Ça te désole. Comment aurais-tu survécu si tu avais été abandonnée au désert ? Y aurais-tu seulement survécu ? Tu ne sais pas trop. Pas que cela ait une quelconque importance, tu n’y es pas, au désert. Pas de façon permanente du moins. - T’es un peu comme un génie, en fait. Tu dis ça de façon légère, avec une certaine naïveté. Celle de l’enfant qui préfère oublier les cruelles réalités de ce monde pour se bercer de douces illusions. - Est-ce qu’avec toi, on est limité à trois voeux ? Ça te fait rire doucement. Un rire doux, cristallin. Tu lèves les yeux, observes le ciel quelques instants. - Je n’ai pas fait de voeu pour moi. Je l’ai fait pour quelqu’un à qui je tiens. Semblerait-il que l’épuisement t’amènes à t’ouvrir un peu plus, à parler un peu plus. - Je ne sais toujours pas ce que je veux. Tu ne le savais pas cinq ans plus tôt. Tu ne le sais toujours pas maintenant. Alors, à quoi bon ? Tu préférais faire un voeu pour quelqu’un d’autre parce que, autrement, tu ne sais bien pas ce que tu aurais pu accrocher à l’arbre.

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Tu hoches de la tête même si tu n’es pas convaincue. À tes yeux, elle est le génie. Après tout, l’arbre reçoit les voeux mais elle, elle les exécute. C’est donc à elle, aux gens comme elle, qui revient le mérite. Parce qu’elle, elle fait quelque chose. Elle fait quelque chose pour elle-même mais aussi pour les autres. Ce que toi tu ne fais pas. Ou, enfin, pas comme ça. Tu n’as jamais appris à vivre par toi-même, pour toi-même. Quant aux autres… Tu ne fais rien pour ceux que tu ne connais pas, ne fais rien par bienveillance. Lorsque tu aides, c’est pour ne pas décevoir. C’est par égoïsme, en quelque sorte. Parce que tu crains le regard des autres, crains de ne pas être assez pour les autres. Parce que tu digères mal la déception qui peut naître chez les autres par ta faute. - J’y réfléchis. J’y réfléchir depuis que je suis arrivée ici. Et par ici, tu parles d’Althea. Cela fait cinq ans, presque six ans même, que tu te penches sur la question sans y trouver de réponse.

Un soupir s’échappe de tes lèvres tandis que tu te redresses, assise dans le sable, ton regard porté vers la jeune demoiselle qui t’a aidé. Celle qui t’a très probablement sauvé la vie, même. - Mon voeu a déjà été réalisé, je pense. Tu n’es pas certaine de ce que tu avances mais ça te semble finalement être vrai. - Je voulais vivre. Tu voulais briser tes chaînes, te libérer de l’emprise toxique de ta mère, de cette femme qui avait contrôlé toute ta vie jusqu’à ce qu’elle disparaisse avec les autres. - Et maintenant, je peux. Je vis. Je suis libre. Libre de toute emprise, en quelque sorte. Ce n’est pas aussi facile, tu vis encore au travers les autres mais, pour une fois, tu as le choix. Un choix que tu n’as jamais eu jusqu’à maintenant.

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C’était un premier pas vers une vie qui était la tienne. Un rêve. Tu en avais un. Tu ne savais juste pas quoi en faire. Vivre, mais encore ? Qu’est-ce que c’était que de vivre ? D’être libre ? Des notions que tu ne maîtrisais qu’à moitié, parce que tu n’existais que dans le regard des autres. Tu n’étais rien lorsque tu étais seule. Une âme vagabonde qui ne savait quoi faire de sa vie. Alors oui, tu peux vivre. Tu peux vivre librement. Tu peux faire ce que tu veux. Et si, sur papier, c’est bien, c’est beau, c’est tout ce que tu as toujours voulu, fuir l’emprise de ta mère, la réalité est toute autre. Tu ne sais pas ce que tu veux. Tu ne sais pas ce que tu peux faire de cette liberté arrachée suite à un désastre qui t’a forcé à tout recommencer. Tu avais l’occasion ici de tout reprendre, de recommencer à zéro. Et toi, qu’as-tu fait ? Tu as suivi le premier à te tendre la main, obéissant désormais à ce qu’il attendait de toi. Parce que tu n’existes que pour les autres. Tu n’existes que dans leurs attentes. Dans ce qu’on veut de toi.

Tu réponds à son sourire, plus par habitude que par conviction. Parce que c’est la chose polie à faire. Elle te dit de continuer ainsi et toi, tu manques de t’accrocher à elle pour lui demander ce qu’elle veut dire par là. Continuer comment ? Pour aller où ? Des questions qui t’échappent et ce, peu importe toute ta bonne volonté sur le sujet. Un désir d’aller vers l’avant alors que tu ne sais même pas par où est l’avant. - Merci. C’est tout ce que tu trouves à répondre, finalement. Parce que tu ne veux pas la décevoir dans ton incompréhension. - Oui, au plaisir. Dans des circonstances plus calme, j’espère. Parce que tu ne souhaitais pas voir de nouveau ta vie en danger et tu ne lui souhaitais que le meilleur pour elle. Et donc, de ce fait, qu’elle ne soit pas menacée serait bien. Même si, de toute évidence, elle savait s’en sortir toute seule.